Montpellier, France — A l’initiative de la Société française de médecine prédictive et personnalisée (SFMPP), des experts ont élaboré les premières recommandations européennes sur la recherche de mutations des gènes BRCA1 et BRCA2 chez les patients atteints de cancer du sein, de l’ovaire, de la prostate ou du pancréas [1]. Avec l’objectif notamment d’affiner les indications du test oncogénétique pour la mise en place d’un traitement personnalisé. Elles apportent également un consensus sur les situations justifiant une demande d’analyse en urgence.
« Ces recommandations étaient nécessaires pour connaitre les bonnes indications, car ces tests ne sont plus seulement des tests diagnostiques à visée préventive. Ils ont aussi un impact sur le choix du traitement. Or, il existe beaucoup de disparités dans les pratiques », autant au niveau européen que national, a commenté le Pr Mahasti Saghatchian (Hôpital américain de Paris, Neuilly-sur-Seine), auprès de Medscape édition française.
Dans ce document, on retrouve les critères permettant d’identifier les patients les plus à risque de mutations chez qui le dépistage se justifie dans le cadre d’une stratégie de réduction des risques de cancer. Il précise également les indications dans le traitement par inhibiteurs de poly-ADP ribose polymérase (PARPi), qui prennent une place de plus en plus importante chez les patients porteurs de mutations BRCA.
Favoriser une prise en charge personnalisée
Les recommandations apportent également des conseils dans l’utilisation de ces tests de dépistage pour aider les praticiens dans la prise en charge personnalisée du cancer du sein précoce et métastatique, afin d’adapter le traitement par chirurgie et radiothérapie en phase initiale ou recourir à certaines chimiothérapies dans le cas de cancers plus avancés.
« Il était important d‘apporter cette clarification sur le cancer du sein muté BRCA », étant donné les différences avec le cancer de l’ovaire et le risque de confusion entre les deux cancers sur le plan thérapeutique, souligne le Pr Saghatchian. « Les indications de traitement pour le cancer de l’ovaire vont beaucoup dépendre des mutations BRCA, ce qui devient également le cas pour le cancer du sein, mais selon des indications différentes », a précisé l’oncologue.
« Aujourd’hui ne pas prescrire le test dans certaines situations familiales ou thérapeutiques constitue des pertes de chance potentielles », estime pour sa part le Pr Pascal Pujol (service d’ontogénétique, CHU de Montpellier), président de la SFMPP. « C’est particulièrement important pour certains malades atteints de cancer du sein, de l’ovaire, de la prostate ou du pancréas, du fait des avancées thérapeutiques récentes de la médecine personnalisée. »
Une cinquantaine d’experts internationaux, dont des généticiens, des oncologues et des pathologistes, ont été missionnés par la SFMPP pour actualiser les pratiques cliniques concernant le test BRCA et les standardiser au niveau européen. Près d’une quinzaine de référentiels sont, en effet, utilisés en Europe dans le dépistage des mutations BRCA. En France, les dernières recommandations à ce sujet datent de plus de dix ans.
Se positionner face aux Etats-Unis
« On avait aussi besoin de se positionner par rapport aux recommandations américaines, qui ont une approche différente sur le plan éthique et économique », a précisé le Pr Saghatchian. « Celles-ci sont davantage en faveur d’une liberté de prescription et de choix des tests, alors qu’en Europe, nous sommes beaucoup plus prudents, notamment sur les questions de bioéthique liées à l’usage des tests génétiques. »
Le travail mené par les experts montre que près d’un patient sur deux atteint d’un cancer du sein, de l’ovaire, de la prostate ou du pancréas et porteur d’une mutation BRCA n’a pas les antécédents familiaux justifiant habituellement le recours au test oncogénétique. Par conséquent, l’histoire familiale n’est plus le critère majeur justifiant un dépistage, surtout dans l’approche thérapeutique.
En ce qui concerne plus précisément les indications du traitement par PARPi, « le testing BRCA doit être proposé indépendamment de l’histoire familiale, pour tout cancer de l’ovaire au diagnostic ou en récidive, dans les cancers du sein et de la prostate métastatique dits hormonorésistants et dans les cancers avancés du pancréas », précise la SFMPP.
S’agissant du dépistage à visée préventive, les recommandations citent les critères associés au risque de mutations, en distinguant le risque élevé (grade A) pour lequel le dépistage est recommandé (cancer du sein triple négatif, à moins de 40 ans, chez l’homme, cancer de l’ovaire…) du risque intermédiaire (grade B), qui peut amener à s’interroger sur la pertinence du dépistage (cancer du sein entre 40 et 45 ans, antécédent familial de cancer du pancréas…).
Restreindre les tests à visée préventive
Les experts se positionnent également sur les cas fréquents d’individus réclamant un test de dépistage, en raison principalement d’antécédents familiaux de cancer du sein, alors qu’ils sont considérés comme étant à faible risque (grade C). Le test peut être envisagé, mais en incluant une enquête auprès des proches concernés et en sensibilisant sur les répercussions d’un test positif.
Contrairement aux Etats-Unis, où il est très facile d’avoir accès aux tests génétiques, « on reste très prudents avec les patientes qui n’ont pas eu elles-mêmes un cancer », a souligné le Pr Saghatchian. « Au-delà de l’aspect éthique, il y a aussi un problème d’ordre scientifique puisque la présence d’une mutation sur BRCA ne signifie pas forcément qu’il y a un risque de cancer. Il peut parfois s’agir de variants de signification inconnue. »
« Si les patients n’ont pas d’antécédents familiaux importants de cancer, comme un cancer du sein survenu à un âge jeune, il faut donc prévoir avant tout un test avec le membre de la famille touché par le cancer. On cherche vraiment à freiner le dépistage de mutations chez les personnes n’ayant pas de cancer et qui pourraient rentrer dans une démarche de prévention inadaptée. »
Consensus sur les situations d’urgence
Les recommandations ont aussi le mérite d’apporter un consensus sur les situations justifiant une demande d’analyse en urgence. En France, avec la sollicitation croissante des plateformes d’oncogénétique et en considérant le parcours classique qui passe par plusieurs consultations, « il faut compter entre 6 à 12 mois pour avoir les résultats d’un test BRCA, alors que techniquement il faut deux à trois semaines ».
Les profils les plus à risque peuvent donc bénéficier d’un circuit d’analyse rapide, qui permet d’avoir un résultat en près de deux semaines. Les situations d’urgence concernent à la fois la prévention, en cas de cancer du sein triple négatif par exemple, ainsi que l’approche thérapeutique lorsqu’il faut notamment envisager un PARPi face à un cancer de la prostate métastatique résistant à la castration.
Ces précisions sont d’autant plus importantes que les indications des PARPi commencent à s’élargir, ce qui sous-entend une demande croissante en test génétique. Dans un premier temps limité au traitement du cancer de l’ovaire, les anti-PARP sont désormais envisagés dans les autres cancers associés à une mutation BRCA, comme le cancer du sein triple négatif ou le cancer du pancréas.
En raison de l’intérêt thérapeutique de l’analyse des mutations, plus de 30 000 nouveaux cas supplémentaires de cancer du sein, de l’ovaire, de la prostate et du pancréas justifient désormais chaque année un test BRCA à visée thérapeutique. La découverte d’autres gènes de prédisposition, comme PALP2, devrait aussi faire progresser la demande.
En France, on estime que 150 000 à 200 000 personnes sont porteuses d’une prédisposition BRCA, selon les données de l’Institut national du cancer (Inca). Parmi elles, 40 000 ont été identifiées.
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Citer cet article: Cancérologie: premières recommandations européennes sur l'analyse des gènes BRCA - Medscape - 24 févr 2021.
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