Une crise qui n’en finit pas pour les internes en médecine

Dr Pauline Sériot, Dr Benjamin Davido

Auteurs et déclarations

21 avril 2021

La crise sanitaire reste très tendue pour les soignants et en particulier les internes en médecine. Non-respect du temps travail, abolition des jours off, déploiement dans les services en crise, risque de burnout : les jeunes médecins, qui sont souvent en première ligne, tiendront-ils le coup ? Quelles mesures devraient être préconisées ? Le statut de Docteur Junior apportera-t-il une plus-value ? Benjamin Davido interroge Pauline Sériot, interne aux urgences de l’AP-HP.

TRANSCRIPTION

Benjamin Davido – Bonjour et bienvenue sur Medscape. J’ai l’honneur de recevoir Pauline Seriot, interne en sixième semestre de médecine d’urgence au sein des hôpitaux de Paris, pour discuter de la problématique globale des jeunes médecins dans cette ère du COVID-19.

Pour ceux qui ne me connaissent pas, je suis Benjamin Davido, médecin infectiologue et directeur médical de la crise du COVID.

Les internes au cœur de la crise sanitaire

Benjamin Davido – Avec les difficultés que vivent actuellement les internes en cette période COVID, peux-tu nous expliquer la principale problématique, pour vous, futurs jeunes médecins ?

Pauline Sériot – Actuellement, la problématique se concentre majoritairement sur une densité de travail qui est très augmentée et sur une demande de moyens humains qui n’est absolument pas possible d’effectuer. Les internes sont mis en première ligne et sont déployés dans des services qui en ont le plus besoin. Lors de la première vague, j’étais en stage de pédiatrie et on nous a déployés dans les services qui en avaient le plus besoin. J’ai donc effectué des gardes aux urgences dans des hôpitaux qui avaient effectivement besoin d’internes pour faire face à ce manque de moyens de personnels. Et on voit que depuis cette première vague, il y a une pérennisation de cette crise sanitaire qui fait que les internes sont en première ligne, comme des pièces détachables que l’on peut redistribuer dans les services les plus déficitaires.

Depuis la 1ère vague, il y a une pérennisation de cette crise sanitaire qui fait que les internes sont en 1ère ligne, comme des pièces détachables que l’on peut redistribuer dans les services les plus déficitaires. Dr Pauline Sériot

Benjamin Davido — Est-ce aussi ce que tu as vécu pendant les deuxième et troisième vagues ? Vous a-t-on bougés d’un service à un autre ?

Pauline Seriot – Non, on ne nous a pas bougés. Moi, actuellement, je suis en service de réanimation, donc je n’ai pas été bougée puisque je suis, finalement, au cœur du problème. Mais ce que j’observe, c’est qu’on n’a pas de renforts d’internes alors que la densité de patients augmente.

Benjamin Davido — D’accord. Et quelles sont, justement, les différences par rapport à l’avant-crise du COVID ? Qu’est-ce qui a changé pour vous ?

Pauline Seriot — Ce qui change, c’est réellement la densité de travail, bien qu’elle ait toujours été très forte. En tant qu’interne, on a une densité de travail qui est très élevée.

Benjamin Davido — Quid des jours off et de l’enseignement ?

Pauline Seriot – Il nous a été demandé, au sein du stage dans lequel je suis, de ne plus être de jour off et d’être tous les jours postés en stage. Donc effectivement cela rogne un peu sur les jours off qui servent, non pas à des vacances, mais à des travaux universitaires, à réaliser sa thèse, ou à faire des DU. On n’a plus la possibilité, actuellement, de prendre des jours off.

 
Il nous a été demandé, au sein du stage, de ne plus prendre de jours  off et d’être tous les jours postés en stage. Dr Pauline Sériot
 

Comment améliorer les conditions de travail des internes ?

Benjamin Davido — On se doute bien que vous n’allez pas partir en vacances, ni faire du shopping en ce moment. Cela serait compliqué.

Quels sont les points sur lesquels il faudrait souligner pour avoir des décisions qui viseraient à améliorer les conditions de travail des internes ?

Pauline Seriot – Cela me paraît très compliqué, vu la crise actuelle. L’amélioration des conditions de travail passe par le respect du temps de travail des internes qui est, normalement, planifié à 48 heures. Mais on sait tous que 48 heures, c’est déjà beaucoup plus qu’un employé standard. On sait tous qu’un interne ne fait pas 48 heures : il fait entre 64 et 78 heures de travail par semaine, voire plus, et il faudrait vraiment qu’il y ait une concertation sur un blocage de ces 48 heures. 

 
L’amélioration des conditions de travail passe par le respect du temps de travail des internes. Dr Pauline Sériot
 

Pauline Seriot – Les repos de garde sont, pour la plupart, respectés…. Par contre, les repos d’astreinte, on n’en a pas. C’est-à-dire que si on travaille un week-end, on enchaîne la semaine d’après. Donc on peut travailler 14 jours sans avoir de repos. Il faudrait donc s’accorder sur le fait que ce n’est pas possible. Il faut respecter le temps de travail des internes et surtout un renfort de personnel qu’il soit interne, vieil interne ou chef de l’extérieur, pour pouvoir pallier à ce manque de besoin humain. On le fait avec les infirmières, on le fait avec les aides-soignants, mais on ne le fait pas avec les internes.

Benjamin Davido – Oui, il n’y a pas de recours à l’intérim.

Pauline Seriot – Exactement.

Benjamin Davido – Est-ce que tu vois, pour toi ou tes collègues, des situations de détresse psychologique et de burnout qui peuvent résulter de ce dépassement de 48 heures de travail ?

 
Depuis le début de l’internat... on flirte avec le burnout. Dr Pauline Sériot
 

Pauline Seriot — Complètement. Depuis le début de l’internat, qui correspond au Saint Graal de « enfin on est sur place et on fait de la médecine », on flirte avec le burnout. On fonctionne en surrégime en permanence, on a des jours off, on n’en a pas, ça dépend du bien-vouloir du chef de service, on fait des horaires élargis, donc effectivement on flirte avec le burnout. Quand on a six patients de réanimation alors qu’on est totalement novice en réanimation, c’est absolument inacceptable. Je connais des gens qui sont en détresse et qui n’osent pas s’arrêter parce qu’ils ont peur pour leur validation, ils ont peur de la réaction de leurs collègues, ils ont peur d’oser prendre soin d’eux-mêmes – alors qu’ils prennent soin des autres. J’ai moi-même été confrontée à des situations de burnout où j’ai dû dire « stop : je ne suis plus en condition de travailler. »

 
Quand on a 6 patients de réanimation alors qu’on est totalement novice en réanimation, c’est absolument inacceptable. Dr Pauline Sériot
 

Docteur junior : un statut encore flou

Benjamin Davido — Est-ce que la solution, qui pourrait être un appui ou une béquille, et je ne sais pas si elle serait pérenne, serait d’être Docteur Junior, pour venir aider ces internes ? Dans mon service à Garches, malheureusement, on a perdu la moitié de nos internes, puisqu’on n’a plus de médecine générale, qu’on n’a rien eu en appui et que parmi les deux postes, on a souvent un seul des internes sur deux ; c’est beaucoup plus dur d’être seul.

Pauline Seriot – Le problème du Docteur Junior est que c’est un statut qui est très récent – il date de 2018 – et qui est quand même relativement flou. C’est un interne thésé qui est encore un praticien hospitalier étudiant et qui agit sous la délégation et la responsabilité d’autrui. Donc va-t-on demander à ces docteurs juniors, qui sont encore très faibles en densité, de venir nous aider ? Je ne sais pas si c’est la cible de l’aide dont on a besoin.

Benjamin Davido — Justement, tu vas bientôt être docteur junior. Qu’en penses-tu ? À quoi cela va-t-il servir ? Est-ce une plus-value ? Est-ce que c’est une revalorisation salariale ou plutôt un retour en arrière ?

Pauline Seriot – Très honnêtement, pour avoir épluché le sujet, je n’ai pas du tout compris pourquoi ce statut a été créé. Je n’ai pas du tout l’impression qu’il a été créé au profit des internes, puisqu’avant de trouver un terrain de stage, il y a une difficulté réelle entre les pistons, les histoires de big matching etc… personne n’y comprend rien. C’est déjà une difficulté. Ensuite, si on a le malheur de ne pas être thésé, on ne peut pas être docteur junior, donc on ne valide pas sa maquette. Enfin, si on est un interne thésé, donc on est docteur, mais on fait un stage en tant qu’interne et on est payé en tant qu’interne, et – cerise sur le gâteau – on fait des gardes de chef. C’est un statut à n’y rien comprendre.

Benjamin Davido — C’est entre le FFI et l’assistant. C’est un statut « bâtard ».

Pauline Seriot — C’est un statut un peu singulier. Honnêtement, j’ai essayé de le comprendre, de me dire « pourquoi est-ce qu’ils ont fait ça ? » Mis à part mettre en difficulté beaucoup d’internes, je ne vois pas la plus-value.

Benjamin Davido – Cela ne me rassure pas beaucoup pour cette jeunesse grandissante de la médecine. Parce qu’à l’heure du COVID, on a justement besoin de plus en plus de médecins, j’en suis bien conscient et j’en suis bien la preuve. Et j’espère que notre ministre et ses tutelles, et notamment dans le cadre de ce Ségur de la santé, vont continuer à pouvoir nous apporter tout le besoin dont l’hôpital a besoin, car l’hôpital est également malade du COVID.

Pauline Seriot — Je l’espère aussi.

Benjamin Davido – Ce sera le mot de la fin. Merci !

Etudiant.e en médecine en 2021. Dessin Héloïse Chochois

 

Discussion enregistrée le 15 avril 2021

Direction éditoriale : Véronique Duqueroy

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