Pourra-t-on se débarrasser du SARS-CoV-2 ?

Dr Colas Tcherakian

Auteurs et déclarations

12 avril 2021

TRANSCRIPTION

Bonjour, je suis le Dr Colas Tcherakian, pneumologue à l’hôpital Foch et je vais essayer de répondre à une question qu’on me pose beaucoup : « est-ce qu’il y aura un post-COVID ? » Alors, certainement pas au sens où les gens l’entendent, avec un retour à la vie antérieure — ce n’est pas possible aujourd’hui. Mais à la question « pourra-t-on se débarrasser du SARS-CoV-2 ? », je pense qu’on peut aujourd’hui y répondre avec de solides arguments scientifiques.

Épidémiologie

Quand on regarde la courbe de progression des infections et de la mortalité, avec aujourd’hui pratiquement 3 millions de décès dans le monde et 125 millions de personnes atteintes, on voit que la pente de la courbe est linéaire, on n’a pas l’impression qu’elle est en train de s’affaisser. On n’a donc pas le sentiment qu’on va pouvoir sortir de cette épidémie aussi facilement. Et c’est vrai que lorsqu’on regarde l’évolution, en France, du nombre de décès, là encore on voit qu’il y a eu des inflexions dans la courbe générées par les confinements, mais que la courbe augmente de façon inéluctable, avec aujourd’hui quasiment 100 000 morts. Là encore, cela ne donne pas l’impression de voir le bout du tunnel. Et ceux qui veulent être complètement déprimés n’ont qu’à regarder le taux d’admissions journalières et la saturation des lits de réanimation actuels pour avoir tout simplement l’impression qu’on est 1 an en arrière et que rien n’a changé.

Pourtant, les choses bougent doucement et on a des éléments indiquant qu’il va y avoir une fin dans ce processus. Le discours présidentiel nous dit « en mai ». Je crois qu’on peut tout de suite vous le dire : ce ne sera pas en mai, ce n’est pas possible. En revanche, on a des perspectives à plus ou moins court terme.

Comment parvenir à un "post-COVID" ?

Comment peut-on arriver à un post-COVID ? On va d’abord partir du principe qu’on est capable de guérir du COVID — c’est un élément fondamental. Vous savez que 98 % des patients qui font un COVID vont être capables de produire des anticorps neutralisants, et ces personnes ne se réinfecteront pas, car ces anticorps durent dans le temps – pour au moins 1 an, peut-être plus. Et pour 2 % d’entre eux qui ne font pas d’anticorps de type classique IgG, ils peuvent produire des lymphocytes T CD8, capables de tuer les cellules infectées, ou des IgA, que l’on ne détecte pas dans le sang, mais qui sont quand même capables de neutraliser le virus au niveau des muqueuses. Et il faut le retenir, parce que cela a un vrai sens : un patient guéri est un patient protégé.

 
Un patient guéri est un patient protégé.
 

Aujourd’hui, on re-propose la vaccination à partir de six mois, raisonnablement, ou plus. Si je vous dis « on est guéri et on est capable de s’immuniser pour très longtemps », est-ce que cela a un sens de réinjecter un vaccin ? Il a été montré que cela avait un sens, car cela booste l’immunité de façon spectaculaire, et d’ailleurs on ne propose qu’une seule dose aux personnes qui ont déjà fait une infection. On va voir qu’il est essentiellement de se protéger contre les possibles variants qui sont en train d’arriver.

 
On a probablement sous-estimé le seuil d’immunité collective qui permettrait à la vaccination de s’arrêter.
 

Quand on reprend l’état de la vaccination en France, c’est vrai qu’on semble avoir peu avancer — 13 % ou 14 %, voire 15 % des personnes sont immunisées au moment où vous regarderez cette vidéo. Moins de la moitié avec deux doses — et vous voyez qu’on vise 60 % pour atteindre un taux d’immunité collective. En réalité, on a aujourd’hui des arguments pour penser que ce taux d'immunité collective est beaucoup plus haut. On se base par exemple sur ce qui s’est passé à Manaus au Brésil : il y a eu une épidémie, en mai 2020, qui a frappé cette ville de 2 millions habitants. L’infection a terrassé des milliers de personnes et a touché 66 % de la population. On s’est dit, à ce moment-là, que l’infection allait s’arrêter, puisqu’elle avait atteint le seuil que nous avions théoriquement fixé à partir du R0 comme étant le seuil de protection globale de la population, qui fait que l’infection s’arrête. En réalité, l’infection a continué malgré cette proportion de 66 % de personnes atteintes et est montée jusqu’à 76 % pour que l’infection commence à décliner. On s’est rendu compte que, finalement, on avait probablement sous-estimé le seuil d’immunité collective qui permettrait à la vaccination de s’arrêter. C’est très important parce que cela va fixer les objectifs vaccinaux et on se rend compte qu’à 60 %, l’infection ne s’arrêtera pas, ce d’autant plus que le variant anglais est plus agressif, avec un taux d’infectiosité plus important, donc son R0 est plus important et le taux d’immunité collective nécessaire à bloquer l’infection monte proportionnellement. Ces chiffres d'immunité collective à atteindre ne sont donc probablement pas bons – alors, je ne sais pas si c’est 75 % ou plus, mais en tout cas il ne faut pas viser 60 % pour espérer bloquer l’infection. Mais cela n’empêche qu’il y a une possibilité, avec la vaccination, de casser l’épidémie des variants classique et anglais.

 
Il ne faut pas viser 60 % pour espérer bloquer l’infection.
 

Il faut se souvenir que dans la notion d’immunité collective, on comprend les gens qui sont vaccinés, mais aussi les gens qui sont infectés (« un patient infecté est un patient protégé »). Or on a 5 millions de cas confirmés en France — probablement plus — auxquels s’ajoutent les personnes qui ont reçu une vaccination. Si l’on priorise les personnes qui n’ont pas encore été infectées, on peut alors les ajouter aux cas des patients qui ont été déjà infectés, ce qui augmente d’autant plus le nombre de personnes immunisées. Dans la ligne de priorité, il faut clairement mettre en deuxième position les gens qui ont déjà été infectés, en tout cas dans les premiers mois de la maladie, on est sûr qu’ils sont protégés, y compris s’ils ont fait des formes asymptomatiques ou paucisymptomatiques.

 
Dans la ligne de priorité, il faut clairement mettre en deuxième position les gens qui ont déjà été infectés.
 

Les variants

Ceci étant dit, même une fois complètement vaccinée, la population ne sera pas à l’abri — pas complètement, en tout cas — car des variants sont apparus. Le virus qui sévit aujourd’hui en France est un variant du virus chinois et on l’a toujours connu comme cela. Pour nous, c’est notre virus classique, mais il avait déjà muté par rapport à la souche chinoise et l’élément le plus important est qu’évidemment on peut avoir des problèmes de protection vis-à-vis du virus avec les anticorps. En clair, si vous avez été infecté avec une souche, vous risquez de ne pas être protégé contre une autre. Donc c’est tout à fait naturel que ce virus mute et c’est tout à fait normal qu’il y ait des mutants qui aient été reconnus dans chaque pays. Mais initialement, quand vous étiez infecté aux États-Unis et que vous veniez en France, vous étiez protégé contre le virus qui tournait en France. Les variants n’avaient pas d’impact sur l’immunité. Aujourd’hui, c’est faux. Alors que le virus classique et le virus anglais partagent suffisamment d’épitopes en commun pour que nos anticorps acquis contre l’un nous protègent de l’autre, ce n’est pas vrai pour les variants sud-africain et brésilien, et une mutation dont je vais vous parler qui est la N439K.

Aujourd’hui le variant britannique a pris toute la place parce qu’il a un pouvoir d’infection supérieur au variant classique, et donc par définition c’est normal qu’il s’étende. Mais il existe aussi des variants sud-africain et brésilien qui sont aujourd’hui très minoritaires. Mais ils ne vont pas le rester. Une fois que vous allez avoir vacciné toute la population, ou comme à Manaus atteint une immunité de groupe, vous vous dites que vous êtes tranquille. C’est ce qui s’est passé, sauf qu’à ce moment-là, la pression de sélection a fait émerger un variant, le variant P1 avec une mutation qui s’appelle E484K, qui s’est dispersé dans la population et a été responsable d’une nouvelle épidémie, car il n’y avait pas d’anticorps qui croisaient correctement ; donc vous n’étiez pas protégé contre cette nouvelle mutation. Cette mutation est dans le domaine RBD, qui est le domaine qui permet à la protéine virale de se fixer au récepteur ACE 2. Vous allez me dire « c’est la catastrophe. » Effectivement, pour arriver à un taux d’anticorps neutralisant le variant sud-africain, il faudrait produire six fois plus d’anticorps pour avoir une chance d’arriver à le bloquer. C’est un peu moins pour le variant brésilien. Concernant le variant anglais, les anticorps contre le virus classique arrivent à le bloquer sans avoir besoin d’augmenter la production d’anticorps. En clair, on est protégé contre le variant anglais. Si le variant anglais récupère la mutation E484K, que l’on a retrouvée chez le variant brésilien, à ce moment-là, on va se retrouver comme si on était face à un variant brésilien et il est inéluctable que vous sélectionnez, une fois que vous êtes immunisé, les variants qui échappent à votre système immunitaire — c’est physiologique, c’est la même chose pour les bactéries.

 
Non. Il n’y a pas, pour le SARS-CoV-2, des possibilités infinies de variants.
 

Mais la question est : les variants du virus sont-ils infinis ? Non. Il n’y a pas, pour le SARS-CoV-2, des possibilités infinies. On le sait parce qu’on voit émerger à tous les points du globe les mêmes variants. Cela veut dire que sous la pression de sélection du système immunitaire, une fois que vous êtes vacciné ou une fois que vous avez déjà été infecté, les possibilités pour qu’il trouve une protéine qui arrive quand même à se fixer à votre récepteur ACE 2 et qui puisse échapper quand même aux anticorps, cette formule ne lui laisse pas une possibilité infinie. Et vous voyez que dans les mutations, la dernière qui est apparue qui lui permet de s’échapper du système immunitaire, c’est cette fameuse mutation N439K. Mais encore une fois, avec les mutations observées chez les Brésiliens, chez l’anglais muté à son tour, vous voyez que ce sont toujours les mêmes mutations. Donc ces mutations, on peut les intégrer dans un nouveau vaccin qui nous permettra de nous débarrasser définitivement du virus. Donc oui, il est possible de se débarrasser du virus sous réserve de faire un deuxième tour de vaccination.

 
Oui, il est possible de se débarrasser du virus sous réserve de faire un deuxième tour de vaccination.
 

Ne pas refaire l’erreur de l’été 2020

Ce qu’il ne faut pas faire, entre-temps, c’est reproduire l’erreur de l’été 2020. Aujourd’hui il fait beau, les jeunes en ont marre, ils se réunissent dans les parcs. Or à l’été 2020, il s’était passé exactement la même chose et quand les jeunes sont rentrés à la maison, ils ont contaminé leurs parents, puis leurs grands-parents, ce qui a conduit à la deuxième vague. Il faut donc essayer de juguler la circulation du virus chez les jeunes, ce d’autant que, plus le virus circule, plus la probabilité de mutation est importante et donc plus on a de chances de perdre la course avant le deuxième tour de vaccination.

Ensuite, il ne faut pas arrêter les gestes barrières. Quand vous avez été infecté, vous devez garder les mêmes gestes barrières, car si vous avez été vacciné, vous pouvez attraper le virus dans une forme peu symptomatique. Vous serez probablement contagieux, mais pouvez transitoirement passer le virus, même si vous ne faites pas une forme grave. Donc, encore une fois, à cause des variants potentiels, vous devez garder les gestes barrières même si vous avez été vacciné et ou infecté.

 
À cause des variants potentiels, vous devez garder les gestes barrières même si vous avez été vacciné et ou infecté.
 

Conclusion

La chose à faire, clairement, est d’augmenter la pression sur les gestes barrières avec au minimum des masques chirurgicaux et probablement des FFP2, car je rappelle que le variant anglais est 60 % plus infectieux que le variant classique ; il faut donc augmenter de 60 % les barrières pour arriver à le juguler.

L’élément essentiel est qu’il faudra accepter de se faire vacciner une deuxième fois, avec les mutants dont j'ai parlé, car on les a identifiés. Mais la somme des mutations n’est pas infinie. On les a, on les a déjà incorporées dans des vaccins, mais il faut les produire, et surtout, il faudra revacciner le monde entier. À ce terme, on aura éradiqué le SARS-CoV-2. C’est la bonne nouvelle. En attendant, on peut bien dire qu’il y aura un post-COVID, on peut dire qu’on va éradiquer le SARS-CoV-2, mais ce ne sera pas avant 18 mois, donc probablement pas avant l’été 2022 ; entre-temps il faut maintenir les gestes barrières pour diminuer les épidémies, car plus les épidémies sont importantes, plus la probabilité de variants est importante, et on se retrouverait à nouveau démuni si les variants circulaient trop vite.

 
On peut effectivement dire qu’il y aura un "post-COVID", qu’on va éradiquer le SARS-CoV-2, mais ce ne sera pas avant 18 mois, donc probablement pas avant l’été 2022.
 

Je vous remercie pour votre attention.

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....