Pilote d’avion ou cardiologue interventionnel : qui est le plus à risque d’irradiation?

Dr Nathanael Auquier, Dr Walid Amara

Auteurs et déclarations

29 mars 2021

COLLABORATION EDITORIALE

Medscape &

Comment coronarographistes et rythmologues interventionnels se protègent-ils contre le risque d’irradiation lors des procédures ? Tour d’horizon de la pratique au quotidien avec Nathanael Auquier et Walid Amara, en partenariat Medscape & Collège National des Cardiologues des Hôpitaux (CNCH) .

TRANSCRIPTION

Nathanael Auquier – Bonjour, je suis Nathanael Auquier, rythmologue interventionnel à l’hôpital du Havre, et nous allons parler aujourd’hui des risques de l’irradiation en cardiologie interventionnelle, avec Walid Amar, cardiologue à Montfermeil et responsable de l’unité de rythmologie du CNCH. La question que je te pose aujourd’hui Walid est : en tant que rythmologue interventionnel, suis-je plus exposé aux rayons que mes collègues coronarographistes ou que mes amis qui pratiquent l’aviation ? Ou sont-ils eux-mêmes plus à risque que moi ?

Walid Amara — J’adore cette question !

  • Premièrement : « est-ce plus dangereux d’être un cardiologue interventionnel qu’un rythmologue interventionnel ? » La réponse est que la coronarographie reste encore plus irradiante. Pourquoi ? Parce que les coronarographistes font de la graphie ― c'est un facteur important qui irradie plus ― et parce que nous, rythmologues, avons des outils qui nous permettent de réduire cette irradiation.

  • Deuxièmement : « est-il plus dangereux d’être pilote d’avion que cardiologue ou rythmologue interventionnel ? » Il est plus dangereux d’être un pilote d’avion ! Je me suis en effet "amusé" à prendre mon dosimètre opérationnel sur un vol long-courrier et je prenais quasiment 1 µSv par heure (ce que le dosimètre prend en passif quasiment sur 24 heures). Tu ne prends jamais 1 µSv sous le tablier de plomb, même sur une utilisation durant une journée entière. Donc oui, c’est plus dangereux de voler, et les pilotes ne peuvent pas mettre de camisole et ils sont vraiment plus proches du soleil, tout simplement.

Les outils de protection en rythmologie

Nathanael Auquier – Quels sont les outils permettant de réduire l’irradiation, notamment en rythmologie ?

Walid Amara — On pense tous à la cartographie lors des ablations de la FA. On regarde plus souvent notre carte, et ce GPS 3D de l’oreillette ou de ventricule nous permet de moins utiliser la pédale de rayons X.

Deuxièmement, on a appris, grâce à l’étude de Paul Bru au sein du groupe du CNCH, que chez des opérateurs qui mettaient le dosimètre sous le tablier et à l’extérieur du tablier lors des procédures (c’était, à l’époque, des pacemakers et des triples chambres et défibrillateurs, mais il n’y avait pas d’ablation), l’un des facteurs les plus discriminants sur l’irradiation était la triple chambre, mais également la qualité de la machine. Plus vous allez convaincre votre directeur de changer de machine, plus vous allez avoir des machines moins irradiantes d’une part, et d’autre part vous allez pouvoir les régler pour faire moins de pulse par seconde. Par exemple, sur beaucoup de procédures, je fais maintenant du 2 pulse par seconde, ce qu’on ne peut pas faire en coro. Cela me permet de moins m’irradier.

Opérateur réalisant une ablation, habillé d’une tenue plombée, d’un cache thyroïde et utilisant une suspension plombée qui le sépare de l’amplificateur de brillance (Source : Dr Walid Amara)

Enfin, il y a des outils que je n’ai pas encore, qui sont par exemple les cages. On peut être à l’intérieur d’une cage accrochée au plafond ou une cage en verre qui a 2 mm de plomb ― notre tablier est du 0,5 devant et 0,25 derrière, donc là, au lieu d’être à 0,5, on serait à l’intérieur d’une cage de 2 mm de plomb et qui nous protégerait donc encore de manière significative.

Nathanael Auquier – Concernant les protections au niveau du cristallin, entre le recours à un casque ou à des lunettes plombées, as-tu une préférence ? Qu’est-ce que tu utilises ?

Walid Amara — J’utilise les lunettes plombées parce qu'elles sont adaptées à ma vue (car je porte des lunettes). Les premières lunettes que j'ai eues, c’est une association du service qui les a payées. Les prochaines seront payées par l’hôpital. Elles ont l’inconvénient d’être lourdes, elles ont tendance à ne plus tenir et on est obligé de me les repositionner plusieurs fois. J’ai utilisé le casque, mais il a tendance à être un peu serré. J’utilise également un calot plombé maintenant en routine — je ne peux plus m’en passer. Il me permet d’avoir du 0,5 mm de plomb pour protéger le peu de neurones que j’ai. L’inconvénient du casque est qu’on peut toucher l’ampli brillance avec, donc je le ne trouve pas très pratique. Finalement je l’utilise peu.

Donc j'utilise les lunettes plombées, le calot plombé, et bien sûr des suspensions. C’est dommage de ne pas les utiliser sur de l’électrophysiologie. Sur le pacemaker, malheureusement, on ne peut pas les utiliser, mais en coro, ils les utilisent systématiquement. Mais c’est vrai que maintenant tous mes collègues se sont mis, à force de me voir travailler, à les utiliser également.

Nathanael Auquier – Et le cache-thyroïde, est-ce que c’est quelque chose que tu utilises couramment ou que tu ne portes plus parce que, à ma connaissance, il est recommandé de le porter au moins jusque 30 ans et qu'après c’est un peu au cas par cas ?

Walid Amara – C’est une excellente question. Aujourd’hui je voyais un collègue du CHU de Bordeaux qui a posté un nouveau pacemaker qu’il avait implanté, mais j’ai vu qu’il ne mettait pas de cache-thyroïde. Et c’est vrai que je pense qu’il n’est pas indispensable. Mais pour moi, cela fait partie de ma routine. Mon cache-thyroïde, mon calot plombé, tout ça fait partie de ma routine. Je mets le cache-thyroide quasiment toute la journée quand je suis au bloc, même si finalement je n’ai pas de rayons. Donc je ne me pose pas de questions, mais c’est vrai que probablement on pourrait s’en passer. Qui peut le plus peut le moins. J’ai même maintenant mon tablier de plomb qui est en manches courtes – pour la plupart d’entre vous, vous en portez jusqu'aux épaules, moi j’ai réussi à en avoir un en manches jusqu'à la saillie du coude) ce qui n’est quand même pas mal. Avec l’équipe du CNCH, on avait vu qu’on prenait quand même du 4,5 µSv en dehors du tablier, c’est-à-dire au niveau des bras, au niveau des mains, au niveau du visage. C’est quand même assez inquiétant, donc autant se protéger.

 
Avec l’équipe du CNCH, on avait vu qu’on prenait quand même du 4,5 µSv en dehors du tablier. Dr Walid Amara
 

Nathanael Auquier – Dans mon établissement, ils nous incitent fortement à porter des capteurs pour le cristallin, mais aussi une bague plombée. C’est quelque chose sur lequel je me pose beaucoup de questions, puisqu’on sait bien que le fait de porter une bague augmente le risque infectieux. Quand on met une prothèse, on n’aime pas augmenter le risque infectieux, cependant la porter que pour l’ablation mais pas pour l’implantation, c’est aberrant, on fausse tous les résultats. Quel serait ton point de vue ? Est-ce que tu en portes une ? Ou est-ce que tu en porterais ?

Walid Amara – J’ai arrêté de porter la bague plombée, justement pour les problèmes que tu cites. En fait, on m’a expliqué que je pourrais peut-être mettre la bague plombée pour quelques procédures type, ce qui permettrait à mon personnel compétent en radioprotection d’avoir une idée de combien je prends habituellement. Je ne l’ai pas encore fait, mais je pense le faire.

Sur le capteur du cristallin : la prochaine paire de lunettes que j’ai demandée a un capteur qu’on peut mettre directement sur la paire de lunettes, ce qui me permettra de mesurer directement ce que je prends à ce niveau-là. Je n’ai jamais utilisé de capteur de cristallin, mais il existe un modèle qui permet de mettre le capteur directement sur les lunettes.

La formation continue

Nathanael Auquier – Parfait. Et est-ce que tu pourrais rappeler les textes de loi qui encadrent la formation en continu et la mise au niveau, à la fois pour le praticien, le personnel paramédical et le patient lui-même ?

Walid Amara — Beaucoup d’établissements sont à nouveau en phase d’accréditation et effectivement il y a des règles de protection. Nous sommes des personnels de catégorie A et nous devons donc recevoir une formation qui est celle de la radioprotection pour la radioprotection des travailleurs — elle n’est faite qu’une fois tous les trois ans — et qui est assez souple, parce que vous pouvez la faire directement dans votre hôpital. Elle dure moins d’une heure, le PCR ne le fait pas uniquement pour les médecins, mais aussi pour tous les paramédicaux et les internes. Comme c’est assez souple, c’est fait de manière très régulière.

La formation qui est un peu plus lourde est celle de la radioprotection-patient — à ma connaissance, ce ne sont que les opérateurs qui la font, et bien sûr je l’ai faite. Elle est valable 10 ans. À l’époque, nous étions obligés de la faire de manière présentielle, et cela nous prenait une journée et demie. La dernière que j’ai suivie, avant même le COVID, était en ligne, donc c’est assez pratique parce qu’on n’a pas le temps, maintenant, de passer une journée et demie en formation. On assiste à tout en ligne, on répond à des QCM, on valide cette formation et on a notre attestation, qui est importante, qui nous est demandée et qui est obligatoire pour tout opérateur qui travaille avec des rayons X. Donc en résumé, ce sont deux formations : travailleur tous les trois ans et patient tous les 10 ans.

Nathanael Auquier – Très bien. Walid, je te remercie pour ces réponses très claires qui nous permettent de nous rassurer sur notre activité au quotidien.

Discussion enregistrée le 27 mars 2021

Direction éditoriale : Véronique Duqueroy

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