Dépression bipolaire sévère: le traitement par électroconvulsivothérapie fait ses preuves

Vincent Richeux

Auteurs et déclarations

17 février 2021

Virtuel — Selon de nouvelles études, le traitement de la dépression sévère par électrochocs (électroconvulsivothérapie) est encore plus efficace chez les patients bipolaires, en particulier les plus âgés. Ces résultats, qui contribuent à valoriser une thérapie mal considérée, ont été présentés lors d’une session du congrès virtuel Encéphale 2021 , consacrée aux nouveautés dans la prise en charge du trouble bipolaire [1].

« L’électroconvulsivothérapie a prouvé son efficacité dans la prise en charge de la dépression bipolaire » et se présente comme « un traitement de choix » dans cette indication, a affirmé le Dr Clelia Quiles (unité de psychiatrie adulte, CH Charles Perrens, Bordeaux), lors de sa présentation. Selon la psychiatre, cette approche pourrait même être proposée en première intention, surtout dans les situations d’urgence, lorsqu’il existe un risque suicidaire élevé.

Egalement connue sous le nom de sismothérapie, l’électroconvulsivothérapie (ECT) consiste à envoyer dans la zone frontale du cerveau un bref courant électrique, à l’aide d’électrodes placées au niveau des tempes. L’objectif est de déclencher une crise convulsive généralisée. La thérapie est pratiquée pendant une anesthésie générale d’une dizaine de minutes.

Il est encore difficile d’expliquer l’effet de ces impulsions électriques sur le cerveau. Selon certains chercheurs, les mécanismes mis en jeu par le système nerveux pour stopper les crises convulsives auraient un effet sur les circuits neuronaux impliqués dans la dépression. D’autres estiment que le bénéfice est lié à la libération importante de neurotransmetteurs pendant les convulsions.

Egalement indiqué dans les phases maniaques

L’ECT est indiqué dans le traitement en urgence de la dépression, dans les formes agitées et anxieuses, les mélancolies délirantes et en cas de catatonie. Elle est aussi indiquée en cas de dépression résistante et chez les sujets plus vulnérables au traitement pharmacologique, comme les patients âgés ou les femmes enceintes.

Après une session de 12 séances, on estime que 70 à 80% des patients en dépression sévère répondent au traitement. Un résultat bien supérieur à ceux obtenus avec les antidépresseurs, surtout dans le cas de la dépression bipolaire, qui s’avère particulièrement résistante au traitement médicamenteux.

Si le traitement a trouvé sa place dans la prise en charge de la dépression résistante, les données concernant la dépression bipolaire restent assez limitées, a souligné Dr Quiles. Le manque d’études évaluant l’ECT dans cette indication est souvent justifiée par la crainte de provoquer un virage de l’humeur, en la faisant basculer vers la phase maniaque.

Pourtant, « il est important de souligner que l’ECT est aussi un traitement de l’épisode maniaque » du trouble bipolaire, a tenu à rappeler la psychiatre, qui est également responsable de l’unité ECT du centre hospitalier bordelais. En cas de virage maniaque sous électrostimulation, il est recommandé de ne pas stopper le traitement, mais au contraire le poursuivre, « ce qui stabilisera l’humeur ».

Malgré une littérature peu abondante, « l’ECT a montré son efficacité dans toutes les phases du trouble bipolaire » et cette option thérapeutique trouve désormais sa place dans les recommandations sur la prise en charge du trouble bipolaire, mais en deuxième ou troisième intention, après échec des traitements médicamenteux.

Réponse plus rapide au traitement

Une récente méta-analyse est venue confirmer son intérêt en montrant une supériorité dans le traitement de la dépression bipolaire sévère, par rapport à la dépression non bipolaire [2]. L’analyse, qui porte sur un 19 études pour un total de 1 626 patients, révèle en effet un taux de réponse au traitement de 77% chez les patients bipolaires, contre 74% chez les non bipolaires.

La réponse au traitement était définie par une diminution de moitié du score de l’échelle de dépression de Montgomery-Åsberg Depression Rating Scale (MADRS) ou de Hamilton (HAM-D). Le nombre moyen de séances d’ECT nécessaires pour obtenir une réponse est également apparu plus faible dans le cas de patients bipolaires.

Les résultats de cette méta-analyse montre que « le traitement par ECT donne une réponse plus rapide dans la dépression bipolaire que dans la dépression non bipolaire », souligne le Dr Quiles.

Une autre étude, tout aussi récente, a permis de mieux définir le profil des patients répondeurs [3]. Menée en Suède, elle a inclus 1 251 patients hospitalisés et traités par ECT, entre 2011 et 2016, pour un épisode dépressif bipolaire. La réponse au traitement était définie par une hausse de 1 ou 2 points du score CGI-I (Clinical Global Impression-Improvement).

L’étude a rapporté un taux de réponse moyen de plus de 80%. Un résultat qui confirme une « excellente efficacité » de l’ECT dans le traitement de la dépression bipolaire, a souligné le Dr Quiles. Une analyse complémentaire montre que ce sont surtout les patients les plus âgés qui répondent le mieux au traitement par électrochocs.

Le lithium en post-ECT

En revanche, la thérapie est moins efficace chez les patients qui souffrent également d’un trouble de la personnalité ou d’un trouble obsessionnel compulsif. De même, un antécédent de traitement par lamotrigine (Lamictal®), un médicament indiqué à la fois dans la prévention des crises épileptiques et des épisodes dépressifs, est associée à une efficacité moindre de l’ECT dans la dépression bipolaire.

« Un antécédent de traitement par lamotrigine apparait dans cette étude comme un marqueur de forte résistance », puisque cela sous-entend que le médicament a été abandonné au profit de molécules plus efficaces, a précisé la praticienne. Pour autant, ce traitement largement utilisé pour stabiliser l’humeur n’est pas en lui-même, selon elle, une contre-indication à l’électrostimulation, bien au contraire : « beaucoup d’études montrent que la lamotrigine potentialise l’efficacité de l’ECT ».

« Je ne vois pas d’inconvénient à associer la lamotrigine » au traitement par électrostimulation, a indiqué le Dr Quiles, au cours d’un échange virtuel avec les participants. En dessous de 200 mg par jour, « la lamotrigine modifie peu les paramètres de stimulation » à l'inverse du divalproate de sodium (Dépakote®) ou du carbamazépine (Tégretol®).

Concernant le traitement d’entretien, « il est pertinent de maintenir l’ECT en espaçant progressivement les séances », précise le Dr Quiles. En post-ECT, « le traitement par lithium est celui qui a montré la meilleure efficacité » pour prévenir le risque de rechute.

Amnésie antérograde transitoire

L’électroconvulsivothérapie a toutefois l’inconvénient de provoquer des altérations cognitives, en majorité une amnésie de type rétrograde. « Les patients ont des difficultés à se souvenir de la période pendant laquelle l’ECT a été réalisée. » Si les amnésies antérogrades semblent transitoires, celles de type rétrogrades peuvent se maintenir, « même des années plus tard ».

Malgré son efficacité de plus en plus avérée, cette approche reste associée à des représentations négatives, qui amènent à restreindre son utilisation et à la considérer comme une option de dernier recours. « Il est dommage que ces représentations persistent alors que le traitement est standardisé et quasiment sans risque », souligne la psychiatre. Le risque est essentiellement lié à l’anesthésie générale.

A l’unité de psychiatrie adulte du CH Charles Perrens de Bordeaux, une consultation pré-ECT est organisée pour rassurer le patient, a indiqué le Dr Quiles. « Souvent, on leur fait visiter l’unité et on leur montre également la procédure », avant d’initier le traitement.

 

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