Virtuel, Paris – D’un diagnostic difficile et en mal de recommandations thérapeutiques, l’insuffisance cardiaque (IC) à fraction d’éjection préservée (IC FEP) a fait l’objet d’une session Live et d’une plage d’Actualités lors des dernières Journées européennes de la Société Française de Cardiologie (eJESFC).
Quels moyens pour en faire le diagnostic, quels en sont mécanismes sous-jacents, quels facteurs associés, comment la traiter ? Telles étaient les questions clés de la séance en Live [1] présidée par les Pr D Logeart (Paris) et Ariel Cohen (Paris ), président de la SFC.
Deux nouveaux algorithmes diagnostiques
Comment faire le diagnostic de cette maladie aux symptômes peu spécifiques ? En 2018, l’équipe de la Mayo Clinic a établi un score diagnostique H2FPEF qui a l’avantage de sa simplicité mnémotechnique, a indiqué le Dr Jean-Christophe Eicher, cardiologue au CHU de Dijon [3]. Il a été rejoint dans la foulée par l’HFA PEF1F2, un algorithme, plus complexe, en quatre étapes, nécessitant le recours au Pocket Guidelines mis au point par l’Heart Failure Association et l’European Society of Cardiology [4] . (Voir encadré "Deux scores diagnostiques" en fin de texte).
Pour le Dr Eicher, « les performances de ces algorithmes sont correctes mais loin d’être parfaites. L’idée serait peut-être de combiner les deux et dans l’avenir de phénotyper les patients pour savoir quel type d’algorithme utiliser pour quel patient […] Mais, malgré leur discordance, ces deux scores présentent l’avantage de mieux définir l’IC FEP et de proposer un facteur pronostique.
La discordance entre ces deux scores – de l’ordre de 40% – tient surtout à la fibrillation auriculaire (FA) et à l’indice de masse corporelle (IMC) ce qui fait qu’on penser qu’il faudrait phénotyper les patients [5]. « La valeur prédictive positive de ces scores est importante (98%), a commenté le Dr J-C Eicher. En outre, quand ils sont élevés, ces scores ont une signification pronostique péjorative. A contrario, un score faible a une valeur prédictive négative médiocre 73%. Soit 27% de faux négatifs ».
Les patients, un tiers, environ, dont le score est dans la zone intermédiaire, vont devoir passer par une étape fonctionnelle : tests d’effort et parfois le recours à l’hémodynamique vont être nécessaires pour établir le diagnostic de l’IC FEP [6].
A la question de savoir si ces scores ont amélioré la pratique clinique pour le diagnostic de ces patients, le Dr Eicher répond : « je crois que ça aide. Ces scores ont l’avantage de supprimer le diagnostic dichotomique. Ils permettent, en outre, d’aller plus loin vers l’évaluation fonctionnelle avec l’écho d’effort pour dépister le stress diastolique. De surcroit, ils prennent en compte les comorbidités ».
Le phénotypage de l’IC FEP pourquoi et comment ?
Sachant que l’absence de réponse au traitement de l’IC FEP est due à son hétérogénéité, faut-il phénotyper l’IC FEP et comment ?
En bref, la réponse est oui. [Notons que l’algorithme HFA PEF 1 F 2 a l’intérêt d’inclure le bilan étiologique de l’IC FEP ]
Pour le Pr Richard Isnard (Pitié-Salpêtrière, Paris), il faut, en premier lieu, dépister les atteintes myocardiques spécifiques quelles soient ischémiques, toxiques, inflammatoires, infiltratives mais aussi l’hypertension artérielle (HTA) et l’insuffisance rénale car ce sont autant de causes potentiellement accessibles à un traitement.
Pour avancer dans le diagnostic, les outils dont on dispose sont l’épreuve d’effort ergométrique ou échocardiographique qui permet d’évaluer une ischémie, la présence d’une l’HTA et le défaut de la fonction chronotrope fréquent dans l’IC FEP. L’IRM cardiaque complétant l’échocardiogramme, permettra de trouver une cause potentielle dans 27% des cas (de type ischémie ou amylose) d’après l’étude de Kanagala et coll. (J cardiovasc Mag Res 2018).
Dans ce dernier cas, la scintigraphie au technétium 99 permet de dépister une amylose à transthyrétine dans 13-15 % des cas d’IC FEP. Elle fait partie du bilan depuis 2015, date de la publication originale [7]. Le profil de ces patients est particulier : plus âgés, de sexe masculin, l’hypertrophie pariétale plus marquée bas voltage à l’ECG et le BNP très élevé.
Au final, en recourant à l’intelligence artificielle et aux algorithmes (phenomapping), Shah et coll. ont isolé 3 sous-groupes de patients à IC FEP aux profils et pronostics différents [8]:
Groupe 1 : patients jeunes avec BNP peu élevé
Groupe 2 : Obésité, diabète, apnée du sommeil
Groupe 3 : âgés, insuffisance rénale chronique, BNP élevé, score MAGGIC plus élevé.
Finalement, en croisant un phénotype qui prédispose à l’IC FEP (grande obésité, diabète, l’HTA, les dysfonctions rénales, les coronaropathies) avec la présentation clinique (congestion pulmonaire, insuffisance chronotrope, déconditionnement, FA) il devient possible de trouver des profils différents et de personnaliser la prise en charge de ces patients.
Quid du lien entre fibrillation auriculaire et IC FEP ?
Pour le Pr Isnard, il y a un rapport certain, essentiel entre ces deux affections. Elles sont intimement liées, en témoigne le fait que 25% des patients ayant une IC FEP souffrent d’une FA. Chez les patients qui se présentent avec une dyspnée d’effort et une FA (permanente ou paroxystique), on retrouve une IC FEP sous-jacente chez nombre d’entre eux. Quant à savoir lequel précède l’autre…
En conclusion, le Pr Richard Isnard indique que : « le phénotypage de l’IC FEP est crucial pour la prise en charge de l’affection, il passe par l’évaluation clinique et les tests additionnels notamment effectués à l’effort. »
L’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée est-elle une maladie inflammatoire ?
Pour le Dr Pierre-Vladimir Ennezat (Créteil), en dehors des affections spécifiques, l’IC FEP est le résultat d’une rigidité artérielle qui aboutit finalement à un remodelage myocardique concentrique, puis à la dysfonction cardiaque. Selon lui, « l’inactivité physique et la malnutrition sont les deux causes majeures de survenue d’une IC FEP. Le tissu adipeux abdominal provoque fatigue, fonte musculaire qui accentuent l’obésité générant un cercle vicieux responsable de l’IC FEP ! ».
Il poursuit « le processus inflammatoire initié par l’adipocytokine émanant du tissu graisseux abdominal et l’hyperinsulinisme provoquent un effet anti-NO, initient un stress oxydatif générateurs de fibrose et d’une inflammation myocardique retrouvés dans les biopsies des patients ayant une IC FEP. »
L’activation des récepteurs minéralocorticoïdes est source d’inflammation. Les comorbidités HTA, insuffisance rénale sont des facteurs de rigidité myocardique [9].
« Y a-t-il un traitement ? » Oui, assure-t-il « l’activité physique régulière, l’alimentation et le traitement par les inhibiteurs des minéralocorticoïdes malgré les résultats mitigés de TOPCAT [10] ».
La recherche d’une inflammation chez ces patients peut influencer la prise en charge clinique ? « Effectivement, demander en routine certains tests inflammatoire permet de distinguer différents phénotypes » confirme le Dr Ennezat et de conclure « il n’y a pas assez de personnalisation dans le traitement de l’IC FEP ».
Personnaliser la prise en charge
Pour le Dr Guillaume Jondeau (Hôpital Bichat, Paris) : « il n’y a pas d’étude pour démontrer le bénéfice du traitement médical dans l’IC FEP, l’activation hormonale contrairement à l’IC FER, n’a pas un rôle important.» Il s’agit d’une affection hétérogène dont la cause est le plus souvent extracardiaque.
En dehors des affections myocardiques propres (ischémie, infiltration, amylose, maladie de Fabry, cardiomyopathie hypertrophique), l’IC FEP est surtout une maladie des vaisseaux liée à leur rigidité, provoquée par l’âge, le diabète et surtout l’HTA.
C’est donc un traitement par étape, prenant en compte l’organe défaillant et les comorbidités, qu’il faudra traiter directement car nous avons peu d’impact sur la dysfonction cardiaque, considère l’orateur.
Il faut traiter l’HTA notamment. L’étude HYVET a bien montré une régression des poussées d’IC chez les sujets âgés quand on traite l’HTA systolique [11]. « Il faut traiter l’HTA avec le médicament que l’on connait, celui que le malade supporte… » assure le Dr Jondeau.
Il faut aussi prendre en charge la fibrillation auriculaire qui est très souvent associée à l’IC FEP. A défaut d’obtenir un rythme sinusal, on doit réduire la cadence. L’holter rythmique joue un grand rôle dans la surveillance.
Autre cible thérapeutique : la maladie rénale par néphro-angiosclérose ou par autre mécanisme, qui est responsable d’une hypervolémie, qu’il faudra corriger par diurétiques notamment la spironolactone en vérifiant de près la kaliémie. Il faut proscrire les anti inflammatoires non stéroïdiens.
Enfin, il ne faut pas omettre le traitement martial qu’il y ait ou non une anémie.
Le Dr Jondeau poursuit « la surveillance de la volémie est un point très important chez ces patients qui supportent aussi mal l’hypervolémie que la déshydratation ». La modification des diurétiques va être fréquente et pour s’aider on peut mesurer en continu de la pression artérielle pulmonaire par le système implanté Cardiomens*. L’étude CHAMPION a démontré son efficacité pour réduire les hospitalisations par IC [12].
Enfin, l’obésité et le déconditionnement musculaire doivent être pris en charge activement [13].
Pour conclure, Guillaume Jondeau a définitivement établi que le traitement ne devait pas être le même pour tous, mais qu’au contraire, le traitement devait être absolument personnalisé.
Quant à savoir si les inhibiteurs de la SGLT 2 ont leur place dans ce traitement, le Dr Jondeau a considéré que « compte tenu de l’effet délétère de l’hypervolémie et de la grande sensibilité au traitement diurétique de ces patients, je pense que le traitement avec cette classe devrait avoir une place ».
Deux scores diagnostiques
Algorithme de la Mayo Clinic :H2FPEF.
Probabilité faible 0-1. Intermédiaire 2-5, Forte 6-9.
H Hypertension artérielle >= 2 produits : |
1 point |
H obésité BMI >30kg/m² : |
2 points |
F Fibrillation auriculaire : |
3 points |
P hypertension pulmonaire >35mmHg |
1 point |
E Age : > 60 ans |
1 point |
F Pression remplissage :E/e’>9 |
1point |

E* répartition en critères fonctionnels et biomarqueurs soit forts (2 points chaque) soit faibles (1 point) Un score >= 5 signe l’IC FEP.
Liens d’intérêts. J-C. Eicher: Pfizer, Corvia, Amgen, Astra Zeneca, Bayer, Boehringer, Vifor.
R. Isnard: Servier, Novartis, Bayer, Pfizer, Vifor, Boehringer.
P-V. Ennezat et G. Jondeau: pas de lien d’intérêt.
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Citer cet article: Insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée : où en est-on? - Medscape - 15 févr 2021.
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