COVID-19 : guérir l’anosmie en entrainant l’odorat

Siobhan Harris

8 février 2021

Londres, Royaume-Uni – La perte de l'odorat est un symptôme révélateur et courant de l'infection par le SARS-CoV-2. Si elle ne met pas la vie en danger, l'anosmie peut tout de même impacter fortement le quotidien, surtout si elle persiste pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois.

Comme les médecins sont soumis à une forte pression en raison de la pandémie, un programme gratuit de formation en ligne appelé NoseWell a été mis au point à destination des patients du Royaume-Uni. Visant à entrainer l'odorat, il est le fruit d'une collaboration entre la BRS (Société britannique de rhinologie), l’ENT UK (Société britannique de chirurgiens ORL) et l'association caritative AbScent.

Medscape UK s'est entretenu avec le Pr Claire Hopkins (ORL au King's College London et présidente de la BRS) sur l'anosmie et sur l'entraînement olfactif.

Medscape UK : Quand la perte d'odorat est-elle apparue comme un symptôme possible du Covid-19 ?

Pr Claire Hopkins : Vers la mi-mars, j'ai commencé à constater une augmentation spectaculaire du nombre de personnes se présentant avec une perte soudaine de l'odorat. Ils n'avaient pas d'autres symptômes, pas de toux ni de fièvre, mais certains souffraient d'une légère grippe ou signalaient un voyage – mais ni en Chine, ni en Italie. J'en ai discuté avec des confrères de France, d'Italie et des États-Unis, et nous avons tous constaté cette augmentation. Ainsi par exemple, des confrères de première ligne en Italie ont perdu leur odorat sans aucun autre symptôme d'infection par le SARS-CoV-2.

Avec la majorité des virus, la perte de l'odorat n'affecte qu'1% des personnes infectées. C'était inhabituel ici, en ce sens que cette perte est généralement associée à une congestion nasale et à une rhinorrhée. Nous avons très rapidement réalisé qu'il s'agissait peut-être d'un marqueur très important du Covid-19.

À partir de la mi-mars, j'ai entamé des discussions avec le Public Health England [agence gouvernementale de santé britannique] et j'ai commencé à collecter des données. L'un des premiers articles que nous avons publiés (dans le JAMA) portait sur 200 patients diagnostiqués Covid-19, et dont 60 % avaient déclaré une perte soudaine de l'odorat. Des équipes ont recueilli des données très similaires dans les différentes régions du globe. Il est ainsi très vite apparu que la perte de l'odorat était bien l'un des symptômes les plus courants du Covid-19, et aussi – surtout – son meilleur prédicteur.

De nombreuses causes peuvent expliquer une fièvre ou une toux mais, en dehors d'une blessure à la tête, très peu provoquent une anosmie soudaine.

Nous avons pu montrer qu'actuellement le Covid-19 était responsable d'au moins 95% des cas de perte soudaine de l'odorat. C'est donc un bon marqueur de l'infection, et il est probablement encore plus fiable qu'un test Covid, qui peut donner des faux négatifs.

 
Perte soudaine de l'odorat est un bon marqueur de l'infection probablement encore plus fiable qu'un test Covid, qui peut donner des faux négatifs.
 

Medscape UK : Quand la perte d'odorat a-t-elle été officiellement reconnue comme symptôme possible de Covid-19 ?

Pr Hopkins : L'OMS l'a reconnue comme tel en avril dernier, mais la Santé publique britannique ne l'a pas fait avant le 18 mai. Nous avons été l'un des derniers pays à le reconnaître officiellement, alors qu'une grande partie des recherches avaient été effectuées au Royaume-Uni.

Medscape UK : Quelle proportion de personnes atteintes de Covid-19 perdent-elles leur odorat ?

Pr Hopkins : Si vous vous basez sur les patients Covid qui déclarent eux-mêmes une perte d'odorat, la proportion s'élève à environ deux sur trois. Cette perte est plus souvent signalée par les personnes atteintes d'une infection légère que par celles atteintes d'une infection plus grave. Cela peut s'expliquer par le fait que ces derniers patients sont trop malades pour s'en rendre compte, car ils ont du mal à respirer ou ne s'alimentent pas. Les personnes plus âgées ont tendance à avoir des infections plus graves et présentent également un taux plus élevé de perte de l'odorat en raison du vieillissement, de sorte qu'elles ne remarquent pas toujours la différence. Il semble que ce soit plus fréquent chez les femmes, mais cela peut s'expliquer par le fait que les hommes sont plus susceptibles d'être atteints d'une maladie grave.

Si vous vous basez sur la perte objective de l'odorat, cette dernière est plus facilement détectable, même lorsque les patients n'en sont pas conscients. Nous avons ainsi constaté que jusqu'à 95% des patients Covid ont une réduction de leur odorat, mais ils n'en sont pas tous conscients.

 
Jusqu'à 95% des patients Covid ont une réduction de leur odorat, mais ils n'en sont pas tous conscients.
 

Medscape UK : Quand les patients Covid sont-ils sur la voie d'une récupération de leur odorat ?

Pr Hopkins : On a observé deux cas de figure. Environ 50 % des patients récupèrent complètement leur odorat et leur goût en 2 à 3 semaines. Je dis bien odeur ET goût, car les patients déclarent souvent avoir également perdu le sens du goût. Ils peuvent être encore capables de différencier le sucré, le salé et l'acide, mais ils ont perdu toutes les saveurs additionnelles que nous percevons habituellement dans nos aliments. Certains peuvent aussi perdre complètement le goût en plus de l'odorat mais c'est généralement de courte durée, avec une récupération de ce sens avant celle de l'odorat.

Chez environ la moitié des personnes touchées, il semble que les cellules épithéliales des voies nasales soient relativement peu touchées et qu'elles puissent récupérer avant que les nerfs olfactifs ne soient endommagés. 40% des patients déclarent qu'ils sont largement rétablis à 8 semaines, tandis que 10 % affirmeront n'avoir pas encore complètement récupéré leur odorat à ce moment. Six mois plus tard, la récupération n'est toujours pas acquise chez 2 % des patients.

Certains patients souffrent de parosmie (la distorsion d'une odeur par une autre, généralement désagréable). Nous pensons que l'entraînement à l'odorat pourrait aider les personnes atteintes de parosmie à récupérer plus rapidement un odorat fonctionnant normalement.

Medscape : L'anosmie peut-elle avoir un impact réellement négatif au quotidien ?

Pr Hopkins : Oui, absolument. L'impact de l'anosmie est sous-estimé, et c'est l'une des difficultés auxquelles les patients concernés sont confrontés. Elle a des effets énormes sur le bien-être émotionnel et la mémoire, et elle est associée à des niveaux assez élevés d'anxiété et de dépression. Pour les amis et la famille (et, parfois, pour les soignants), cet impact est très difficile à comprendre pleinement et il leur est difficile d'apporter un soutien efficace. De nombreux patients ont le sentiment d'un manque de prise en compte de ce problème par leur médecin. Certains s'entendent dire "au moins, vous n'êtes pas mort de la Covid", ou "cela aurait pu être pire, vous auriez pu perdre la vue." Et pourtant, ils perdent une partie de leur identité, s'inquiètent pour leurs odeurs corporelles, ont peur de ne pas être alerté par l’odeur de roussi en cas d’incendie, et ils peuvent perdre le caractère agréable des relations sociales agréables du monde moderne, comme le plaisir de manger en famille ou avec des amis.

Medscape : Les professionnels de la santé devraient-ils diriger aux patients vers le programme NoseWell ?

Pr Hopkins : Nous avons très vite compris qu'un grand nombre de personnes étaient concernées et que la surcharge de nos systèmes de santé entrainait des difficultés à obtenir une aide médicale pour leur anosmie. Les médecins qu'ils ont consultés n'étaient pas familiarisés avec ce problème et sa prise en charge. Or, il existe de bonnes preuves de l'efficacité de l'entraînement olfactif, qui a été développé au départ en Allemagne par Thomas Hummel en 2009. L'entraînement olfactif accélère la récupération et améliore la capacité à détecter les odeurs et à les différencier. Nous pensons que c'est parce que les nerfs olfactifs se régénèrent, et qu'ils doivent pour cela rétablir de bonnes connexions entre le nez et le cerveau. En favorisant ces connexions, on améliore la capacité de détection.

Pour essayer l'entraînement olfactif, vous pouvez utiliser tout ce qui a une odeur forte, comme les huiles essentielles. Vous devez penser fortement à l'odeur en question. Ainsi par exemple, si vous reniflez un parfum de citron, il faut vous concentrer sur votre souvenir de cette odeur, ce qui fait travailler les processus centraux qui accompagnent cette perception.

La majorité des médecins généralistes et des chirurgiens ORL ne sont pas familiarisés à cette pratique, et beaucoup de patients se rendent sur Internet pour obtenir des informations. Ils peuvent effectivement s'entrainer à la maison, sans soutien médical. En concevant NoseWell, nous voulions être sûrs que les informations soient largement disponibles pour le grand public.

Medscape : Est-ce que le choix des odeurs est important ?  Et combien de temps un tel entrainement réclame-t-il ?

Pr Hopkins : La rose, le citron, l'eucalyptus et le clou de girofle sont recommandés car ils couvrent différents types d'odeur et sont susceptibles de stimuler différents modèles de récepteurs aux odeurs. Nous encourageons les gens à commencer avec ces senteurs et à persévérer pendant 12 semaines. Le site NoseWell donne des instructions sur la manière dont les patients peuvent composer leurs propres kits. Par ailleurs, AbScent [association caritative dédiée aux personnes souffrant d’anosmie, NDLR] vend des kits adaptés, et les bénéfices sont reversés à l'association caritative. Des informations similaires sont également disponibles sur le site Fifth Sense [autre association caritative dédiée aux personnes souffrant d’anosmie, NDLR].

Des essais randomisés nous ont montré que les patients qui s'entraînent à sentir ont un meilleur pronostic que ceux qui ne le font pas. L'entrainement doit être fréquent mais la durée de chaque séance est courte. Les résultats ne sont pas instantanés, il s'agit plutôt d'une amélioration progressive.

 

L’article a été initialement publié sur Medscape UK sous le titre Training Your Nose to Smell Again After COVID-19 . Traduction par le Dr Claude Leroy.

 

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