Virtuel, France— Une étude française menée en vie réelle à l’échelle d’un département a confirmé l’efficacité et la faisabilité du dépistage organisé du cancer du poumon par scanner faible dose. Présentée lors du 25ème congrès de pneumologie de langue française (CPLF), une deuxième série de résultats montre un taux de faux positif de 2,4% avec un nouveau scanner à un an d’intervalle [1]. Le taux de participation au dépistage s’est toutefois effondré.
La méthodologie utilisée dans cette étude est proche de celle de l’essai randomisé NELSON , qui a relancé l’intérêt pour ce dépistage en améliorant nettement sa sensibilité. « La mise en place d’un dépistage organisé du cancer du poumon en France n’est désormais plus qu’une question de volonté politique », a affirmé auprès de Medscape édition française, l’auteur principal de l’étude, le Dr Olivier Leleu (service de pneumologie, CH de Abbeville).
Un comité d’experts de plusieurs sociétés savantes françaises a émis des recommandations sur les modalités à appliquer pour la mise en place d’un tel dépistage, sur lequel la Haute autorité de santé (HAS) devrait prochainement se prononcer (voir encadré).
Evaluer la croissance des nodules
Conduite dans le département de la Somme par l’équipe du Dr Leleu, avec la participation de médecins généralistes et de pneumologues, l’étude a inclus pendant deux ans tout individu volontaire du département, âgé de 54 à 75 ans, ayant fumé au moins 30 paquets-années, soit l’équivalent d’une consommation de 20 cigarettes/jour pendant 30 ans ou 40 cigarettes/jour pendant 15 ans.
Ces critères d’inclusion sont à ceux appliqués dans l’étude américaine NLST, qui a montré en 2011 qu’un dépistage par scanner hélicoïdal faiblement irradiant est associée à une baisse de mortalité par cancer du poumon de 20%, avec un protocole incluant trois dépistages par scanner sur trois ans, auxquels se sont ajoutées trois années supplémentaires de suivi [2].
Dans ce large essai, qui a inclus près de 50 000 participants, une baisse de la mortalité globale de 6,7% a également été rapportée. La méthodologie employée, qui considérait le dépistage comme positif en présence d’un nodule > 5 mm, était toutefois associée à un taux de faux positif de 24,1%. Un manque de sensibilité beaucoup trop important pour la HAS, qui a donné, en 2016, un avis défavorable à la mise en place d’un dépistage généralisé en France.
En 2018, les résultats de l’essai NELSON ont toutefois changé la donne, grâce à une nouvelle méthode d’évaluation du risque basée sur le temps de croissance des nodules détectés, en plus de leur taille. Le taux de faux positif est alors tombé à 1,2% pour une mortalité à dix ans par cancer du poumon réduite de 24% chez les hommes et de 33% chez les femmes.
Quel dépistage généralisé en France?
Quelle population cibler? Avec quelles modalités de suivi? Les experts de la Société de pneumologie de langue française (SPLF), de l’Intergroupe francophone de cancérologie thoracique (IFCT) et de la Société d’imagerie thoracique (SIT) se sont prononcés sur la mise en place d’un dépistage généralisé du cancer du poumon. Leurs recommandations devraient être prochainement publiées dans la revue des maladies respiratoires de la SPLF, a indiqué le Dr Leleu, auprès de Medscape édition française.
Le groupe multidisciplinaire recommande un dépistage individuel par scanner thoracique faiblement irradiant chez les fumeurs âgés de 50 à 74 ans actifs ou sevrés depuis moins de 10 ans, ayant fumé plus de 10 cigarettes/jour pendant 30 ans ou 15 cigarettes/jour pendant 25 ans. Ces critères sont ceux de l’essai NELSON. Le dépistage devra être associé à une démarche de sevrage tabagique. Le calendrier prévoit un scanner renouvelé tous les ans les deux premières années, puis tous les deux ans en cas de dépistage négatif.
Au cours d’une conférence de presse organisée en amont du congrès CPLF, le Dr Didier Debieuvre, président du Collège des pneumologues des hôpitaux généraux (CPHG), a indiqué que la mise en place du dépistage en France a fait l’objet d’une nouvelle demande de la part des experts [3]. « Un dossier est en cours d’évaluation à la HAS », a-t-il précisé.
En attendant d’avoir une révision de l’avis de la HAS, une étude de faisabilité de grande envergure est déjà en préparation avec l’Institut national du cancer (Inca), a confirmé le Dr Leleu. « On attend les appels à projet », qui devraient être publiés courant du deuxième semestre 2021.
Concept de dépistage indéterminé
Dans l’étude de faisabilité DEP-KP80 menée dans la Somme, la méthodologie appliquée se retrouve entre celle de NLST et celle de NELSON. Alors que les résultats de NELSON n’étaient pas encore connus, « son protocole a été publié et m’a paru très pertinent » pour améliorer la sensibilité, a expliqué le Dr Leleu. Il a alors été adopté lors de la mise en place de l’étude.
L’étude a inclus 1 307 individus âgés de 54 à 75 ans, fumeurs ou anciens fumeurs en sevrage tabagique depuis moins de 15 ans. Ils ont été adressés au radiologue pour un dépistage par un médecin généraliste ou par un pneumologue. L’arrêt du tabac avec un accompagnement a été systématiquement proposé aux fumeurs.
Le protocole comprenait un scanner faible dose à l’inclusion, puis renouvelé chaque année à deux reprises. Comme dans l’essai NSLT, le dépistage était d’emblée négatif en présence d’un nodule < 5 mm. Il était positif pour une taille ≥ 10 mm. Il se rapproche de l’essai NELSON en introduisant une évaluation volumétrique entre ces deux valeurs pour lesquelles le dépistage est dit indéterminé.
Entre 5 et 10 mm, il est alors prévu de réaliser un nouveau scanner faible dose à 3 mois afin d’estimer le temps de doublement des nodules (TDD). Lorsque celui-ci est lent (> 400 jours), le dépistage est négatif. Dans le cas contraire, le dépistage est jugé positif.
Moins de 3% de cancer confirmé
Les résultats du premier dépistage à l’inclusion montrent un taux de participation de 72,6%. Le dépistage était d’emblée négatif dans 77,2% des cas et positif chez 5,7 % des individus. Dans 17% des cas, le dépistage était indéterminé. A trois mois, il s’est avéré finalement négatif pour la grande majorité des patients concernés puisque le temps de doublement des nodules était lent dans 97% des cas.
Au total, le taux de cancer du poumon diagnostiqué à trois mois est de 6% (n=57). Dans la moitié des cas, le cancer n’est pas confirmé. La prévalence de cancer du poumon confirmé est de 2,7%, soit un taux de faux positif de 3,1%. Le cancer était à un stade localisé dans 77% des cas. Trois-quarts des cancers ont été traités par une chirurgie seule ou associée à un autre traitement.
Un an plus tard, les participants ayant eu un dépistage négatif ont été invités par courrier à consulter leur médecin traitant pour un nouveau dépistage. Le taux de participation a alors chuté à 35% (n=329). Le taux de dépistage positif est cette fois proche de 5% (n=16), la prévalence du cancer de poumon est de 2,43% et le taux de faux positif également à 2,43%, soit des résultats assez similaires à ceux du premier dépistage.
« Il est satisfaisant de constater que l’on se rapproche dans la vraie vie de ce qui a été observé dans l’essai randomisé NELSON », estime le Dr Leleu. Avec une différence toutefois sur le taux de détection du cancer proche de 1% dans NLST et NELSON et supérieur à 2,5% dans l’essai français. Une différence qui, selon le pneumologue, reflèterait l’incidence plus élevée de cancer dans la région Nord-Est, par rapport au reste de la France.
Améliorer la participation
Concernant la chute du taux de participation, une analyse est actuellement menée par l’équipe pour tenter d’identifier les causes. L’absence de courrier de relance est présentée comme une cause majeure, a précisé le pneumologue. Le niveau socio-éducatif des participants, leur isolement géographique ou un tabagisme actif sont d’autres facteurs évoqués.
Le taux de participation représente un enjeu important pour ce dépistage, qui pourrait susciter peu d’adhésion. C’est ce qui a été constaté aux Etats-Unis où le dépistage du cancer du poumon est remboursé depuis 2013 pour les fumeurs de plus de 55 ans. La participation, extrêmement faible à ses débuts, atteindrait désormais 12%, ce qui amène à s’interroger sur le succès d’une telle stratégie.
Dans le contexte français, les résultats seraient meilleurs. C’est aussi ce que suggère l’étude française. Dans un échange au sujet des modalités à appliquer pour ce dépistage, le Pr Marie-Pierre Revel (Hôpital Universitaire Paris Centre Cochin, AP-HP) nous expliquait toutefois que le « cancer du poumon est perçu différemment des autres cancers et est associé à un sentiment de culpabilité chez les fumeurs », ce qui pourrait contribuer à une moindre adhésion à ce dépistage, voire entrainer un évitement.
Selon elle, une réflexion sur la manière de communiquer apparait essentielle pour obtenir l’adhésion des sujets à risque. En Angleterre, dans une récente étude pilote, les investigateurs ont mis en place un dépistage itinérant, présenté comme un « bilan de santé pulmonaire », sans évoquer le cancer du poumon. Ils ont obtenu un résultat exceptionnel de 90% de participation [4].
Pour ce dépistage itinérant, l’équipe s’est déplacée dans les zones défavorisées de la ville de Manchester et près des centres commerciaux, à bord d’un véhicule équipé d’un scanner. Après un deuxième scanner réalisé à un an et en s’appuyant également sur le protocole NELSON, ils ont rapporté un taux total de cancer du poumon dépisté et confirmé de 4,4%.
Actualités Medscape © 2021
Citer cet article: Une étude française confirme l’efficacité du dépistage du cancer du poumon par scanner faible dose - Medscape - 4 févr 2021.
Commenter