Russie — Après les communiqués de presse et les annonces politiques très enthousiastes sur le vaccin russe Spoutnik V, viennent enfin les données scientifiques. Elles sont rassurantes, voire impressionnantes en termes de protection contre les formes symptomatiques de Covid-19.
Le vaccin à adénovirus présente une efficacité à court terme de plus 90 % contre le Covid-19 symptomatique et une bonne tolérance, selon les premières données de l’essai de phase 3 qui ont été publiées dans la revue à comité de relecture TheLancet [1].
« Le développement du vaccin Spoutnik V a été critiqué pour avoir été mis au point dans la précipitation, et par manque de transparence. Mais, les résultats ici rapportés sont clairs et le principe scientifique de cette vaccination est démontré, ce qui veut dire qu’un vaccin supplémentaire peut désormais rejoindre le combat pour réduire l’incidence du Covid-19 », ont indiqué les Prs Ian Jones et Polly Roy (Université de Reading, Royaume-Uni), dans un éditorial accompagnant la publication [2].
Commercialisé sous l'appellation Spoutnik V en référence au premier satellite russe, le vaccin « Gam-Covid-Vac » est un vaccin qui nécessite deux injections intramusculaires.
Il diffère notamment du vaccin d’Oxford/AstraZeneca ou celui de Johnson & Johnson par le fait qu’il n’utilise non pas un adénovirus recombiné mais deux (les adénovirus de type 26 et de type 5), chacun transportant le gène codant la protéine de surface S du SARS-CoV-2. L’adénovirus rAd26 est utilisé pour la première injection et le rAd5 pour le rappel.
Le vaccin analysé dans l’étude est conservé et distribué à –18 ° C, mais le stockage à 2–8 ° C, permettant une distribution mondiale, a été approuvé par le ministère de la Santé de la Fédération de Russie.
Un essai randomisé sur près de 20 000 participants
L’essai randomisé de phase 3 en double aveugle a été réalisé dans 25 centres médicaux de Moscou chez des adultes non atteints par le Covid (RT-PCR négatives, tests sérologiques négatifs, absence de symptômes).
En tout, 14 964 participants ont reçu une première dose intramusculaire de vaccin contenant l’adénovirus modifié rAd26 (0,5 mL/dose) et une deuxième dose contenant l’adénovirus modifié rAd5, vingt et un jours plus tard. En parallèle, 4902 personnes ont reçu deux injections de placebo dans le même laps de temps.
60 % des participants étaient des hommes, et ils étaient pratiquement tous d’origine caucasienne. Environ un quart avait de comorbidités. L'âge moyen était de 45,3 ans dans le groupe vaccin et dans le groupe placebo; la distribution par sexe , l'incidence des comorbidités et le risque d'infection étaient similaires entre les groupes vaccin et placebo.
Notons que l'étude a inclus 2144 participants âgés de plus de 60 ans (1611 dans le groupe vaccin et 533 dans le groupe placebo). L'âge moyen dans ce sous-groupe était de 65,7 ans dans le groupe vaccin et de 65,3 ans dans le groupe placebo.
Les critères d'exclusion étaient, entre autres, les corticoïdes ou immunoglobulines dans les 30 jours précédant l’essai; une immunosuppression dans les 3 mois précédant le recrutement; la grossesse ou l’allaitement; un syndrome coronarien aigu ou AVC dans l'année précédant l’essai; une tuberculose ou des infections systémiques chroniques; une allergie ou hypersensibilité à des médicaments ou des composants; la présence de tumeurs; le VIH, la syphilis ou l'hépatite B ou C.
Une efficacité importante
À partir du 21ème jour après la première dose de vaccin (le jour de la dose 2), l'efficacité du vaccin contre le Covid symptomatique était de 91,6% (IC à 95% 85,6–95,2) (critère primaire). En tout, 16 (0,1%) des 14 964 participants du groupe vacciné et 62 (1,3%) des 4902 du groupe placebo ont été atteint de Covid-19 symptomatique confirmée par PCR.
L 'efficacité du vaccin contre les formes de Covid-19 modérées ou sévères était de 100%. Il n'y a eu aucun cas (groupe vaccin) et 20 cas (groupe placebo) de Covid-19 modérée ou sévère confirmés au moins 21 jours après la première dose.
De façon notable, l'efficacité du vaccin était de 91,8% (67,1–98,3) dans le groupe des participants âgés de plus de 60 ans.
L'efficacité estimée du vaccin contre le Covid-19 symptomatique survenant à tout moment après la dose 1 était de 73,1% (IC à 95% : 63,7–80,1).
Un bon profil de tolérance dans la population étudiée
Les événements indésirables les plus fréquents étaient les symptômes grippaux, les réactions au site d'injection, les maux de tête et l'asthénie.
La plupart des événements indésirables rapportés étaient de grade 1 (7485 [94%] sur 7966 événements au total).
Globalement, 45 (0,3%) des 16 427 participants du groupe vaccin et 23 (0,4%) des 5435 participants du groupe placebo ont eu des événements indésirables graves; aucun n'a été considéré comme associé à la vaccination, selon le comité indépendant de suivi des données. Quatre décès ont été signalés au cours de l'étude (trois [<0,1%] sur 16 427 participants dans le groupe vaccin et un [<0,1%] sur 5435 participants dans le groupe placebo), dont aucun n'a été considéré comme lié au vaccin.
Les limites de l’étude
Cette analyse préliminaire des données comporte plusieurs limites.
Comme pour les autres vaccins étudiés en phase 3 à ce stade, les chercheurs n'ont pas été en mesure d'évaluer la durée de la protection. Le temps de suivi médian était de 48 jours après la première dose. Aussi, bien que l'étude ait recruté des participants souffrant de comorbidités, tous les groupes à risque ne sont pas représentés, tout comme les adolescents et les enfants, mais aussi les femmes enceintes et allaitantes.
Les auteurs notent également que les données d'efficacité par tranche d’âge portent à ce stade sur des petits effectifs.
Enfin, une limite spécifique à cette étude est que les cas de Covid-19 n’ont pas été détectés par la réalisation d’une RT-PCR systématique chez tous les participants. Les cas de Covid-19 ont été détectés grâce à l'auto-déclaration des symptômes par les participants, suivie d'un test PCR, de sorte que seuls les cas symptomatiques de Covid-19 ont été inclus dans l’analyse d'efficacité. On note d’ailleurs que des anticorps anti SARS-CoV-2 ont été détectés chez 15% des patients du groupe placebo qui ont bénéficié de l’analyse de la réponse humorale, probablement des cas asymptomatiques. On peut donc imaginer que dans le groupe vacciné, certains participants pourraient avoir eu une Covid asymptomatique sans qu’ils aient été détectés.
Pour cette raison, le Pr Gilles Pialoux (infectiologue à l’hôpital Tenon et professeur à la Sorbonne) qui a commenté l’essai pour Medscape, appelle à « prendre ces données avec prudence ».
Sur le terrain
Parallèlement à la mise en œuvre de plusieurs essais cliniques (en Russie, en Biélorussie, aux Émirats Arabes Unis et en Inde), le vaccin a déjà été mis sur le marché en Russie, en particulier pour les populations à risque, le personnel médical et les enseignants. Au 23 janvier 2021, plus de 2 millions de doses de Gam-COVID-Vac avaient déjà été administrées.
Concernant une éventuelle disponibilité en Europe, le Fonds souverain russe, qui a participé à la mise au point et au développement du Spoutnik V, a annoncé le 20 janvier avoir entamé la procédure d’homologation auprès de l’Agence européenne du médicament (EMA).
Pour la suite, les chercheurs indiquent que des études vont être menées pour étudier le rapport bénéfice/risque d’un régime à dose unique du vaccin (l'essai clinique a été approuvé par le comité de réglementation et d'éthique le 8 janvier 2021).
Quelques données sur l’immunogénicité
Dans cette étude, l'immunogénicité a été analysée (immunité humorale et cellulaire).
La réponse immunitaire humorale spécifique (production d’anticorps) a été étudiée le jour de la première vaccination et au jour 42 (n=342 dans le groupe vacciné, 114 dans le groupe placebo).
Il en ressort que quelques non-répondeurs ont été détectés dans le groupe vacciné (six sur 342), probablement en raison de l'immunosénescence chez les personnes âgées, des caractéristiques individuelles de la réponse immunitaire ou de troubles immunologiques concomitants.
En parallèle, 17 (15%) des 114 participants du groupe placebo avaient des anticorps spécifiques du domaine RBD (receptor-binding domain) de la protéine de surface du virus, Spike, au jour 42, probablement associés à un Covid-19 asymptomatique.
La réponse immunitaire cellulaire a été mesurée le jour de la première vaccination et au jour 28 par quantification de la sécrétion d'IFN-y (n=44 dans le groupe vacciné, 14 dans le groupe placebo). Il en ressort qu’il y avait des niveaux plus élevés de sécrétion d'IFN-γ lors de la restimulation de l'antigène dans le groupe des vaccinés.
Retrouvez les dernières informations sur la vaccination contre le COVID-19 dans le Centre de ressource Medscape dédié aux vaccins contre le Covid-19
Actualités Medscape © 2021
Citer cet article: Vaccin Spoutnik : les premières données de phase 3 publiées dans le Lancet - Medscape - 5 févr 2021.
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