
Dr Marine Colombel
Etampes, France – La santé psychique des Français, et notamment celle des soignants, est mise à rude épreuve par la crise sanitaire et ses conséquences. Pour apaiser le mental et apprendre à gérer son stress, la pratique de la méditation (mindfulness) est une option accessible et facile qui peut apporter une aide très efficace à tout un chacun pour peu qu’on s’y entraîne régulièrement. C’est ce que nous explique le Dr Marine Colombel. Psychiatre dans l’établissement public de santé mentale Barthélemy-Durand à Etampes, elle propose depuis 4 ans des groupes de méditation destinés aux soignants en prévention des risques psychosociaux et anime, par ailleurs, des groupes de méditation destinés aux patients psychiatriques. Interview.
Medscape édition française : En quoi consiste la méditation de type mindfulness (aussi appelée pleine conscience) ?
Dr Marine Colombel : C’est un état amplifié de conscience, où l’on apprend à rediriger son attention sur ce qui se passe en chacun de nous dans l’instant présent. On a souvent tendance à être dans nos pensées, qu’il s’agisse du passé sous forme de ruminations, ou du futur ce qui provoque des angoisses. Avec la méditation, on apprend à revenir aux sensations du corps, à la respiration, à notre environnement sensoriel et à recentrer notre attention à chaque fois que nos pensées dérivent. Lorsque c’est le cas, on peut alors s’extraire des pensées parasites, évacuer les pensées négatives et les ruminations pour finalement trouver une forme d’apaisement psychique. Quand nous sommes dans cet état de tranquillité mentale (ou samatha en sanscrit), notre fonctionnement devient beaucoup plus efficace : on est plus perspicace, on perçoit mieux les choses, qui sont alors moins teintées par nos a priori. Tout l’intérêt consiste à ne pas redéclencher nos schémas cognitifs habituels ce qui nous permet de trouver des solutions innovantes, et de profiter de plaisirs oubliés grâce à la redécouverte de nos cinq sens.
Comment la méditation de pleine conscience peut-elle aider en cette période de pandémie ?
Dr Colombel : La méditation existe justement pour les situations de crise. On a souvent une image faussée de la méditation en imaginant un ermite assis seul en haut de sa montagne. En réalité, en Asie, la méditation s’adresse traditionnellement à l’ensemble de la population, y compris aux guerriers avant la bataille. C’est une technique de gestion du stress et de l’attention pour tous les moments de la vie, et en particulier pour les moments de crise. Lorsque l’on se sent mal, la méditation nous aide à sortir de notre charge mentale pour nous amener au contact de nos ressources intérieures, de nos valeurs. C’est une façon de s’extraire de situations difficiles ou très stressantes. Donc, même si la méditation peut donner une impression de passivité vis-à-vis de l’extérieur, ce qui se passe en nous à ce moment-là constitue un vrai « travail » dans lequel nous sommes en réalité extrêmement actifs. Ses effets vont se révéler extrêmement efficaces dans des situations compliquées comme la pandémie que nous traversons qui demande beaucoup de ressources en exigeant de chacun de s’adapter rapidement. La méditation participe à accélérer le phénomène d’adaptation.
Chacun d’entre nous peut-il trouver un bénéfice à méditer ?
Dr Colombel : Si les gens cherchent un outil pour les aider en ce moment, la méditation est particulièrement accessible, facile à pratiquer. On trouve désormais beaucoup d’ouvrages, d’applications numériques, d’enregistrements sur YouTube (voir ici la chaine de Marine Colombel) pour commencer à s’initier. Il faut tester et les bénéfices en termes d’apaisement viennent assez rapidement, pendant les séances mais aussi en dehors. Il suffit de 8 semaines, disent les études, pour commencer à le ressentir. Donc, 2 mois de pratique quotidienne induisent déjà un changement dans la vie de tous les jours. C’est particulièrement utile d’avoir un outil performant qui agit rapidement, surtout dans cette période de crise sanitaire qui s’éternise, où les gens en ont marre de gérer des changements incessants de règles et de fonctionnement, lesquels épuisent énormément leurs ressources et créent de la fatigue et du stress. La méditation peut véritablement accompagner tous ces bouleversements du quotidien pour qu’ils soient vécus de façon moins violente.
En quoi les soignants sont-ils particulièrement concernés ?
Dr Colombel : Les soignants sont avant tout des hommes et des femmes potentiellement confrontés à titre personnel à des soucis lié au Covid (décès familiaux, entourage malade…) et auquel vient s’ajouter le stress de devoir assumer de grosses charges de travail du fait de la pandémie. Même s’ils sont plus efficaces aujourd’hui parce que l’on comprend mieux la maladie Covid et que l’on sait la prendre en charge, les soignants ont dû puiser dans leurs ressources depuis un an et la fatigue s’est accumulée. Il est très important qu’ils apprennent à prendre soin d’eux car pour prendre soin des autres, il faut d’abord prendre soin de soi. L’inverse conduit à l’épuisement et au burnout. Il n’y a que lorsque l’on se sent bien soi-même et que l’on peut être présent pour les autres. Ils doivent se rappeler d’être attentifs à eux-mêmes en premier lieu.
A ce titre, vous avez mis en place une formation qui leur ait dédiée dans l’établissement où vous exercez. De quoi s’agit-il ?
Dr Colombel : Depuis 2016, nous avons développé avec le chef de pôle de l’EPS Barthélemy-Durand à Etampes, le Dr Jean Sixou, des cours de méditation dédiés aux soignants sous forme de 5 séances de 2 heures où l’on enseigne les bases de la méditation mindfulness avec deux objectifs, mieux gérer le stress au travail, mais aussi offrir cet outil pour qu’ils puissent mieux accompagner leurs patients. Ces formations ont connu un tel succès, qu’aujourd’hui 10% du personnel de notre établissement en a bénéficié, ce qui est beaucoup vu la taille du lieu (qui couvre 80% du territoire de l’Essonne en termes de soins psychiatriques).
Qu’ont apporté ces formations en pratique dans les services ?
Dr Colombel : Une enquête en interne a montré qu’elles avaient entrainé une meilleure gestion du stress et des émotions de la part des personnels. Nous avons été ravis de voir que l’effet de la méditation impactait positivement le relationnel général de l’établissement et que le bénéfice s’étendait aux personnes qui ne participaient pas aux cours. Nous avons constaté que la pratique de la méditation à titre personnel par un petit nombre de personnes dans chacun des services contribuait à une certaine « désescalade ». Dans ce contexte psychiatrique où l’on est souvent confronté à de la violence et au stress, les personnels qui arrivent à bien contrôler leurs émotions permettent de ramener du calme et d’éviter d’envenimer certaines situations.
Quid des patients ?
Dr Colombel : Côté patients, nous avons développé la méditation en groupe sous la forme MBCT (pour Mindfulness-based cognitive therapy) auprès des patients sous le format classique de 8 séances de 2 heures pour éviter la récidive dépressive. Et j’ai ouvert, par ailleurs, des consultations spécifiques en individuel de prise en charge du burnout ou pour des problématiques spécifiques comme le stress post-traumatique ou les phobies. En apprenant aux patients la gestion de leurs émotions, à reconnaitre les signes avant-coureurs de dépression, comment fonctionnent les pensées automatiques et quelles actions mettre en place quand l’humeur baisse, on obtient de très bons résultats. C’est désormais bien établi par des études publiées dans de bonnes revues, notamment pour ce qui est des dépressions récidivantes et des syndromes de stress post-traumatique.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours : comment avez-vous découvert la méditation et comment accompagne-t-elle votre pratique de la psychiatrie ?
Dr Colombel : J’ai découvert la méditation à 20 ans et elle a accompagné toute ma scolarité de jeune externe puis d’interne. Elle a été un grand apport surtout dans la pratique de ma spécialité, la psychiatrie, car la méditation oblige à s’écouter, à écouter ses pensées, ses émotions. En ce qui me concerne, cela a vraiment amélioré la qualité de mes relations avec les patients. Etant plus à l’écoute de mes émotions, j’étais aussi plus à l’écoute de celles des personnes qui étaient face à moi, tout en gardant un certain recul, un regard extérieur, ce qui rend beaucoup plus juste et plus vrai dans les réponses que l’on apporte aux patients. Cela m’a aidé à me sortir de nombreuses situations difficiles.
Pensez-vous qu’aujourd’hui la méditation a-t-elle trouvé sa place au sein du champ de la psychiatrie ?
Dr Colombel : J’ai eu la chance d’avoir trois enseignants de psychiatrie, les Dr Christine Mirabel-Sarron à Paris, le Pr Pascal Delamillieure à Caen et le Dr Jean Sixou à Etampes qui sont tous de grands méditants. Je n’ai donc jamais rencontré de réticence à la méditation car les services que j’ai traversés donnaient une place assez importante à cette pratique. Au final, elle était plutôt bien accueillie tant par les soignants que par les patients et c’est une bonne chose car c’est un outil très bienveillant, très en faveur du patient, tout en offrant des solutions concrètes au thérapeute pour se sortir de problèmes complexes.
L’autre avantage de la méditation, c’est qu’elle permet de sortir du clivage psychanalyse/TCC, clivage que l’on peut regretter car ce sont deux techniques qui, de mon point de vue, se complètent très bien. La méditation fait partie de la troisième vague des thérapies cognitives, tout en favorisant l’écoute prônée par la psychanalyse. A ce titre, elle s’inscrit dans un entre-deux. Avec elle, on sort de la dualité. C’est une technique inclusive qui créé un pont entre ces deux grandes tendances de la psychiatrie et où chaque personne qui vient se former trouve son compte. C’est un nouvel outil qui vient enrichir les autres thérapies.

Enseignante au DU de Mindfulness à la Faculté de médecine de Paris-Sud, le Dr Marine Colombel est l’auteur (avec le Dr Jean Sixou) de La Méditation anti burn-out aux éditions Marabout (2018) et de Mes Petites routines Méditation aux éditions Marabout (2021).
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Citer cet article: Santé mentale et COVID-19: l'apport de la méditation - Medscape - 3 févr 2021.
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