Virtuel — Dans la moitié des cas, la dépression associée au trouble bipolaire est résistante au traitement. Face à la difficulté de prescrire, l’arrivée de nouveaux médicaments dans cette indication se fait attendre. Au cours du congrès en ligne Encéphale 2021, le Pr Jean-Michel Aubry (Hopitaux universitaires de Genève, Suisse) a évoqué quelques traitements prometteurs, dont le lurasidone et le cariprazine, deux antipsychotiques de deuxième génération [1], avant de faire part de son expérience décevante avec l’eskétamine.
Le traitement médicamenteux des phases dépressives du trouble bipolaire représente encore aujourd’hui « un défi majeur pour le clinicien », a rappelé le psychiatre. Et, pour cause: « les antidépresseurs sont généralement peu efficaces », tandis qu’un traitement inadapté peut induire « un virage hypomaniaque ou maniaque » ou, à long terme, des cycles rapides alternant dépression et manie.
Il existe également « un manque de consensus » concernant la prescription, alors que l’arsenal thérapeutique est assez large. Le manque d’efficacité et les résultats parfois discordants des études évaluant les médicaments dans cette indication ont conduit à « des variations importantes dans le choix des traitements par les différentes recommandations internationales ».
Dans ce contexte, l’arrivée dans cette indication de nouveaux antipsychotiques, notamment de deuxième génération (antipsychotiques atypiques), est attendue avec impatience. Au cours de sa présentation, le Pr Aubry a passé en revue quelques médicaments prometteurs, en faisant part de son expérience avec certains d’entre eux, autorisés en Suisse, mais encore non validés en France.
Deux antipsychotiques atypiques en vue
Deux antipsychotiques atypiques se démarquent: le lurasidone (Latuda®, Sunovion Pharmaceuticals), un antagoniste de plusieurs récepteurs, dont ceux à dopamine 2 et à sérotonine, et le cariprazine (Reagila®, Gedeon Richter) un agoniste partiel des récepteurs à dopamine 2 et 3. Ces deux médicaments disposent en France d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans le traitement de la schizophrénie.
Concernant le lurasidone, plusieurs études randomisées contrôlées ont été menés pour évaluer son efficacité dans la dépression bipolaire. « Les résultats sont assez consensuels », souligne le Pr Aubry.
L’une d’entre elles a inclus 525 patients bipolaires de type 1. Ils ont été randomisés en double aveugle pour recevoir, soit 20 à 60 mg/jour de lurasidone, soit 80 à 120 mg/jour, soit un placebo. A six semaines, les résultats montrent une baisse significative du score de l’échelle de dépression Montgomery-Åsberg Depression Rating Scale (MADRS), par rapport au placebo, mais seulement dans le groupe recevant les doses plus faibles [2].
A 28 semaines, « l’effet se maintient chez les patients répondeurs » et les paramètres évaluant la sécurité du médicament indiquent « une assez bonne tolérance », a précisé le psychiatre [3]. L’akathisie (agitation et difficulté à se maintenir assis) est l’effet secondaire le plus souvent rapporté. L’impact sur le poids et le métabolisme apparaissent minimes.
Le lurasidone approuvé aux Etats-Unis
Selon une récente méta-analyse, portant sur plusieurs traitements par antipsychotiques, le lurasidone administré en monothérapie est plus efficace que l’aripiprazole seule et la ziprasidone seule dans le traitement des épisodes dépressifs liés au trouble bipolaire, surtout de type1 [4]. Par ailleurs, le lurasidone est associé à un gain de poids moindre par rapport l’olanzapine ou la quétiapine.
Aux Etats-Unis, le médicament a été approuvé en 2013 dans le traitement des épisodes dépressifs associés à un trouble bipolaire de type 1, en monothérapie ou en combinaison avec un régulateur d’humeur (lithium ou valproate de sodium). Depuis 2018, il est également indiqué chez l’enfant et l’adolescent à partir de 10 ans.
Selon les dernières recommandations de la Société suisse des troubles bipolaires (SSTB) , « la monothérapie par quétiapine présente les meilleures preuves d’efficacité, suivie du lithium et de la lurasidone » dans le traitement de la dépression bipolaire. Il est également conseillé d’associer un stabilisateur de l’humeur ou un agent antimaniaque avec la lamotrigine ou un antidépresseur (inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine ou bupropion).
En se basant sur son expérience dans l’unité « troubles de l’humeur » des hôpitaux universitaires de Genève, le Pr Aubry rapporte « des résultats intéressants » avec le lurasidone dans le traitement des patients en dépression bipolaire avec des doses proche des 60 mg/jour. « Ça ne sert à rien d’aller plus haut ».
S’agissant du cariprazine, son efficacité dans le traitement de la dépression bipolaire de type 1 a été récemment été démontrée dans une étude randomisée de phase 3 [5]. Là encore, une baisse significative du score MADRS a été observée avec les doses les plus faibles de cariprazine (1,5 mg/jour), par rapport au placebo. La différence n’apparait pas significative avec un traitement à 3 mg/jour.
Le Pr Aubry a indiqué que son expérience avec ce médicament était encore trop récente dans cette indication pour donner un avis.
Effet décevant de l’eskétamine
Le psychiatre a également évoqué l’option de la kétamine, un antagoniste des récepteurs NMDA au glutamate, qui a fait ses preuves dans la dépression résistante. Plusieurs études randomisées contrôlées ont montré une amélioration significative des symptômes dépressifs après une injection en intraveineuse de kétamine chez des patients souffrant de dépression liée à un trouble bipolaire de type 1 [6].
L’effet antidépresseur de la kétamine est « très rapide, mais de courte durée », dans cette indication, regrette le psychiatre. Alors qu’il se maintient pendant une semaine dans la dépression sévère unipolaire après injection de kétamine, l’effet perdure seulement pendant trois jours dans le traitement de la dépression bipolaire.
La kétamine a toutefois l’avantage de réduire les pensées suicidaires et l’anhédonie (absence d’émotions positives), ajoute le Pr Aubry. « Il faut désormais attendre des protocoles permettant de prolonger l’effet de la kétamine chez les patients bipolaires pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. »
L’eskétamine (énantiomère de la kétamine), commercialisée sous forme de spray nasal à usage unique (Spravato®, Janssen) dans la dépression résistante, a également été testée dans la dépression bipolaire, avec un effet qui « semble plus faible qu’avec la kétamine ».
Au cours d’un échange en fin de session, le psychiatre s’est dit « déçu » de l’eskétamine dans le traitement de ses patients bipolaires, alors que des « résultats spectaculaires » ont été obtenus dans son unité genevoise avec la kétamine. « Nous avons, pour le moment, peu de succès » avec l’eskétamine. D’autant plus décevant qu’un traitement complet par eskétamine « coûte plusieurs milliers d’euros », rappelle-t-il.
D’autres antagoniste des récepteurs NMDA sont en cours d’évaluation. Le rapastilnel, un nouveau médicament, est actuellement à l’essai dans six études en traitement de la dépression unipolaire. « C’est une molécule prometteuse qui pourrait aussi devenir un nouveau traitement de la dépression bipolaire », a souligné le Pr Aubry.
Enfin, des médicaments plus anciens ont donné des résultats intéressants dans la dépression bipolaire en combinaison avec des régulateurs de l’humeur, mais des études plus importantes sont nécessaires pour les valider. C’est le cas du pramipexole et du modafinil, deux agonistes dopaminergiques utilisés dans le traitement de la maladie de Parkinson.
Dépression bipolaire: une sémiologie à part
Dans le trouble bipolaire, les épisodes dépressifs sont largement majoritaires. « Les symptômes dépressifs sont trois fois plus fréquents que les symptômes maniaques ou hypomaniaques dans le trouble de type 1 », précise le Pr Aubry. En cas de trouble de type 2, « ils représentent 90% de la symptomatologie ».
En comparaison avec la dépression unipolaire, « la récurrence des épisodes dépressifs est plus importante, surtout dans le trouble bipolaire de type 2 », a indiqué le Dr Daniel Souery (psychiatre à Uccle, Belgique), lors d’une autre intervention [7]. Elle est aussi plus souvent atypique (hypersomnie, ralentissement moteur invalidant…) et se rencontre fréquemment dans la dépression post-partum.
La dépression bipolaire est également plus difficile à traiter. « La dépression bipolaire est résistante au traitement médicamenteux dans 50 à 60% des cas. » Le traitement est pourtant essentiel, les épisodes dépressifs étant associés à un fort risque suicidaire. Comparativement à la population générale, « le risque de suicide est dix fois plus élevé chez les patients bipolaires ».
« En tant que clinicien, il faut être attentif à la sémiologie de chacun des épisodes dépressifs et adapter le traitement », a conseillé le Dr Souery, lors d’un échange en ligne avec les participants. Selon lui, il faut opter pour des traitements sédatifs, voire anxiolytiques, dans une dépression avec forte agitation, irritabilité et impulsivité. Un dopaminergique, comme le bupropion, est plus adapté lors d’une dépression avec ralentissement psychomoteur.
La durée du traitement est variable. « Il faut être prêt à moduler les doses » et à stopper le traitement en fonction de l'évolution des symptômes.
Le Pr Aubry a déclaré des liens d’intérêt avec les laboratoires Janssen, OM Pharma, Sunovion (honoraires versés sur fonds universitaires).
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Citer cet article: Dépression bipolaire: passage en revue de quelques traitements prometteurs - Medscape - 2 févr 2021.
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