Discussion
En 2008, en France, le taux standardisé d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque aiguë était de 198,6/100000, avec des chiffres plus élevés pour les hommes que les femmes : 260,5 vs 155,9/100000. Aux États-Unis, ce sont 4 millions de personnes qui sont hospitalisées chaque année pour détresse respiratoire. [1]
Examiner rapidement les voies respiratoires, la respiration et la circulation permet de mettre en place aux urgences un traitement de la dyspnée aiguë. Dans le même temps, il est essentiel de s’enquérir auprès des proches, voire des médecins traitants, d’un maximum d’informations permettant d’adapter le traitement (antécédents, mode de vie…). La dyspnée peut être classée en fonction du degré d’oxygénation du patient.
Le patient de ce cas clinique présente une dyspnée et une hypoxie importante après avoir séjourné sur le sol pendant 24 heures environ. Les diagnostics différentiels de la dyspnée aiguë avec hypoxie chez l'adulte sont nombreux : pneumonie virale ou bactérienne, embolie pulmonaire, œdème pulmonaire, syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA), exacerbation d'asthme, exacerbation de l'insuffisance cardiaque congestive et exacerbation d’une broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO). D'autres diagnostics moins fréquents mais potentiellement graves doivent être évoqués : pneumothorax, épanchement pleural, corps étrangers dans les voies respiratoires, anaphylaxie, œdème angioneurotique, troubles neurologiques et épiglottite.
Différentes affections peuvent, pour leur part, être à l’origine de dyspnée aiguë sans hypoxie : épanchement péricardique, acidose métabolique d'étiologies multiples (rhabdomyolyse, acidocétose diabétique, toxicité médicamenteuse, septicémie…), anémie sévère, troubles neurologiques, attaque de panique, paralysie des cordes vocales et infarctus aigu du myocarde. Une dyspnée chronique associée à une hypoxie peut être en lien avec un cancer, une BPCO, une bronchectasie, la tuberculose, une fibrose pulmonaire idiopathique ou une hypertension artérielle pulmonaire.
Parfois, l'évaluation peut être limitée par l'absence d'antécédents médicaux connus ou répertoriés, même si un événement de même type (pris en charge ou non) est déjà survenu.
De façon habituelle, le bilan initial comprend une radiographie du thorax, une NFS, un ionogramme, un ECG. Les autres tests sont prescrits en fonction des circonstances de la dyspnée : angiographie pulmonaire, scintigraphie ventilation-perfusion, gaz du sang artériel, échographie, mesure des taux de troponine, de BNP et de NT-proBNP.
L'échographie aux urgences (coeur, poumon) est devenue assez systématique, elle permet de reconnaître rapidement des pathologies potentiellement mortelles [2]. L'échocardiographie de ce patient révèle une fraction d'éjection significativement réduite sans épanchement péricardique associé (voir figures 7 et 8).

Figure 7.

Figure 8.
Le protocole d'échographie pulmonaire au chevet du patient en urgence permet un bilan étiologique rapide des patients souffrant de détresse respiratoire, en l’absence de cause évidente [3]. Des images sont réalisées dans plusieurs zones thoraciques et avec différentes angulations de la sonde d’échographie afin de préciser les glissements pleuraux, les lignes A, les lignes B, les éventuelles consolidations et épanchements. L’échographie permet de détecter une éventuelle thrombose veineuse profonde.
Le glissement pleural illustré à la figure 10 correspond au mouvement des deux feuillets pleuraux lors de la respiration créant le « signe du glissement » en mode brillance (mode B). Il tranche avec l’immobilité des structures pariétales sus-jacentes. Chez ce patient, il n’existe donc pas de pneumothorax ni d’épanchement pleural car ces deux pathologies sont à l’origine d’une disparition du glissement.
Issus de la réflexion des ultrasons et du changement drastique d’impédance acoustique entre la paroi et le poumon aéré, les artefacts constituent la base de la sémiologie pleuro-pulmonaire. Les lignes A, artefacts de réverbération de la paroi, sont horizontales et majoritaires dans le poumon normal (aéré, sans fluide ni condensation) (figure 11). Les lignes B sont verticales depuis la ligne pleurale, traversant toute la fenêtre échographique et se propageant jusqu'à l'extrémité du cadre au moins 12 cm plus bas sur l'échographie.

Figure 10.

Figure 11.

Figure 6.
Les antécédents de ce patient, l’examen clinique et les examens paracliniques ont permis d’écarter les diagnostics différentiels et de mettre rapidement en place un traitement efficace. Son hypoxie a été traitée avec de l’oxygène dont le débit a pu être important puisque ce patient n’avait pas d’antécédents de tabagisme, de BPCO ni de maladie pulmonaire chronique. L’absence de fièvre, de toux, d’infiltrat à la radiographie pulmonaire, d’hyperleucocytose, d’acidose lactique va à l’encontre d’un diagnostic d’infection pulmonaire virale ou bactérienne.
Ce patient était traité par warfarine en raison d’une fibrillation auriculaire. Son IRN était dans les limites de la normale, ce qui va à l’encontre d’un diagnostic d’embolie pulmonaire. Si par le passé il avait été connu comme peu compliant ou si ses INR précédents étaient inférieurs à la cible thérapeutique, alors le diagnostic d’embolie pulmonaire aurait pu être évoqué. En outre, la radiographie pulmonaire était anormale puisque des signes de surcharge basale ont été notés et qu’à l’auscultation des crépitants ont été retrouvés. Encore des signes qui vont à l’encontre d’une thrombose veineuse profonde à localisation pulmonaire. L’œdème angioneurotique, l’exacerbation d’asthme et l’anaphylaxie ont été éliminés du fait de l’absence de sibilants et de signes cutanés d’allergie. L’absence de traumatisme facial ou du cou n’oriente pas vers l’inhalation d’une dent ou d’une partie d’une prothèse dentaire, ni vers une lésion trachéale. Puisque le patient ne saignait pas de la bouche, le diagnostic d’inhalation de fluide a été écarté.
La distension de la veine jugulaire aurait pu aussi orienter vers un épanchement péricardique (mais qui n’est généralement pas à l’origine d’un tel degré d’hypoxie), un pneumothorax compressif (mais l’auscultation pulmonaire bilatérale symétrique ne va pas dans ce sens) ou la décompensation d’une insuffisance cardiaque congestive.
Dans les antécédents de ce patient, on retrouve une histoire d’insuffisance cardiaque et l’auscultation était en faveur d’un œdème aigu du poumon, ce qui a été confirmé par la radiographie pulmonaire, la modification des lignes B à l’échographie pulmonaire au lit du patient et la baisse de la FEVG à l’échocardiographie. [4,5]
Le traitement doit être individualisé en se fondant sur les causes sous-jacentes de la dyspnée. En cas de pneumothorax compressif, l’intubation sans drainage préalable peut être à l’origine d’un arrêt cardiaque. Chez ce patient, le traitement de l’OAP par décompensation cardiaque aiguë impose la mise en place d’une CPAP (ventilation non invasive) avec un débit d’oxygène suffisant pour améliorer l’hypoxie. Le traitement passe aussi par la prescription de dérivés nitrés et de diurétiques. Outre la détresse respiratoire, ce patient présentait d’autres signes cliniques et paracliniques : une rhabdomyolyse (confirmée par l’augmentation des CPK) liée à son séjour au sol prolongé, une hématurie et des myalgies. Chez tous les patients qui présentent au bilan biologique une rhabdomyolyse, il est important d’effecteur un examen clinique complet afin d’éliminer un possible syndrome des loges.
En outre, ce patient sous anticoagulants (warfarine) a présenté un traumatisme crânien, un scanner céphalique sans injection était donc nécessaire pour éliminer un éventuel saignement intracrânien. Du fait de son âge et de la cinétique de son traumatisme, un scanner cervical a aussi été réalisé. Il était en effet impossible d’éliminer une fracture du rachis cervicale par le simple examen clinique chez cette personne âgée, car souvent ces traumatismes restent asymptomatiques, du moins dans un premier temps. L’examen clinique complet de ce patient n’a relevé aucun autre point d’appel orthopédique, ce qui est souvent le cas dans ces conditions de chute au sol.
Après la réalisation des examens para-cliniques, le patient a reçu des dérivés nitrés par voie intraveineuse et il a été mis sous CPAP. Après une amélioration clinique au sein des urgences, il a été transféré en soins intensifs. Il a ensuite aggravé sa fonction rénale et a présenté un tableau d’anasarque. Après discussion avec le patient, sa famille et l’équipe soignante, un transfert en EHPAD a été proposé. C’est dans cet établissement que le patient est décédé.
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Citer cet article: Cas clinique : un homme dyspnéique passe 24h couché au sol - Medscape - 3 févr 2021.
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