POINT DE VUE

Internes, COVID et réformes : le nouveau président de l’Isni fait le point

Jean Bernard Gervais

Auteurs et déclarations

1er février 2021

Paris, France — Crise du Covid, réforme de la licence de remplacement, statut de « docteur junior », numerus clausus, accords du Ségur…autant de changements brutaux et de réformes à venir qui mettent les étudiants en médecine à rude épreuve. Alors que l’actualité les concernant est encore une fois dramatique avec de récents suicides dans leurs rangs, nous avons interrogé Gaëtan Casanova, président de l'intersyndicale nationale des internes en médecine (Isni) sur les conditions d’études difficiles sous épidémie de Covid.

Gaëtan Casanova

Il revient pour Medscape sur les conditions de travail des internes qui se sont engagés dans la lutte contre la pandémie mais détaille aussi l'épineux dossier de la licence de remplacement, dans lequel cet interne en anesthésie-réanimation s’est particulièrement investi depuis sa prise de poste à la tête de l’Isni en octobre 2020 (Lire Les remplacements repoussés à la 4ème année d’internat : la CSMF et l’Isni disent non ! ).

Qu'en est-il actuellement des conditions de travail des internes entre deux pics épidémiques de Covid ?

Gaëtan Casanova : Lors de la première vague de Covid, il y a eu beaucoup d'engouement de la part des internes pour aller prêter main forte. Nous en sommes ressortis sur les rotules. Lorsque la deuxième vague est arrivée, les troupes étaient beaucoup moins confiantes, beaucoup plus fatiguées. Certains hôpitaux n'ont voulu ni payer ni reporter les congés payés des internes, des décisions iniques... Nous avons ressenti une absence de reconnaissance. Lors de la dernière remise de légion d'honneur, nous avons eu aussi la surprise de constater que des médecins qui avaient passé plus de temps sur les plateaux télévisés que dans les services, avaient été décorés... Il y avait aussi bien évidemment des gens de grande qualité. Mais nous avons quand même ressenti de la colère, nous avons eu l'impression d'être les dindons de la farce.

 
Certains hôpitaux n'ont voulu ni payer ni reporter les congés payés des internes, des décisions iniques  Gaëtan Casanova
 

Les étudiants sont malmenés par la crise sanitaire. Avez-vous eu le temps de vous pencher sur les risques psychosociaux ?

Gaëtan Casanova : Nous connaissons actuellement de nouvelles vagues de suicide. C'est un problème très présent ces dernières années et un sujet extrêmement important. Nous sommes également très attentifs à la question du harcèlement. Nous travaillons avec une avocate pénaliste afin de briser l'omerta hospitalière sur ce sujet. Je sais que le président des doyens est très sensible à cette question. Pour autant, sur le terrain, nous en sommes toujours au point mort. Nous avons d'ailleurs assez peu confiance dans la conférence des doyens pour avancer sur ce sujet. En outre, nous demandons la réforme du statut d'hospitalo-universitaire, pour en finir avec le quadruple pouvoir des PU-PH : enseignant, chercheur, praticien et manager. Sans parler de toutes les commissions inimaginables auxquelles ils assistent. On se demande d'ailleurs comment ils font pour tout faire correctement... Qui plus est, il existe une réelle fracture entre cette caste hospitalo-universitaire et le reste du corps médical.

La question des internes obligés de travailler même infectés par le Covid a été réglée de quelle manière ?

Gaëtan Casanova : Il fallait remplir un vade-mecum, non obligatoire, qui encourageait les soignants et les étudiants asymptomatiques à aller travailler. Il y avait donc un risque de contamination des autres soignants ainsi que des patients. C'était assez inacceptable et nous l'avons dit haut et fort. Ils ont senti la tempête monter et cela a été retiré dès le lendemain.

 
Selon les assureurs, la sinistralité n'est pas plus importante pour les jeunes remplaçants que pour les autres médecins  Gaëtan Casanova
 

Medscape édition française : Autre sujet, où en est-on de la réforme de la licence de remplacement voulue par le Conseil de l'Ordre ?

Gaëtan Casanova : Un rapport du conseil de l'Ordre sur les licences de remplacement, dans le cadre de la réforme du 3e cycle, a été récemment remis au ministère de la Santé. Pour être plus précis, ce rapport, remis en février 2020, propose, en accord avec les doyens de médecine, de repousser la date d'obtention des licences de remplacement au niveau des docteurs juniors. Le ministère de la santé avait ensuite rédigé un brouillon de décret, afin d'intégrer, entre autres, les nouveaux DES dans le processus de remplacement. Ce décret a ensuite été écrit de manière plus définitive, et proposait des licences de remplacement différentes selon les spécialités, et quelques autres ajustements. Nous en étions plutôt satisfaits. Ce projet de décret a ensuite été adressé à l'Ordre et à la conférence des doyens avant publication, lesquels se sont indignés du fait que leurs propositions n'avaient pas été retenues. Suite à cette bronca, nous avons décidé de sonder les organisations professionnelles, les collèges de spécialité... Nous avons reçu un nombre de soutiens extrêmement important dont le dernier en date est la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). Fort de ces soutiens, nous avons alors fait valoir qu'il n'y a pas de raisons de changer les critères d'attribution des licences de remplacement, étant donné que, selon les assureurs, la sinistralité n'est pas plus importante pour les jeunes remplaçants que pour les autres médecins. Dernière chose : l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) dans un rapport n'établissait aucun lien entre les licences de remplacement et la réforme du troisième cycle. Nous avons l'impression que la conférence des doyens ne comprend pas les enjeux de la remise en cause de l’attribution des licences de remplacement, alors même que celles-ci ont été énormément utilisées pendant la première vague de Covid. J'espère que le ministère de la Santé aura suffisamment d'intelligence pour résoudre ce problème. Je pense aussi que les doyens sont terrorisés à l'idée de voir les internes quitter l'hôpital public ; pour les garder, ils veulent restreindre les possibilités de remplacement, ne pas informer sur les stages dans le privé, etc.

 
Je pense...que les doyens sont terrorisés à l'idée de voir les internes quitter l'hôpital public  Gaëtan Casanova
 

Qu'en est-il de la mise en place des réformes des 2ème et 3ème cycles (R2C et R3C) ?

Gaëtan Casanova : Et bien il est vrai qu'avec l’épidémie de Covid il a été difficile de suivre cette thématique. Et nous sommes d'autant plus furieux que nous pensons que l'on nous accapare avec des non-sujets comme les licences de remplacement. D'autant plus que nous avons d'autres thèmes à traiter, comme le temps de travail qui peut atteindre 58 heures par semaine le tout payé 1500 euros en premier semestre. Nous essayons donc de mettre un point final à cette question des remplacements pour nous occuper de ce qui est au cœur de notre combat.

Quid de la question des docteurs Juniors ? Le problème est-il réglé ?

Gaëtan Casanova : Cela a été très compliqué car il y avait beaucoup de praticiens qui devaient accueillir les docteurs juniors mais qui ne connaissaient rien à la procédure de big matching. Certains internes ne connaissaient pas non plus les dates pour se connecter, nous avons connu d'énormes difficultés sur ce sujet. D'autres docteurs juniors n'ont pas eu non plus le temps de passer leurs thèses çar ils ont été accaparés par la crise du Covid... Nous craignons donc la généralisation de la phase de docteurs juniors qui va être élargie à de nouveaux DES... L'Uness (université numérique en santé et sport) qui réalisait l'environnement numérique d'appariement des docteurs juniors a aussi rencontré quelques soucis. Nous nous sommes demandés s'ils allaient continuer à travailler, et nous restons inquiets pour la suite de cette réforme.

*Avec la procédure de «big matching» instaurée par la réforme, les étudiants doivent passer par une plateforme numérique pour trouver un stage.

 
Nous sommes aussi confrontés actuellement à des étudiants mal orientés qui veulent changer de spécialité. Mais en médecine ce n'est pas possible  Gaëtan Casanova
 

Quid de la suppression du numerus clausus ?

Gaëtan Casanova : Nous avons très peu d'informations. Ce que je peux en dire, c'est que le classement actuel via les ECNI est très injuste, il ne prend pas en compte notre valeur, nos compétences. Certains réussissent très bien cet examen en restant assis dans une bibliothèque devant un livre... Nous sommes aussi confrontés actuellement à des étudiants mal orientés qui veulent changer de spécialité. Mais en médecine ce n'est pas possible, il n'est même pas envisageable de changer de subdivision si l'on ne peut justifier d'un motif impérieux, comme une chimiothérapie par exemple. Ce blocage est générateur de risques psychosociaux, il m'arrive souvent de recevoir des internes en pleurs car ils n'arrivent pas à changer de spécialités... Ce système est vraiment mortifère. Dans la vie, nous tâtonnons mais en médecine ce n'est pas possible. Il faut donc voir quel système va remplacer les ECNi, et rester vigilant sur la prise en compte de toutes les compétences dans le nouveau système, veiller à ce qu'il reste suffisamment souple. Si c'est le cas, ce système est souhaitable. Il faut aussi faire attention au fait que la profession est très corporatiste et que le nouveau système de sélection ne soit pas népotiste. Je vais être un peu sévère : il est quand même paradoxal de constater que ceux qui insufflent les réformes sont ceux qui gèrent ce système si mal fait... On peut craindre que la réforme soit brinquebalante, si l'on emploie ceux qui ont mal fait le travail quelques années auparavant...

 
On peut craindre que la réforme soit brinquebalante, si l'on emploie ceux qui ont mal fait le travail quelques années auparavant. Mais en médecine ce n'est pas possible  Gaëtan Casanova
 

Etes-vous satisfait de l'application des accords de Ségur ?

Gaëtan Casanova : Il y a des choses positives comme l'augmentation des salaires par exemple. Avoir les moyens du dialogue social est une chance pour les syndicats, mais aussi pour le système de santé in fine. L'amélioration de la qualité de vie au travail est aussi une bonne chose. Maintenant il faut voir comment tout cela sera appliqué via le comité de suivi. Mais la comptabilisation du temps de travail n'est toujours pas réglée, à tel point que nous avons introduit un recours en conseil d'État. C'est un aspect majeur de respect de la loi et il est quand même paradoxal de devoir se battre pour que la loi soit appliquée. Il y a des avancées, mais elles sont cosmétiques. D'autant plus que notre système de santé est à bout de souffle.

 
Avoir les moyens du dialogue social est une chance pour les syndicats, mais aussi pour le système de santé in fine  Gaëtan Casanova
 

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....