Paris, France — Le Collège national des gynécologues obstétriciens français (CNGOF) a émis de nouvelles recommandations sur la prise en charge des saignements utérins anormaux (ménorragie) et des pathologies associées (fibromes, endométriose…)[1]. Une mise à jour bienvenue après la suspension de l’Esmya® (acétate d’ulipristal) et les récentes restrictions sur l’utilisation des progestatifs Lutényl® (acétate de nomégestrol) et Luténan® (acétate de chlormadinone).
Alors que les options médicamenteuses sont désormais limitées, le document donne davantage de place aux approches chirurgicales, comme la résection de l’endomètre (endométrectomie), proposée pour chaque étiologie, ou l’embolisation des artères utérines, désormais possible dans le traitement des fibromes chez les femmes ayant un projet de grossesse.
Les principales lignes de ces nouvelles directives, qui remplacent les précédentes de 2008, ont été présentées par le Pr Jean-Luc Brun (CHU de Bordeaux) lors d’une conférence de presse du CNGOF, organisée à l’occasion du congrès Pari(s) Santé Femmes, qui se déroule cette année sous forme de sessions virtuelles [1].
Des progestatifs oraux peu valorisés
Ces recommandations définissent les stratégies diagnostiques à mettre en place devant une ménorragie et actualisent l’approche dans la prise en charge thérapeutique de cette anomalie du cycle menstruel, qui représente un tiers des motifs de consultation en gynécologie.
Largement prescrits en première intention en France pour atténuer les saignements chez les femmes non ménopausées, les progestatifs oraux y trouvent peu de place, faute de données suffisantes, a indiqué le gynécologue-obstétricien. Le dispositif intra-utérin (DIU) hormonal à base de progestatif est, en revanche, davantage plébiscité.
Pour autant, « il n’est pas interdit d’utiliser les progestatifs par voie oral et on va continuer à le faire pour réduire les orientations vers la chirurgie », a souligné le Pr Brun, en réponse au Pr Israël Nisand, président du CNGOF, qui a regretté, lors d’un échange en fin de conférence, de ne pas voir les progestatifs oraux davantage valorisés en première ligne de traitement.
« On savait que la communauté [des gynécologues] allait réagir, mais il n’a pas été possible d’avoir des arguments scientifiques pour défendre l’utilisation des norprégnanes (nomégestrol, promégestone…) et des progestatifs français », dont certains n’ont pas d’AMM dans cette indication. Les progestatifs faisant l’objet d’études « ne sont pas disponibles en France », a précisé le Pr Brun.
Echographie, bilan sanguin et IRM
Pour combler ce manque de données, des pistes de recherche sont évoquées dans le document. A chaque fois qu’il est précisé que les progestatifs ne peuvent pas être utilisés dans une indication « des essais randomisés sont proposés » pour favoriser le développement de la recherche clinique sur les progestatifs.
Cette position sur les progestatifs est d’autant plus sensible que l’arsenal thérapeutique s’est récemment retrouvé réduit. Après le retrait de l’ulipristal (Esmya®) dans le traitement des fibromes utérins avant chirurgie, en raison d’un risque de lésions hépatiques, le recours aux progestatifs Lutényl® et Luténan® a été restreint (voir encadré), face au risque de méningiome.
Concernant le diagnostic de ménorragie, le recours au score de saignement dit des pictogrammes (PBAC) pour évaluer le volume des règles devient optionnel chez l’adulte dans ces nouvelles recommandations, mais reste conseillé chez l’adolescente ou en cas de doute. Désormais, on considère que le ressenti de la femme est suffisant pour rechercher une étiologie.
L’examen paraclinique s’appuie sur l’échographie pelvienne, qui doit être réalisée par un médecin expérimenté « connaissant bien les pathologies gynécologiques » pour que l’examen garde une bonne sensibilité, souligne le Pr Brun. En cas d’échographie normale, un bilan sanguin est à envisager pour rechercher un éventuel problème de coagulation (maladie de Willebrand).
Chez l’adolescente, un bilan d’hémostase est recommandé en première intention, les anomalies de coagulation étant retrouvées dans 10 à 65% des cas dans cette population. En cas de bilan anormal, le CNGOF recommande d’orienter vers le spécialiste de l’hémostase d’un centre de référence des pathologies gynécologiques rares (PGR).
Le DIU hormonal jugé fiable
L’échographie, examen de deuxième intention chez l’adolescente, permet de rechercher une hypertrophie de l’endomètre, des polypes, un fibrome ou une endométriose, quatre pathologies à l’origine de saignements utérins abondants. Toutefois, dans près de 80% des cas, aucune cause n’est identifiée.
L’IRM est indiquée uniquement en cas de doute sur le diagnostic d’endométriose ou pour mieux localiser un fibrome avant intervention chirurgicale. Une biopsie endométriale est à réaliser lorsque l’épaisseur de l’endomètre dépasse 12 mm pour confirmer une hyperplasie ou en cas de facteurs de risque de cancer de l’endomètre (obésité, diabète, nulliparité).
S’agissant du traitement, la stratégie dépend désormais de la volonté de la femme de conserver ou non des possibilités de procréation. Un âge supérieur ou inférieur à 40 ans et la parité ne sont plus les principaux critères.
En cas de ménorragie idiopathique, si la femme envisage un projet de grossesse, le DIU hormonal au lévonorgestrel est recommandé en première intention. Il s’agit du traitement hormonal « le plus fiable et ayant fait preuve d’efficacité », selon le Pr Brun. Si la grossesse est immédiate, un traitement antifibrinoltique est à proposer.
Chez les femmes ne voulant pas d’enfant, mais souhaitant conserver leur utérus, le DIU est également conseillé pour les moins de 42 ans. Au-delà de cet âge, il est recommandé de procéder à une endométrectomie pour « éviter les effets secondaires des médicaments ». L’hystérectomie est à proposer à celles qui peuvent envisager de perdre leur utérus.
Endométrectomie et embolisation
En cas de pathologie utérine, les recommandations apportent un arbre décisionnel. En ce qui concerne le traitement des fibromes, souvent impliqués dans les saignements abondants, le recours à l’embolisation des artères utérines (EAU) est pour la première fois recommandé, au même titre que la myomectomie, si un désir de grossesse immédiat est exprimé.
L’EAU était jusque-là réservée aux femmes qui ne souhaitaient pas de grossesse. « Même si le traitement n’est peut-être pas à proposer en première intention, des études récentes ont montré que l’EAU n’affecte pas la fertilité », a précisé le Pr Brun. Les femmes doivent toutefois être informées d’un risque accru de fausse couche.
En cas de grossesse différée, la pose d’un DIU hormonal trouve là encore sa place. Un analogue de GnRH peut également être proposé pour une durée maximale de trois mois.
Dans le cas d’une endométriose, on retrouve le DIU en première intention pour les femmes qui désirent conserver une capacité de procréation. Il est à associer à une endométrectomie pour celles qui n’envisagent pas de grossesse.
Pour toutes les pathologies utérines, l’hystérectomie reste le traitement le plus efficace chez celles qui envisagent de perdre leur utérus. L’opération doit être réalisée par voie coelioscopique ou vaginale « par des chirurgiens expérimentés ».
Lutényl®/Lutéran®: l’ANSM publie ses recommandations
Très utilisés en France pour traiter des troubles gynécologiques, comme les fibromes, l’endométriose ou des irrégularités du cycle menstruel, le Lutényl® (acétate de nomégestrol), le Lutéran® (acétate de chlormadinone) et leurs génériques font désormais l’objet de restrictions, ces progestatifs étant associés à un risque de méningiome multiplié par trois, variable selon la dose cumulée, la durée du traitement et l’âge de la patiente.
Ce risque a été révélé en juin dernier dans une étude épidémiologique, qui a conduit l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a émettre des recommandations[2]. Si ces progestatifs sont désormais déconseillés dans certaines indications comme les irrégularités de cycle, ils restent présentés comme option de dernier recours pour traiter une endométriose ou une ménorragies associés à un fibrome en préopératoire, à condition d’opter pour un traitement au plus court. Une surveillance par IRM cérébral est également à prévoir.
Le Pr Nisand a précisé, lors de la conférence de presse, que le CNGOF n’approuve pas ces restrictions d’utilisation, le risque étant, selon lui, de favoriser les hystérectomies. « C’est ignorer que l’hystérectomie est associée à des complications graves, qui ne sont pas rares », a-t-il souligné, après avoir précisé que le CNGOF n’a pas été consulté pour se prononcer sur les conclusions de l’ANSM.
« Pour éviter un méningiome pour 10 millions de patientes, l’ANSM nous fait faire des dizaines d’hystérectomies. Nous ne sommes plus dans une évaluation de la balance bénéfices/risques ». Le Pr Nisand a indiqué qu’un communiqué était en préparation « pour contester le fait de ne pas avoir été écoutés sur ce point ».
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Citer cet article: Ménorragies: de nouvelles recommandations françaises qui donnent une large place à la chirurgie - Medscape - 1er févr 2021.
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