Paris, France — À la veille du congrès Pari(s) Santé Femmes qui s’est tenu, virtuellement, du 13 au 15 janvier 2021, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) a souhaité faire connaître ses inquiétudes et ses recommandations concernant l’accès des femmes à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) en France. Ses propositions ont été détaillées et étayées ce 12 janvier par le Dr Joëlle Belaisch-Allart.
Accès à l’IVG : des progrès sont à faire
« L’IVG n’est pas un acte médical ordinaire, c’est un sujet difficile et clivant, mais c’est une liberté des femmes et nous sommes conscients, au CNGOF, que l’accès à l’IVG en France n’est pas évident pour toutes les femmes et que des progrès sont à faire », a d’abord rappelé la cheffe du service de gynécologie obstétrique et médecine de la reproduction du Centre hospitalier de Quatre-Villes, à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), qui prendra vendredi 15 janvier la présidence du CNGOF, première femme à ce poste, à la suite du Pr Israël Nisand.
Une proposition de loi, qui allonge le délai légal d’accès à l’IVG, de 12 à 14 semaines de grossesse, a été votée en première lecture par l’Assemblée nationale et devrait bientôt être examinée au Sénat. Pour le Dr Belaisch-Allart, « allonger ce délai, c’est une mauvaise façon de se débarrasser du problème ».
IVG à l’étranger
Plus le terme de la grossesse est avancé, plus le pourcentage de complications augmente. C’est une des raisons pour lesquelles l’Académie de médecine s’oppose à cet allongement du délai de recours à l’IVG. « Un fœtus de 14 semaines mesure environ 12 cm et son extraction lors de l’IVG chirurgicale n’est guère facile », note le Dr Belaisch-Allart, mais, « les complications graves sont extrêmement rares. C’est un geste désagréable pour le médecin mais ce n’est pas pour ça qu’il ne faut pas le faire ». L’IVG médicamenteuse, le plus souvent privilégiée à ce terme, représente quant à elle un accouchement à minima et donc « une épreuve, il faut oser le dire, pour la femme », ajoute la spécialiste.
« Ce sont les femmes de niveau socio-économique le plus bas qui ont le plus recours à l’IVG et actuellement les femmes qui dépassent le délai légal doivent aller à l’étranger ce qui est coûteux et aggrave les inégalités », souligne encore la gynécologue. Une étude européenne dirigée par Silvia de Zordo [1] et publiée récemment a évalué le nombre de ces femmes à 1 500 à 2 000 ; et 70 % des femmes françaises qui se rendent à l’étranger ne se savaient pas enceintes avant 14 semaines et sont prises en charge en moyenne à 19 semaines.
Les 5 propositions du CNOGF
Pour le CNGOF, ce dont souffre l’IVG en France, c’est d’un manque de considération : insuffisance de locaux, de personnel dédié et formé, de places dans les blocs opératoires…
Pour améliorer la prise en charge des femmes ayant recours à l’IVG, le CNOGF émet donc cinq propositions :
Imposer un délai court de prise en charge. Si des moyens leur sont donnés, 87 % des gynécologues obstétriciens sont prêts à s’engager à recevoir les femmes dans les cinq jours.
Mieux valoriser les IVG, ou, à défaut, indemniser les services via les dotations des MIGAC (missions d'intérêt général et d'aides à la contractualisation).
Rémunérer de la même façon les IVG médicamenteuses et chirurgicales pour ne pas favoriser financièrement une méthode plutôt qu’une autre. Aujourd’hui, le forfait pour un IVG chirurgicale est de 463,25 à 664,05 € (en fonction de la durée d’hospitalisation et du type d’anesthésie) et celui d’une IVG médicamenteuse est de 282,91 € alors que certaines nécessitent une hospitalisation de jour qui rend l’acte déficitaire pour les établissements de soins.
Mettre en place la contraception gratuite pour toutes les femmes : les IVG sont les plus fréquentes chez les femmes de 20 à 29 ans alors que ces actes ont diminué chez celles de 15 à 19 ans pour qui la contraception est gratuite.
Améliorer l’information sur la sexualité dans les écoles pour qu’une grossesse sur quatre ne se termine pas par une IVG (en 2019, le nombre d’IVG s’est élevé à 232 244 pour un nombre de naissance de 753 000).
Promouvoir plutôt l’IMG psychosociale
Plutôt qu’un allongement du délai de l’IVG, le CNGOF en appelle également à promouvoir l’interruption médicale de grossesse (IMG) psychosociale* pour répondre aux cas rares des demandes au-delà de 14 semaines de
grossesse (2 000 demandes pour 219 000 IVG, soit 0,9%). « La femme doit alors, certes, justifier sa demande et l’avis est rendu par une commission pluridisciplinaire, mais cette IMG psychosociale doit être réellement accessible partout, ce qui nécessite une vraie organisation, que l’écoute des centres soit favorable aux femmes en détresse et que le choix des femmes soit respecté chaque fois que possible », insiste le Dr Belaisch-Allart.
Dans sa réponse à la saisine du ministre des Solidarités et de la Santé, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) n’a pas vu de raison éthique de s’opposer à l’allongement du délai d’IVG mais a pointé « des dysfonctionnements [qui] requièrent prioritairement une politique de santé ajustée aux problématiques soulevées, sans quoi l'allongement de l'IVG s'apparenterait à un palliatif non bienfaisant d'une prise en charge bienfaisante [2]. Le droit des femmes serait davantage respecté par une prise en charge dans des délais courts induisant moins de complications ». Le Dr Belaisch-Allart signale enfin que ce rapport a repris toutes les propositions du CNGOF.
* L’amendement N° 524, adopté au cours de l’été 2020 dans le cadre de la révision des lois de bioéthique à propos de l'interruption médicale de grossesse (IMG) autorise l’interruption médicale de grossesse (IMG) pour cause de détresse psychosociale de la mère. A la différence de l’IVG, autorisée jusqu’à la fin de la douzième semaine de grossesse, l’IMG peut être pratiquée à n’importe quel stade de la grossesse. L’adoption de cet amendement a provoqué un tollé l’été dernier.
Allongement délai légal d’IVG : ce que les gynécos en pensent
Le CNGOF a réalisé en novembre dernier une enquête sur cet éventuel allongement du délai légal d’IVG en France. 783 gynécologues obstétriciens français ont répondu à ce questionnaire. Ses résultats révèlent des divergences d’opinion parmi les professionnels :
72 % des répondants se disent défavorables à l’allongement du délai légal d’IVG de 12 à 14 semaines de grossesse, contre 20,4 % de favorables (6,6 % NSP).
si cet allongement devenait effectif, 48,7 % d’entre eux affirment qu’ils se refuseraient à pratiquer ces IVG tardives, contre 37,3 % qui seraient prêts à les réaliser (13 % NSP).
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Citer cet article: IVG : des conditions d’accès inadaptées et des mesures à prendre pour les améliorer - Medscape - 21 janv 2021.
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