France -- Un collectif de soignants et d’usagers dénonce la suppression de 300 lits prévue pour l’hôpital Grand Paris Nord. Le campus hospitalier sera pourtant situé dans une zone précaire avec une démographie en croissance.
Un collectif de soignants et patients s'insurge
Incompréhensible : alors que le directeur général de l'ARS Grand Est, Christophe Lannelongue, avait été limogé en avril dernier (limogeage qui a été contesté par le Conseil d'État, NDLR), pour avoir affirmé que la restructuration du CHRU de Nancy, tel que le Copermo (comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers) l'avait conçu, allait se poursuivre après la crise Covid (avec son lot de suppression de lits), l'AP-HP poursuit comme si de rien n'était le projet, lui aussi issu d'un Copermo, de rapprochement des hôpitaux Bichat et Beaujon dans une seule et même structure, l'hôpital Grand Paris Nord ; avec à la clé une suppression de 200 à 300 lits. Ce qui a le don de révulser un collectif de soignants et d'usagers qui ont signé une tribune publiée par Le Monde afin de sensibiliser l'opinion publique.
« Un nouvel hôpital, attenant à la partie universitaire et de recherche, doit être construit à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), et le projet prévoit toujours la fermeture de plus de 300 lits d’hospitalisation complète en médecine, en chirurgie et en obstétrique, ce qui représente une baisse de près de 30 % des capacités d’hospitalisation », s'insurgent les pétitionnaires.
Cette réduction des lits ne peut être possible, selon les concepteurs de ce projet, que si deux conditions sont réunies : une baisse de la durée moyenne de séjour (DMS) à Bichat-Beaujon de 30% et une occupation des lits de 95%. « Cet objectif n’est justifié par aucune étude médicale ou scientifique », rétorquent les auteurs de la tribune.
Trois unités d’hospitalisation supplémentaires
Contactée par Medscape, l'AP-HP précise que « l’objectif capacitaire qui a été décidé en 2016 pour ce nouvel hôpital, a été calculé en tenant compte à la fois des évolutions démographiques à 2030 et des évolutions majeures déjà observées ou attendues d’ici à l’ouverture du nouveau bâtiment ».
Mais à la suite de la première vague de Covid-19 entre mars et mai dernier, des ajustements à la hausse ont été effectués : « L’important travail de documentation et de retour d’expérience post-Covid mené au sein des hôpitaux Bichat et Beaujon sur les besoins en hospitalisation mis en lumière par la pandémie a en effet été soumis aux autorités publiques dès le début de l’été. 70 millions d’euros supplémentaires ont ainsi été accordés au projet pour en financer les adaptations nécessaires. Ces 70 millions d’euros vont financer 3 unités d’hospitalisation supplémentaires au sein de l’hôpital nord. Ces unités représentent environ 90 lits et s’ajoutent aux 20 unités déjà prévues. »
Ce dont ne disconvient pas le Dr Anne Gervais, l'un des auteurs de la Tribune publiée dans Le Monde : « Il y a eu un ajustement marginal puisqu'ont été rajoutés 90 lits sur 810 lits. Mais l'on conserve 300 lits de supprimés !! Ils rajoutent 10% mais il ne faut pas en enlever 300 ! »
Pas de prise en compte de la précarité
Pour le Dr Anne Gervais, avec ou sans l'ajout de ces 90 lits, les projections effectuées par le comité directeur de ce projet sont hors sol. La réduction de 30% de la DMS ne tient pas compte de la précarité des populations usagères des hôpitaux Bichat et Beaujon : « Nous sommes quand même dans une zone précaire (proximité de la Seine-Saint-Denis pour l'hôpital Bichat) et nous savons que dans ces zones, la DMS est plus allongée et la prise en charge plus compliquée. Exemple : comment vous organisez une coloscopie chez un patient qui habite à l'hôtel avec les WC sur le palier ? Il nous faut parfois disposer d'une nuit pour la préparation d'une coloscopie, cela peut paraître invraisemblable mais c'est le cas. Donc dans des zones comme la Seine-Saint-Denis, il y a encore moins de raisons d'enlever des lits. »
Croissance de la démographie
Anne Gervais avance un autre argument, qui plaide contre la réduction du nombre de lits : la croissance de la démographie. « le bassin de vie augmente : nouvelles construction, destruction des docks pour en faire des logements... Nous savons que dans le bassin de Bichat-Beaujon, nous allons avoir 10% de population en plus dans les années qui viennent !! »
Elle craint également qu'un taux d'occupation de 95% des lits ne rende impossible la prise en charge des urgences : « C'est totalement déconnecté de la réalité. Avec 95% de taux d'occupation, vous ne pouvez plus prendre en charge les urgences. »
Déserts médicaux
Autre difficulté élaguée par l'AP-HP : les déserts médicaux en médecine de ville. « Nous pourrions éventuellement basculer en ambulatoire, si la médecine de ville est suffisamment dense. Mais en Seine-Saint-Denis, justement, la médecine de ville est truffée de déserts médicaux. C'est l'hôpital, dans ce département, qui sert de recours de proximité », analyse-t-elle.
Côté AP-HP, on fait remarquer que le projet hôpital Grand Paris Nord a été conçu pour répondre à la vétusté des bâtiments : « L’hôpital Grand Paris Nord est l’une des deux composantes indissociables du projet de nouveau campus hospitalo-universitaire à Saint-Ouen qui rassemblera en 2028, les facultés de santé de l’université de Paris (Villemin, Bichat...), d’une part, et les activités actuelles des hôpitaux Bichat et Beaujon, d’autre part. Ce campus répond avant tout à la nécessité de réaliser de nouveaux locaux pour remplacer ceux dont la vétusté et l’inadaptation aux évolutions des besoins hospitaliers et universitaires n’est pas contestée. »
Ce à quoi le Dr Gervais plussoie, tout en s’effrayant du dimensionnement du projet : « Il faut repenser le nombre de lits et se méfier de l'hôpital usine. Plus c'est gros moins ça marche. Il vaut mieux deux sites moyens qu'un gros site. »
Il y a urgence, pour le Collectif, à prendre en compte l'avis des usagers et des soignants, car le jury de ce projet se réunit le 4 mars prochain pour examiner les réponses au concours d'architecture. Une réponse définitive devrait être prise courant mars.
« Nous demandons instamment au ministre de la Santé d’intervenir afin que le projet campus hôpital Grand Paris Nord soit à la mesure des besoins de la population, mais également des filières d’excellence spécifiques de nos deux hôpitaux dont le recrutement dépasse la zone d’implantation du nouvel hôpital », conclut le Collectif.
Ce qui inquiète particulièrement les syndicats, c’est que le cas du campus hôpital Grand Paris Nord n’est pas isolé. A Nantes, Caen, Nacy, Marseille, des centaines de suppressions de lits sont prévues. « Les projets se poursuivent comme avant, alors que la crise a bien montré que ce n’était plus possible », commentait en fin d’année Christophe Prudhomme, de la CGT Santé, pour Le Monde .
La fermeture des lits d’hospitalisation complète continue d’année en année
En dépit des grèves, des manifestations et de la crise du Covid, le nombre de lits d’hospitalisation complète continue de diminuer en France, comme le montre une étude récente de la Dress. Les capacités d’hospitalisation complète ont été réduites de 0,9 % en 2019 par rapport à 2018.
3408 lits d'hospitalisation complète ont été fermés dans les établissements de santé français alors qu’ont été créées 1493 places d'hospitalisation partielle.
Les 3005 établissements publics et privés disposaient de 392 262 lits d'hospitalisation complète en 2019 contre 395 670 en 2018 ou 413 282 en 2013.

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Citer cet article: Poursuite de la suppression des lits dans le projet Hôpital Grand Paris Nord : un collectif réagit - Medscape - 19 janv 2021.
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