Marseille, France – Phobies, troubles obsessionnels compulsifs (TOC), trouble anxieux généralisé (TAG), stress post-traumatique, addictions (tabac, alcool, cocaïne, jeu pathologique…) … L’ensemble de ces troubles peuvent aujourd’hui être traités par la thérapie par exposition en réalité virtuelle (TERV). A l’occasion de la sortie d’un ouvrage chez Odile Jacob consacré à cette technique innovante et alors que la technique diffuse dans les cabinets de psy privés, nous sommes retournés voir le Dr Éric Malbos (CHU Conception, Marseille) que nous avions déjà interviewé en 2018. Le psychiatre revient sur le concept et les principaux avantages de cette TCC du XXIème siècle, facilement adaptable aux angoisses des patients, y compris vis-à-vis du Covid-19. Il expose aussi les nouveautés et les pistes d’avenir pour cette thérapie qui gagne peu à peu du terrain avec un matériel abordable et facile à utiliser au cabinet du médecin – et même au domicile du patient.
Même efficacité que les TCC sans avoir à s’exposer à des lieux anxiogènes réels
Basée sur les principes d’exposition des TCC (thérapie cognitive et comportementale), la TERV substitue la réalité (phobogène, anxiogène ou tentante) par des stimuli artificiellement créés et contrôlés dans un environnement virtuel. Cette thérapie progressive serait tout aussi efficace que la TCC, sans les inconvénients liés à cette dernière, à savoir s’exposer dans des lieux anxiogènes réels. D’ailleurs, 60 à 80 % des patients souffrant de phobies ne sollicitent pas une aide professionnelle, tandis que 25 % refusent de bénéficier de la thérapie par exposition, « car ils redoutent d’être exposés à l’objet de leur peur » indique le Dr Éric Malbos dans son dernier ouvrage.
Avec la TERV, les phases d’exposition in vivo aux situations ou objets phobogènes ou anxiogènes ont été remplacées par des situations similaires en images de synthèse (cabine d’avion virtuel, pause-café au travail, ascenseurs virtuels, araignées en images de synthèse…), afin de substituer la réalité par des stimuli artificiellement créés et contrôlés par le thérapeute dans un environnement virtuel. Ce qui permet notamment de prendre en charge les patients les plus réticents. Car les études cliniques le démontrent : la réalité virtuelle (RV) stimule les mêmes sens, avec les mêmes éléments significatifs (chien, hauteur, voitures, vitesse, enfermement…). » Les compétences acquises par le patient dans la RV vont donc pouvoir être transférées dans la réalité.
« Le patient, c’est comme un pilote de chasse ou un astronaute qui apprend avec un simulateur. Et la RV fonctionne un peu comme un simulateur. Le patient est donc capable de conserver son apprentissage pour le transférer dans la réalité », poursuit le Dr Malbos qui estime que la TERV est tout aussi efficace, voire plus efficace que la TCC. Par ailleurs, cette méthode offre de nombreux avantages comparés à la TCC : environnement plus souple et contrôlable que dans la réalité ; nul besoin de s’aventurer à l’ « extérieur » durant la thérapie ; meilleure prévention des risques (chute, attaque de panique…) ; motivation plus forte des patients, notamment les plus jeunes férus de nouvelles technologies…A noter que cette thérapie ne s’oppose pas aux TCC, dont elle utilise les grands principes (lire encadré : La thérapie en pratique).
Les addictions aussi, notamment le tabac
Quoi de neuf dans le domaine de la TERV ? En dehors des troubles anxieux (phobies, TOC, agoraphobie, stress-post-traumatique…), le champ d’application de la TERV s’est élargi ces dernières années aux addictions et aux aspects sociaux et cognitifs du traitement de la schizophrénie. Les dépendances au tabac, à l’alcool ou à la cocaïne peuvent par exemple être traitées. « Les environnements virtuels (bar, rave party, seringue, rail de cocaïne..) existent pour les médecins addictologues », explique le Dr Malbos qui ajoute que la thérapie fonctionne aussi pour les patients qui ont des problèmes de jeu pathologique. La RV serait d’autant plus efficace pour les addictions « qu’elle met les patients directement dans des situations de tentation (et non dans des situations anxiogènes), pour qu’ils arrivent à gérer leur forte envie de consommer le produit aux côtés du médecin. En TCC, on peut apporter un paquet de cigarettes ou une bouteille de vodka, mais il va manquer tout le contexte. En RV, on recréé, par exemple, un environnement de pause-café au travail avec un collègue qui propose de fumer une cigarette… Ce qui est impossible dans le cabinet du médecin. » Et cela fonctionne pour le tabac : « Grâce à la RV, le patient a un niveau de dépendance et une envie de fumer qui diminuent de manière significative », selon le psychiatre qui a publié une étude sur le sujet l’année dernière.
Réalité virtuelle et Covid-19
La réalité virtuelle est-elle efficace pour lutter contre les angoisses associées au Covid-19 ? Le Dr Malbos en est convaincu. Il utilise d’ailleurs la VR pour traiter les TOC liés à la peur de la contamination au SARS-CoV-2. Pourquoi ? « Parce que, bien avant l’épidémie, on utilisait déjà la VR pour traiter la peur ou l’obsession d’une contamination par d’autres virus (Sida, hépatites…), explique le médecin. Donc, on a repris les mêmes protocoles pour traiter les patients qui ont peur d’avoir le Covid de manière irrationnelle : en touchant des poubelles, en marchant sur un trottoir sale, en manipulant du sang. Et ça fonctionne très bien. » Notamment pour les personnes qui ont des rituels tels que laver leur téléphone portable avec l’eau de javel ou se laver les mains des dizaines de fois par jour. « Grâce à la RV, on peut arriver à leur faire diminuer leurs rituels et à faire en sorte qu’elles aient des pensées plus équilibrées, moins dysfonctionnelles ».
A l’avenir, utiliser l’olfaction et créer soi-même son environnement virtuel
Que peut-on attendre de la TERV à l’avenir ? Il sera possible de solliciter plus de sens dans un futur proche (à l’heure actuelle, seules la vision, l’audition et la proprioception sont sollicitées), répond le psychiatre : « On pourra par exemple stimuler l’olfaction avec des banques olfactives. Cela prend tout son sens avec les addictions. Si vous sentez des odeurs d’alcool ou de tabac, cela va stimuler encore plus l’envie de consommer. Or, plus on stimulera les sens, plus on donnera l’impression au patient que tout cela est vrai. » Enfin, les mouvements de locomotion omnidirectionnelle, comme par exemple le simulateur de tapis roulant omnidirectionnel Virtuix Omni ™, induiront une implication renforcée dans la RV, dont le but ultime est « d’intensifier toujours plus l’illusion de réalité aux yeux et à l’esprit de l’utilisateur ».
Par ailleurs, l’avenir, ce sera aussi de donner plus de pouvoir aux médecins et aux patients, pronostique le Dr Malbos : « De plus en plus d’internes veulent apprendre à créer eux-mêmes leurs environnements virtuels thérapeutiques, afin de s’adapter à des patients spécifiques ou des cas spéciaux ». De la même manière, dans le futur, « certains patients pourront utiliser des outils simplifiés pour créer eux-mêmes des environnements virtuels thérapeutiques qui correspondront exactement à leurs situations personnelles… Ils deviendront eux-mêmes des makers , des créateurs de contenus, mais aussi les co-thérapeutes de leur thérapie ».
L’avenir de la TERV n’a donc jamais semblé aussi prometteur.
La thérapie en pratique
Comment se déroule concrètement la thérapie ? Une fois le diagnostic posé, on réunit les patients en groupe pour faire 5 séances de TCC, afin de leur enseigner les méthodes : psychoéducation, relaxation, gestion des émotions, restructuration cognitive, auto-instructions positives, imagerie mentale… Une fois ces techniques apprises, on propose 6 séances de TERV au patient qui commence en général par « le plus facile, ce qui créé de l’anxiété, mais pas trop. Et on construit comme ça une hiérarchie dans la difficulté en fonction de ce qu’il veut faire », précise le Dr Malbos qui ajoute que le patient va utiliser à haute voix les méthodes de TCC préalablement apprises.

« Il ne s’agit pas de mettre un casque au patient et de se contenter d’un silence. Un dialogue s’établit entre le médecin et le patient qui communiquent souvent. » Le patient pourra demander au médecin de lui rappeler les méthodes apprises. Quant au médecin, il lui demandera par exemple de quantifier son degré d’anxiété de 1 à 100. Avant de l’orienter vers une méthode : relaxation, restructuration cognitive, gestion des émotions… La TERV permet donc « au médecin d’être présent aux côtés du patient quand il affronte des situations difficiles », ce qui rassure ce dernier. Mieux encore : « les patients vont faire le lien entre la situation et la voix rassurante des médecins. Et, quand ils seront dans la réalité, ils vont se rappeler de cette voix rassurante, ce qui va les aider », précise le Dr Malbos.
Un matériel abordable et facile à utiliser
Pour les médecins qui hésiteraient encore à se lancer dans la réalité virtuelle, le Dr Malbos rappelle que le tarif des visiocasques a considérablement diminué. A titre d’exemple, l’Oculus Quest 2 coûte 350 euros. Cette évolution technologique met aujourd’hui cette technologie à la portée des hôpitaux, des cliniques, des thérapeutes individuels exerçant en cabinet et… des patients ! En effet, selon le Dr Malbos, « les environnements virtuels ne sont pas uniquement disponibles pour les professionnels, ils sont aussi disponibles pour les patients. Donc, si un patient a le matériel chez lui (visiocasque) et qu’il achète les environnements virtuels, il peut se faire traiter à la maison, à distance, sous supervision d’un thérapeute ». Plusieurs entreprises proposent aux thérapeutes des environnements virtuels prêts à l’emploi pour le traitement des troubles anxieux : C2Care, In Virtuo, Neuro VR… « Ils savent qu’il y a des médecins qui ne manipulent pas forcément bien l’informatique, donc c’est très simple à utiliser. Il suffit de faire un clic pour lancer le logiciel, un clic pour choisir la pathologie, un clic pour choisir l’environnement (bureau de tabac, pose café au travail, chien, rat, conduite sur autoroute, avion..) et ça démarre ! ».
Et sachez qu’à Paris, le nouveau Centre de thérapies intégratives et nouvelles technologies (CTINT) ouvert en mai dernier accueille plus d'une dizaine de psychologues dans 6 bureaux équipés en réalité virtuelle (RV).

Psychiatre, enseignant et chercheur au pôle psychiatrie du CHU Conception (APHM) et à l’Institut Fresnel de l’université Aix-Marseille, le Dr Éric Malbos pratique depuis plus de quinze ans la TERV pour les troubles mentaux dans un cadre clinique et de recherche.
Il est co-auteur, avec le psychothérapeute-psychanalyste Rodolphe Oppenheimer, d’un ouvrage récent sur le sujet : « Psychothérapie et réalité virtuelle. Anxiété, TOC, phobies et addictions » (Ed. Odile Jacob). Ce nouveau guide de référence détaille pas à pas, de manière très concrète, toutes les étapes de la thérapie intégrant les environnements virtuels 3D.
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Citer cet article: Santé mentale : présent et avenir de la thérapie par exposition à la réalité virtuelle - Medscape - 19 janv 2021.
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