« Psy Ile-de-France » : le numéro vert à l’écoute des troubles psychiques se pérennise

Julien Moschetti

15 janvier 2021

Paris, France – À la demande de l’ARS Île-de-France et avec le concours de l’AP-HP, le GHU Paris psychiatrie & neurosciences (ex-Sainte-Anne, 14e arrondissement de Paris), a créé en avril dernier « Psy Île-de-France ». Cette plateforme d’écoute est dédiée aux patients souffrant de troubles psychiques, afin de leur apporter une aide sur mesure pendant la période du confinement. Les répondants sont des professionnels de la psychiatrie : infirmiers psychiatriques (répondants de « première ligne ») et psychologues du Groupement Hospitalier Universitaire (répondants de « deuxième ligne »). Aujourd'hui pérennisé, ce numéro d'appel gratuit (01 48 00 48 00), opérationnel 7 jours sur 7, de 11 heures à 19 heures, est destiné à tous, et non plus en priorité aux personnes ayant un proche souffrant d'un trouble psychique, comme c’était le cas au départ (voir notre article). Nous avons interrogé le Dr Liova Yon, psychiatre et coordinateur de Psy Île-de-France, pour en savoir plus sur le fonctionnement et les objectifs de ce dispositif. Mais aussi pour se faire une idée plus précise de la détresse psychologique des Français en période de crise sanitaire.

Quelle est la genèse du dispositif Psy Île-de-France ?

Dr Liova Yon : Le projet initial était le suivant : soutenir les patients, mais aussi surtout leurs proches (familles, amis etc…) dans le contexte de l’émergence de la crise sanitaire et du confinement. La période était très anxiogène, avec de nombreuses incertitudes. On craignait un raz de marée psychiatrique. On s’est donc demandé ce qu’on pouvait mettre en œuvre rapidement et facilement pour les patients et leurs proches. C’est ainsi que ce dispositif téléphonique est né.

Medscape édition française : Comment fonctionne concrètement le dispositif ? Qui répond aux appels ?

Dr L. Yon : L’un des points forts de notre ligne téléphonique, c’est que le répondant de première ligne est un infirmier spécialisé en psychiatrie. Sa mission consiste notamment à repérer les personnes qui relèvent d’une orientation psychiatrique. Dans ce cas, soit on les remet en lien avec une prise en charge qui existait déjà et qui a été interrompue, soit on amorce une prise en charge et on identifie le meilleur intervenant pour la personne : un médecin généraliste, un CMP (Centre médico psychologique), un psychiatre libéral, un psychologue… Dans un certain nombre de cas, on propose simplement une écoute. Notre plateforme offre aussi la possibilité, en plus de cette écoute de première ligne (15 à 20 minutes), de transférer l’appel à un pool de psychologues qui sont en back up (en deuxième ligne). Cela représente environ 30 % des appels. Soit l’appel est prolongé immédiatement, soit la personne est rappelée dans les 24 à 48 heures. La personne peut ainsi bénéficier de trois consultations psychologiques pour mieux cerner la demande, les besoins, prodiguer des conseils, et éventuellement orienter par la suite le patient vers une psychothérapie classique.

Pourquoi avoir opté au départ pour le soutien des proches en priorité?

Dr L. Yon : Il n’est pas toujours facile de repérer les patients en psychiatrie lorsque des signes d’aggravation surviennent. L’idée, c’était donc de permettre aux proches de relayer des informations d’inquiétude au sujet d’un patient désigné : qu’une mère appelle à propos de son fils qui est malade, qu’un époux appelle à propos de sa femme… L’accès aux soins est une obsession du corps psychiatrique, un problème récurrent. Que cela soit pour les patients déjà identifiés qui arrêtent leur traitement ou le suivi, mais aussi pour les patients dont les troubles émergent. Pour améliorer l’accès aux soins, nous avons donc ciblé en priorité les proches car ce sont les individus qui sont les premiers exposés, qui sont en première ligne. Historiquement, les proches n’ont pas toujours été très entendus, ni très écoutés en psychiatrie. Il fallait en général attendre que le patient fasse la démarche. C’est un peu moins le cas aujourd’hui, car la psychiatrie du XXe siècle fait en sorte de recevoir les informations et les inquiétudes des familles, pour que le patient désigné puisse accéder aux soins.

Quel est le profil des appelants ? Est-ce plutôt des patients ou leurs proches?

Dr L. Yon : 30 à 40 % d’entre eux n'ont aucun antécédent psychiatrique. Au début, on en était à environ 80 % de patients et 20 % de proches. À la longue, ce sont surtout les patients eux-mêmes qui se sont servis de la plateforme téléphonique. Aujourd’hui, 95 % des appelants sont des patients, contre 5 % de proches. Globalement, nous sommes confrontés à deux types de profils. Tout d’abord, la population psychiatrique connue, qui est suivie ou ne l’est plus, et va nous appeler pour nous demander des conseils. Ce sont des sujets vulnérables et fragiles, qui, même s’ils bénéficient d’un suivi, sont assez secoués par cette période. Deuxième profil : la population générale, qui ne présente pas de maladies psychiatriques caractérisées mais qui est quand même en situation de détresse psychique, parce que c’est aujourd’hui difficile aujourd’hui sur de nombreux aspects. On a peur de tomber malade, peur de mourir, peur que ses proches tombent malades… On peut aussi avoir perdu quelqu’un.

Il y a aussi de nombreux points d’incertitude car on ne sait pas quand tout cela va se terminer. Sans oublier les aspects sociaux-économiques et toutes les personnes qui souffrent de privation sociale et d’isolement, qu’il s’agisse des personnes âgées vivant en EHPAD ou des étudiants qui manquent de liens sociaux. On a l’impression qu’il y a de plus en plus d’angoisses liées au fait de supporter encore longtemps les privations de liens sociaux. De manière générale, l’être humain, notamment en milieu urbain, n’est pas fait pour vivre seul. Nous avons conçu notre mode de vie pour absorber à plusieurs les stress du quotidien, les bonnes et mauvaises nouvelles. Que cela soit en couple, avec ses amis, au restaurant ou dans un café. Or, nous sommes aujourd’hui totalement privés de ces aspects positifs.

Vouliez-vous avec cette ligne téléphonique donner un accès facile aux soins psychiatriques, sans nécessairement passer par les Urgences psy ?

Dr L. Yon : Les délais de retard de diagnostic et de prise en charge pour les troubles mentaux sont importants en psychiatrie. Notamment parce qu’on ne sait pas à quelle porte frapper et qui on doit aller voir quand on ne sent pas bien. Quand on a des douleurs dans la poitrine, on va voir un cardiologue, c’est assez facile. Mais, pour aller voir un psy, est-ce que l’on va voir un psychiatre, un psychologue, un psychothérapeute ? Tout cela est assez compliqué. Il y a des « SOS Psy », des « SOS cela »… Mais il n’y avait pas de numéro dédié pour répondre en première ligne au tout venant comme nous le proposons aujourd’hui.

Ce dispositif a-t-il vocation à perdurer au-delà de la crise du Covid ?

Dr L. Yon : Ce projet était déjà dans les tiroirs du service depuis assez longtemps. La crise sanitaire a permis de le faire sortir de terre. La plateforme va désormais perdurer au-delà de la crise sanitaire car on a reçu des moyens pérennes des instances, notamment de la part de l’Agence régionale de santé (ARS). L’idée, c’est que la population générale puisse appeler, que les médecins non spécialisés (généralistes, scolaires..) ou les professionnels du champ non sanitaire (éducateurs spécialisés, assistants sociaux…) puissent nous contacter pour savoir à quelle porte frapper, pour ne pas avoir à envoyer les patients aux urgences, ne pas les faire attendre. On réfléchit aujourd’hui à des actions de communication pour toucher un maximum de monde.

 

Et aussi la plateforme CovidEcoute

Plateforme et site internet lancés lors du premier confinement par la la fondation FondaMental, CovidEcoute propose aux personnes en proie à une détresse psychologique des téléconsultations de 45 minutes avec des thérapeutes formés (psychiatres, addictologues,psychologues). Mais aussi des supports et des ressources gratuites pour s’aider soi-même :séances de méditation, applications pour apprendre à prendre soin de soi, liens vers des contenus d’information multimédia. « On essaie de répondre à un besoin urgent de la personne, pas sur la psychothérapie à long terme », explique Stéphany Pelissolo, psychologue clinicienne à l’initiative du projet. Un temps gratuites (Lire CovidEcoute propose une prise en charge psy gratuite), les téléconsultations sont désormais payantes. Mais les personnes peuvent toujours accéder sur le site CovidEcoute à un annuaire des psychothérapeutes bénévoles, et bénéficier, en fonction des praticiens choisis, de 1 à 3 séances gratuites. Pour le Dr Liova Yon, CodivEcoute, « C’est le même principe que « Psy Ile-de-France », à la différence près que cette initiative repose beaucoup sur les initiatives de psychologues libéraux, alors que nous sommes liés à l’hôpital public ».

 

 

 

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