POINT DE VUE

Après le fiasco des masques et des tests, celui du séquençage ?

Aude Lecrubier

13 janvier 2021

France — Chaque jour, les cas de contamination par le variant anglais sont annoncés au compte-goutte. Pourtant, pour le Dr Laurent Kbaier, biologiste au laboratoire Biogroup* le variant est déjà bien répandu sur notre territoire. Afin de ne pas prendre un retard préjudiciable dans le contrôle de l’épidémie, il appelle les autorités à donner un rôle plus important aux médecins biologistes du privé. « Pour avoir une idée claire de ce qui se passe vraiment, il faut que les autorités s’appuient sur les réseaux de laboratoire privés. Nous sommes des spécialistes, habitués à gérer des volumes de tests importants », commente-t-il. Entretien.

*R egroupement de laboratoires d'analyses médicales détenu exclusivement par des biologistes médicaux, pharmaciens ou médecins, en exercice au sein de ses laboratoires. Il s’agit de l’entité qui réalise le plus de tests RT-PCR Covid en France (350 000/sem).

Medscape édition française : Quand les laboratoires Biogroup ont-ils commencé à rechercher le variant anglais ?

Dr Kbaier : Dès le 20 décembre, les autorités anglaises nous ont prévenu qu‘en présence du variant anglais, les résultats des RT-PCR Thermo Fisher différaient de ce que l’on observait d’habitude :  le gène S était négativé (voir courbes en fin de texte). Grâce à cela, dès vendredi 22 décembre, nous avions déjà les deux premiers cas suspects. Nous avons envoyé ces deux échantillons au Centre national de Référence (CNR) de notre propre initiative pour séquençage. Il s’agit des deux patients de Bagneux dont nous avons parlé, deux patients qui ne sont jamais allés en Angleterre et qui n’ont jamais été en contact avec des personnes revenues d’Angleterre.

Depuis début janvier, nous avons eu plusieurs discussions avec les autorités. Les centres nationaux de référence (CNR) ont proposé qu’on leur envoie toutes nos souches suspectes pour séquençage. La semaine dernière sur jeudi et vendredi, toutes les PCR positives du groupe, sachant que nous en réalisons 350 000 par semaine, ont été envoyées dans des CNR pour qu’elles soient screenées par le réactif particulier Thermo Fisher. A l’exception de celles provenant de la région parisienne que nous avons pu gérer nous-mêmes car nos laboratoires d’Ile de France disposent du réactif Thermo Fisher.

Avez-vous des premiers résultats ?

Nous avons les premiers résultats de jeudi et vendredi sur l’Ile de France, avant les séquençages. Sur 800 PCR positives, 70 sont des cas suspects, ce qui est colossal. A cela s’ajoutent 16 échantillons suspects que nous avions repérés depuis fin décembre et qui sont en cours de séquençage. Et 5 échantillons que nous avons envoyés il y a 15 jours, dont 3 sont revenus positifs au variant et un non. Nous attendons toujours les résultats du cinquième. J’espère que nous aurons les résultats cette semaine.

Sur 800 PCR positives, 70 sont des cas suspects, ce qui est colossal.

En sait-on plus sur ces cas suspects ?

Sur les 70 cas suspects, beaucoup de gens reviennent de l’étranger, de Dubaï, du Liban, notamment. Je pense que le variant est beaucoup plus répandu que ce que l’on croit. Le problème ne vient pas que de l’Angleterre.

Je pense que le variant est beaucoup plus répandu que ce que l’on croit.

Pourquoi le séquençage prend-il autant de temps ?

Un CNR est un centre de recherche, ce n’est pas un centre qui est équipé pour produire des résultats en masse. Ce n’est pas un laboratoire avec des plateaux techniques ultra-équipés. On demande aux CNR de faire quelque chose qui est un peu contre-nature. A titre d’exemple, le CNR du Nord de la France, nous a appelé en nous indiquant qu’il n’arriverait pas à gérer l’ensemble des PCR. Nous avons donc récupéré 2000 d’entre elles lundi de tout le Nord de la France que nous avons passé sur notre plateau dans la nuit.

Si les autorités veulent avoir une vision de la dissémination de ce variant, il va falloir qu’elles s’appuient sur le privé. Il y a des séquenceurs dans les laboratoires privés mais aussi chez les vétérinaires. Il y a un problème de coordination en France. Il faudrait rapidement inscrire le séquençage à la nomenclature des actes de biologie, que le séquençage soit remboursable dans des indications très précises : en cas de test Thermo Fisher avec gène S inactivé. Ces problèmes de variants qu’ils soient anglais, Sud-Africain ou autre, vont se pérenniser, il faut donc que nous nous organisions mieux.

Si les autorités veulent avoir une vision de la dissémination de ce variant, il va falloir qu’elles s’appuient sur le privé.

Peut-on craindre une pénurie de réactif Thermo Fisher ?

Pas pour l’instant mais si tout le monde commence à s’équiper en Thermo Fisher cela pourrait être le cas. Mais, pour moi, ce n’est pas le vrai problème. Il va falloir rechercher les variants autrement que par PCR. On a aussi le variant d’Afrique du Sud qui lui n‘est pas visible par le Thermo Fisher, et d’autres, plus tard, ne le seront pas non plus. Les anglais séquencent au hasard 10 % de leurs souches, c’est vers cela qu’il faut que nous tendions. Il faut revoir la stratégie de séquençage et de surveillance des variants en France.

Plus généralement, voyez-vous une augmentation des cas positifs en ce moment ?

Oui, clairement. Cela remonte partout sur le territoire. En revanche, le nombre de gens testé diminue. On parle beaucoup du vaccin mais il ne faut pas oublier qu’au moindre symptôme, il faut se faire tester.

 

Enquête Flash : 1 à 2 % des cas de Covid au niveau national avec une disparité régionale
Afin d’établir une première cartographie du degré de diffusion du variant VOC 202012/01 en France, une enquête Flash a été proposée à tous les laboratoires de biologie médicale publics et privés par Santé publique France (SPF) et le CNR Virus des infections respiratoires (Laboratoire associé de Lyon, Pr Bruno LINA), indique Santé Publique France dans son point hebdomadaire (14 janvier 2021). En tout, 89 laboratoires repartis sur les 13 régions de France métropolitaine ont à ce jour participé à l’étude qui s’est déroulée le 7 et le 8 janvier 2021. Cela représente 25% des RT-PCR rendues positives au niveau national sur les 2 jours de l’étude. L’analyse portait ainsi sur 97 664 prélèvements RT-PCR, dont 7 465 prélèvements avec un résultat RT-PCR positif, dont 281 prélèvements discordants. Il en ressort donc que la proportion de résultats de RT-PCR discordants, rapportée au total des RT-PCR positives, est de 3,8%. Par ailleurs et d’après les données de surveillance du CNR, il est estimé que 38% des résultats discordants sont des variants confirmés par séquençage. Sur la base de ces données, il a été estimé, dans l’attente des résultats de confirmation par séquençage, que ce variant serait responsable de 1 à 2% des cas de COVID-19 actuellement diagnostiqués en France. SPF note toutefois que « la proportion de résultats de RT-PCR discordants varie par ailleurs d’une région à l’autre, suggérant une présence hétérogène du variant VOC 202012/01sur le territoire », ce qui expliquerait les chiffres beaucoup plus importants rapportés par le Dr Kbaier pour l’Ile-de-France. Cette enquête sera répétée à intervalles réguliers, indique SPF.

 


Résultat suspect pour le variant anglais (gène S inactivé)

 

 

 

 

 

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