Comment le Rwanda gère-t-il l’épidémie de COVID-19 ? Reportage

Jean-Bernard Gervais

14 janvier 2021

Kigali, Rwanda – Le Rwanda est l’un des seuls pays africains considéré comme sûr en matière de prise en charge du Covid-19. Néanmoins, il doit faire face depuis décembre à une nouvelle deuxième vague de Covid-19. Un de nos reporters s’est rendu sur place fin décembre. Il décrit la façon dont ce pays d’Afrique de l’Est, rendu tristement célèbre par le génocide des Tutsis perpétré en 1994, gère cette reprise de l’épidémie – somme toute très limitée au regard de l'envolée que nous connaissons en Europe. Néanmoins, signe que le nombre de cas graves augmente fortement, le Rwanda a inauguré le 8 janvier à Kigali un nouveau centre d'accueil pour les patients Covid 19 présentant des symptômes sévères. Situé dans l'hôpital de District de Nyarugenge, il présente une capacité d'accueil de 140 lits. d'après le site Our World in data , mi-décembre, le Rawanda comptait environ 40 cas confirmés de Covid-19 par jour versus près de 150/j le 13 janvier.

Test et quarantaine à l’arrivée dans le pays

Depuis le début de l'épidémie de Covid en mars 2020, le Rwanda fait figure d'exemple en termes de prise en charge de cette pandémie. Au point que les ressortissants rwandais sont les seuls citoyens africains à ne pas avoir à présenter, aux frontières du territoire français, de tests PCR de moins de 72 heures.

Cette exemplarité est le résultat de mesures drastiques mises en place dès le début de la pandémie. « En mars dernier, nous avons dû affronter des cas d'importation du Covid, qui furent peu nombreux », explique le Pr Léon Mutesa, qui coordonne le « Rwandan Task Force for COVID-19 laboratory testing ». De fait, dès le mois de mars, le gouvernement rwandais mettait en place un confinement total, qui devrait durer 45 jours du 22 mars au 4 mai, et prenait des mesures sévères de contrôle et de tests. Ainsi, pour rentrer au Rwanda aujourd’hui encore, il faut présenter un test PCR de moins de 120 heures avant l'arrivée sur le territoire rwandais.  Une fois débarqué, les voyageurs doivent se soumettre dans l'aéroport à un nouveau test PCR avec prélèvement oropharyngé. « Depuis le début du mois de décembre, nous avons installé un laboratoire dans l'aéroport, pour délivrer plus rapidement les résultats de ces tests », explique Léon Mutesa. Dans l'attente des résultats de ces tests, les voyageurs sont invités à observer une quarantaine dans un des hôtels de la capitale présélectionnés par le gouvernement. Si, en théorie, cette quarantaine ne doit pas durer plus de 24 heures, il arrive très couramment qu'elle s'étale sur 30, voire 48 heures. « Nous travaillons actuellement à réduire les délais, c'est l'un de nos principaux défis », confie Léon Mutesa. Au départ de l’aéroport de Kigali, un nouveau test PCR négatif de moins de 72 heures est demandé pour embarquer.

Tests PCR des l’arrivée à l’aéroport de Kigali

Occupation des centres Covid à Kigali à 56% début décembre

S’il n’y a pas urgence, la situation rwandaise est malgré tout de plus en plus préoccupante. Depuis la fin du mois d'août, les autorités sanitaires rwandaises ont en effet constaté une recrudescence des cas de Covid. À Kigali, une infirmière s'inquiétait de la situation que traverse actuellement le pays : « les centres Covid sont actuellement pleins, et le gouvernement ne peut plus, pour le moment, lancer de testings massifs, étant donné que tous les réactifs ont été utilisés lors de la première vague ». Un constat catastrophiste que tient à modérer le professeur Léon Mutesa : « La capitale Kigali a ouvert 2 centres Covid à Kigali, qui sont occupés à 56% [entretien réalisé le 24 décembre, NDLR]. 95% des cas sont non sévères, et je déments l'information selon laquelle de nombreux décès non diagnostiqués seraient causés par la Covid. Le Rwanda n'a pas connu une grande mortalité causée par la Covid jusque fin novembre mais la situation commence à changer avec le nombre de décès qui a presque doublé. Ceci pourrait être dû au fait que les gens n'ont pas strictement respecté les mesures sanitaires en place durant la période des fêtes de fin d'année mais aussi les nouveau variants du virus SARS-CoV-2 qui pourraient aussi être présents au Rwanda. ».

Campagnes de prévention à l’entrée du marché de Byumba (Nord du pays)

Doublement du nombre de décès en un mois

Quoi qu'il en soit, les chiffres le démontrent : une deuxième vague de Covid s'est emparée du pays des mille collines depuis la rentrée de septembre et s'est brutalement accentuée fin novembre, début décembre. Au 4 janvier le Rwanda cumulait 8955 cas de Covid et 110 décès. Pour rappel, jusqu'au 30 mai, le Rwanda ne comptait aucun décès du Covid 19. Le 3 décembre, le nombre de décès s'élevait à 50 – un chiffre sans commune mesure toutefois avec ce qu’on observe dans les pays occidentaux. En l'espace d'un mois, le nombre de décès a donc doublé au Rwanda, ce qui a obligé les autorités rwandaises à prendre de nouvelles mesures. Dès le 14 décembre, le gouvernement devait instaurer un couvre-feu dès 20 heures, et fermait tous les lieux de rassemblement publics. Ce 4 janvier, constatant que les mesures n'avaient pas réussi à endiguer l'épidémie, avec une centaine de nouveaux cas détectés par jour, contre une soixantaine début décembre, le gouvernement prenait un nouveau train de mesures. Non seulement le couvre-feu à 20 heures est reconduit pour deux semaines, mais les déplacements inter-régionaux sont interdits.

Relâchement de la population

Comme en France (ou ailleurs dans le monde), cependant, il est difficile de déterminer les causes de cette deuxième vague. Au Rwanda, certains pointent du doigt la petite saison des pluies, qui s'étalent entre septembre et décembre, pour expliquer cette explosion (relative) des cas de Covid. Une explication qui ne semble pas convaincre le Pr Léon Mutesa qui attribue cette relance de l'épidémie « à un relâchement des comportements. Les mesures de distanciation ne sont plus respectées, les masques ne sont pas bien portés et la transmission est intra-communautaire ». Pourtant, dans les rues de Kigali, on constate que le port du masque est correctement porté, et qu'une prise de température est systématiquement proposée à tous les visiteurs de lieux publics et centres commerciaux, tout comme est rendue obligatoire la désinfection des mains par solution hydro-alcoolique.

Lavabos publics

En province également, dans le Nord, à Gicumbi, des lavabos ont été installés à l'entrée des marchés, et des agents de sécurité veillent à ce que les clients se soient désinfectés avant de rentrer. Aussi, des campagnes d'affichage ont été placardées sur les murs de Byumba (préfecture de la région de Gicumbi), en guide de prévention contre le Covid-19. « Depuis le mois de mars, nous avons mis en place une stratégie de contrôle du Covid. Nous faisons du contact tracing sur une plateforme informatique. Une fois que nous avons testé un cas positif nous appelons tous les cas contacts. Nous testons beaucoup dès lors que l'on identifie un cluster », explique Léon Mutesa.

Lavabos publics à l’entrée du marché de Byumba (Nord du pays)

Technique du pooling

Pour optimiser les réactifs et les tests, les médecins rwandais utilisent la technique du pooling décrite dans un article publié fin octobre dans la revue Nature . « Nous mélangeons les prélèvements et nous pratiquons des analyses sur des pools de 20 patients. Si un pool s'avère positif, alors nous testons individuellement les membres de ce pool », indique le Pr Léon Mutesa. « Les tests PCR sont fiables, mais onéreux », ajoutent les auteurs de l'article publié dans Nature. Le cout de ces tests peut être réduit en groupant les échantillons et en les testant en groupes. Il faut trouver le juste équilibre entre la taille du groupe et la sensibilité du test, eu égard au fait que l'augmentation du pool peut avoir des effets sur la dilution de la charge virale et aboutir à un faux négatif. De même, minimiser le nombre de tests pour minimiser les coûts permet de minimiser le temps nécessaire au test, afin de contenir le plus rapidement possible la propagation du virus. Nous proposons un algorithme de regroupement des échantillons qui, à faible prévalence identifie avec précision les individus infectés par le SARS-CoV-2, en effectuant un petit nombre de tests. »

Nous mélangeons les prélèvements et nous pratiquons des analyses sur des pools de 20 patients Pr Léon Mutesa

65 respirateurs à Kigali

Une fois détectés, il est proposé deux sortes de prise en charge aux cas Covid positifs. Pour les cas asymptomatiques et pour les cas peu sévères, le suivi est fait à domicile : « Nous imposons une quarantaine de sept jours avant d'effectuer un nouveau test. Si le test est de nouveau positif, la quarantaine est reconduite. » Pour s'assurer du respect de la mise en quarantaine, des contrôles de police sont effectués inopinément. Les cas sévères sont pris en charge dans des unités Covid, au nombre de deux dans la capitale, et dans les hôpitaux provinciaux. La capacité de ces deux centres est de 83 lits. « Les cas sévères sont mis sous assistance respiratoire. Nous avons actuellement 65 respirateurs à Kigali et 5 respirateurs par hôpital de district. »

Contrairement à d'autres pays africains, notamment le Maroc et l'Algérie, mais aussi le Sénégal dans une moindre mesure, le protocole à base d'hydroxychloroquine n'a pas été préconisé au Rwanda.

Covax et vaccins

Le Rwanda, qui compte quelque 12 millions d'habitants, attend impatiemment l'arrivée des premiers vaccins, prévue en mars prochain. « Nous sommes membres du regroupement des pays pour l'accès aux vaccins contre le Covid-19, baptisé Covax, lancé par l'organisation mondiale de la Santé (OMS). Les vaccins devraient être mis à notre disposition au printemps prochain », ajoute Léon Mutesa. En attendant les vaccins, le Rwanda mise aussi sur des technologies innovantes, comme l'installation à l'aéroport et dans les unités Covid de robots qui déambulent et sont capables de screener à la volée en une minute la température de 50 à 100 personnes.

 

Reportage photos : Jean-Bernard Gervais

 

 

 

 

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