Cardiotoxicité de la chimio : les statines seraient-elles protectrices ?

Marine Cygler

Auteurs et déclarations

12 janvier 2021

Toronto, Canada – Les anthracyclines et le trastuzumab (Herceptin) sont largement utilisés dans le traitement du cancer du sein. Très efficaces contre les cellules tumorales, ces molécules présentent toutefois une cardiotoxicité à surveiller étroitement, pendant le traitement pour le trastuzumab, après pour les anthracyclines. Différentes équipes de recherche tentent de trouver des molécules qui protégeraient le cœur des effets toxiques de la chimiothérapie. Une équipe canadienne vient de montrer que les femmes sous statines alors qu'elles étaient traitées par chimiothérapie pour un cancer du sein à un stade précoce présentaient deux fois moins de risque d'être prises en charge pour une insuffisance cardiaque dans les cinq ans. Son étude a été publiée dans le Journal of the American Heart Association[1].

Protéger le cœur des femmes traitées par chimiothérapie

« Je lis beaucoup d'études observationnelles qui visent à montrer des associations entre la prise de certains médicaments et la cardioprotection car c'est un réel besoin. Il est indispensable de trouver un moyen de protéger le cœur des femmes qui doivent être traitées par chimiothérapie » explique le Dr Mathilde Baudet (cardiologue, Hôpital Saint-Louis, Paris).

Interrogée par Medscape édition française, elle confirme que les statines, bien que les résultats concernant leur intérêt potentiel en termes de cardioprotection restent discordants, seraient intéressantes. Elles sont bien plus faciles d'utilisation que les bêta-bloquants ou les IEC – deux classes de médicaments qui font également l'objet d'investigation pour la cardioprotection des patients atteint d'un cancer.

« L'insuffisance cardiaque induite par la chimiothérapie concerne un faible pourcentage de patientes – autour de 3% dans cette étude » fait-elle remarquer. Avant de préciser « le risque d'IC ne remet absolument pas en cause l'utilisation des anthracyclines et du trastuzumab pour le traitement du cancer du sein. La question ne se pose pas. »

Anthracyclines et trastuzumab, des effets cardiotoxiques connus

Les anthracyclines, des molécules de chimiothérapie largement utilisées bien au-delà du seul cancer du sein, sont associées à une cardiotoxicité de type 1. « Elles sont à l'origine d'une nécrose des myocytes qui conduit à une dysfonction ventriculaire gauche. Si on ne fait rien, l'évolution est l'insuffisance cardiaque » indique le Dr Mathilde Baudet. La cardiotoxicité des anthracyclines se révèle après les traitements.

Prescrit pour les formes HER2 positives du cancer du sein, le trastuzumab présente, lui, une cardiotoxicité de type 2 caractérisée par une altération réversible de la fonction systolique du ventricule gauche. Le traitement du cancer doit être interrompu le temps de de traiter l'insuffisance cardiaque.

Pour mémoire, la cardiotoxicité dépend du risque individuel propre, lié notamment à l'âge et aux facteurs de risque CV individuels, auquel il faut ajouter risque lié au traitement, chimiothérapie et radiothérapie au niveau du sein gauche.

Les statines cardioprotectrices, une idée séduisante

Le Dr Husam Abdel-Qadir (Université de Toronto, Canada) et ses collègues ont mené une étude rétrospective à partir de bases de données de santé de l'Etat de l'Ontario. Ils ont examiné l'occurence de l'insuffisance cardiaque chez des femmes de 66 ans et plus traitées pour un cancer du sein soit avec des anthracyclines soit avec du trastuzumab.

Chaque patiente sous statine a été appariée avec une patiente ne prenant pas de statine au moment du diagnostic. Aucune n’avait jamais eu d'insuffisance cardiaque.

Chez les 666 paires de femmes (âge médian, 69 ans) traitées avec des anthracyclines, le risque à 5 ans d’être hospitalisée pour insuffisance cardiaque était de 1,2% (IC95% : 0,5%–2,6%) chez les femmes exposées aux statines et de 2,9% (IC95% : 1,7%–4,6%) chez les femmes sans statine (P : 0,01). Soit un hazard ratio associé aux statines de 0,45 (IC95% : 0,24–0,85; P : 0,01). Concernant les 390 paires de femmes (âge médian, 71 ans) traitées avec du trastuzumab, le risque à 5 ans d’être hospitalisée pour pour insuffisance cardiaque était de  2,7% (IC95% : 1,2%–5,2%) chez les femmes exposées aux statines et de 3,7% (IC95% : 2,0%–6,2%) chez les femmes sans statine (P : 0,09). Dans cette situation, la différence n'était pas significative.

Les résultats de cette étude observationnelle nécessitent d'être précisés par d'autres études, d'autant que les études sur le potentiel cardioprotecteur des statines ont des conclusions discordantes. En outre, le lien de causalité ne peut pas être démontré par une telle étude.

Surveiller le cœur des patientes pendant et après chimio

Pour éviter la survenue d'une IC, les femmes atteintes d'un cancer du sein traitées avec des molécules connues pour leur cardiotoxicité sont surveillées.

« On fait des échographies cardiaques à celles qui ont reçu des anthracyclines tous les six mois la première année, puis tous les deux ans » explique la Dr Baudet qui poursuit « une bonne surveillance permet de détecter des signaux échographiques avant les premiers signes cliniques ». Elle prescrit alors des bêta-bloquants, un ICE ou encore un ARA2.

« Pour celles traitées avec du trastuzumab, la surveillance échographique du cœur se fait pendant le traitement. En cas de signaux d'alerte, il faut traiter l'IC avant de reprendre la chimiothérapie, ce qui est toujours embêtant. D'où l'importance de trouver des médicaments cardioprotecteurs » explique-t-elle.
 

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