France (actualisé au 8 janvier 10h) — Avec seulement 45 500 personnes vaccinées contre le Covid-19 depuis le 27 décembre, la France connaît un démarrage très poussif de sa campagne de vaccination. Logistique compliquée, manque d’anticipation, conditionnement des vaccins, recueil de consentement chronophage et choix de vacciner d’abord dans les EHPAD peuvent expliquer ces retards.
La vaccination sans plus tarder
« Le rythme de croisière de la vaccination » contre la Covid-19 en France va « rejoindre celui de nos voisins dans les prochains jours », a voulu rassurer le ministre de la Santé Olivier Véran, mardi 5 janvier sur RTL, suite aux critiques sur la lenteur du démarrage de cette campagne. Entre le 27 décembre, date du début de la campagne et le 7 janvier au soir, la France n’a en effet vacciné que 45 500 personnes (selon le site CovidTracker en date du 8/01 au matin), dont 25 000 en 24 heures suite à l’élargissement de la vaccination aux professionnels de santé de plus de 50 ans lundi. Par comparaison, plus de 417 060 personnes avaient déjà été vaccinées au 6 janvier en Allemagne et en Grande-Bretagne, qui a débuté sa campagne de vaccination le 8 décembre, 1,3 million de personnes avaient reçu une injection au 3 janvier. L’Académie des sciences a publié une tribune dimanche dernier, demandant que tout soit fait que la vaccination s’effectue « sans plus tarder ». Dans ce texte, elle pointe une série de contraintes pouvant expliquer les lenteurs de la mise en place du plan de vaccination en France. Elle cite notamment « le stockage du vaccin Pfizer/BioNTech à des températures très basses, le conditionnement en flacons de 5 doses, le choix initial fait par la haute autorité de santé (HAS) de vacciner d’abord les résidents et les personnels des EHPAD après l’obtention de leur consentement éclairé et enfin la disponibilité relative des doses de vaccins ».
« La recherche du consentement éclairé prend du temps », pointe le Pr Pascale Cossart, bactériologiste et secrétaire perpétuelle à l’Académie des sciences, interrogée par Medscape. Pour elle, il faut « comprimer la phase de décision pour les résidents et pour les personnels des EHPAD ». De plus, elle note que « les EHPAD ont été choisis pour accueillir en priorité la vaccination, or, on ne peut pas les déplacer et les contraintes logistiques liées à ce vaccin, qui doit être conservé à basse température, ralentissent aussi sa diffusion dans ces établissements ».
Absence d’anticipation
« Une des causes du retard, c’est qu’on a laissé passer tout le mois de décembre sans mettre en place la logistique pour acheminer et livrer le vaccin dans les 7200 EHPAD français, avec ses contraintes de conservation. Ça ne s’improvise pas ! », renchérit le Pr Yves Buisson, épidémiologiste et président du groupe Covid-19 à l’Académie nationale de médecine, instance qui s’est elle aussi émue des lenteurs du démarrage de la campagne. A Medscape, il confie que « les moyens de livraison des doses nécessaires n’ont pas été anticipés. On s’est focalisés sur autre chose, notamment sur le recueil du consentement. Il n’est pas question de vacciner les gens contre leur consentement mais il ne faut pas que son recueil soit un frein. Il aurait dû être fait pendant le mois de décembre, afin que tout soit prêt pour l’arrivée du vaccin », juge-t-il. « Les vaccins sont arrivés dans les établissements pivots qui sont une centaine en France, mais la deuxième étape, qui est de les acheminer vers les lieux de vaccination, n’a toujours pas été prise en compte. Or, il faut que ce soit fait dans les jours qui viennent ! C’est urgent, car toute semaine perdue ce sont des morts en plus ! », s’alarme-t-il.
Manque de doses pour les médecins
De son côté, le syndicat MG France juge qu’il est « urgent d’organiser la phase ambulatoire de la vaccination qui s’adressera aux personnes vulnérables à domicile ». Cependant, « aucun médecin généraliste ne dispose à ce jour des doses nécessaires pour vacciner, ni du lieu ou du calendrier de délivrance des vaccins. Pourtant la réalisation d’une campagne de proximité par les médecins traitants et les professionnels de santé de ville est le critère déterminant d’une campagne de vaccination réussie », rappelle le syndicat dans un communiqué. Il souligne que « le délai de réflexion de cinq jours claironné par ceux qui n'ont pas lu les textes n'existe pas, pas plus que la nécessité d’un consentement écrit de la main du patient. Prétendre que ce délai est responsable d'un retard est une contre-vérité », s’insurge-t-il. Ainsi, MG France exige « la mise à disposition rapide des doses nécessaires aux médecins libéraux pour qu'ils puissent remplir leur mission dans les EHPAD, se faire vacciner à cette occasion, et ainsi donner l'exemple d'un processus de vaccination bien conduit ».
Centres de vaccination
Le Pr Cossart estime pour sa part que « toutes les personnes qui souhaitent être vaccinées devraient pouvoir bénéficier de la vaccination ». Elle suggère ainsi l’ouverture de « centres de vaccination afin que même ceux qui ne sont pas dans les premiers prioritaires puissent se faire vacciner ». Elle ajoute qu’il « pourrait y avoir les pharmaciens qui vaccinent, comme on l’a fait pour le vaccin contre la grippe ». Le Pr Buisson est également favorable aux centres de vaccination et indique qu’ils pourraient fonctionner avec « des médecins, des infirmières, des aide-soignants, des pharmaciens et, pourquoi pas, des vétérinaires ».
Interrogé par Medscape, Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), considère qu’« il est normal que le ministre de la Santé ait été prudent à la mise en place de la vaccination, par rapport à un vaccin qui était nouveau. Mais désormais, nous sommes début janvier et nous avons vu les autres pays injecter massivement, avec très peu d’effets secondaires, sauf pour les personnes allergiques. Il faut donc être un peu moins réservés tout en maintenant le niveau de sécurité ». Pas favorable à l’ouverture de « vaccinodromes » qui obligeraient les personnes âgées et fragiles à se déplacer, il est en revanche partisan d’une vaccination par les « professionnels de santé de proximité, incluant les cabinets médicaux, les cabinets infirmiers, et les pharmaciens ».
Suite aux critiques sur la lenteur du démarrage de la campagne, Olivier Véran a déclaré lundi que la campagne de vaccination serait désormais ouverte à tous les professionnels de santé de ville et d’hôpital de plus de 50 ans, ainsi qu’aux pompiers et aux aides à domiciles de plus de 50 ans. De plus, la vaccination des personnes âgées de 75 ans et plus qui ne sont pas hébergées en EHPAD sera autorisée avant la fin du mois de janvier, ce qui concernera 5 millions de personnes. Pour le Pr Pascale Cossart, « le signal d’alarme a été fort et les bonnes décisions ont été prises. Nous sommes passés à une phase supérieure », estime-t-elle. Le Pr Yves Buisson juge pour sa part que « cela ne peut qu’aller dans le bon sens, mais il faut y aller franchement et pas par des concessions et des petits pas. L’épidémie reprend et les personnes dans les EHPAD vont continuer à mourir ! ».
En Allemagne aussi, la campagne vaccinale critiquée… pour sa lenteur !
Si les Allemands apparaissent comme de meilleurs élèves que les Français en matière de vaccination anti-Covid, en réalité, la campagne vaccinale est également très critiquée outre-Rhin. En Allemagne, 442 centres de vaccination ont été mis en place et complétés par des équipes mobiles qui se rendent dans les maisons de retraites pour vacciner les personnes âgées. La priorité est donnée aux soignants et aux plus de 80 ans. Au 4 janvier, plus de 316 000 personnes ont déjà été vaccinées, un chiffre qui ne satisfait cependant pas les Allemands. Ils ont du mal à comprendre le « faible » nombre de vaccinations effectuées alors qu’officiellement 1,3 million de doses du vaccin de Pfizer/BioNTech ont été livrées aux autorités des Länder (contre 560 000 doses en France). Le formulaire à remplir avant de recevoir l’injection est notamment mis en cause dans les maisons de retraite où les patients âgés ou ayant des problèmes de mémoire ont eu du mal à le remplir, ce qui a occasionné complications et allongement des délais. Des problèmes de répartition des doses disponibles ont également provoqué des retards. Mais au-delà de ces problèmes d’organisation, les Allemands regrettent surtout de ne pas avoir davantage de vaccins, une critique qu’ils adressent principalement à l’Union européenne, qui a choisi de commander 2 milliards de doses auprès de 6 laboratoires, alors que seul le vaccin Pfizer/BioNtech a pour l’instant reçu le feu vert de l’Agence européenne du médicament.
Actualités Medscape © 2021 WebMD, LLC
Citer cet article: Vaccination anti-Covid : pourquoi la France est à la traîne ? - Medscape - 7 janv 2021.
Commenter