Variant anglais du SARS-CoV-2 : la France est-elle prête pour une détection à grande échelle ?

Stéphanie Lavaud

25 décembre 2020

 

Actualisation 28/12 -- Le 25 décembre, un premier cas d’infection par le variant VOC 202012/01 a été confirmé sur le territoire national. Il a été détecté à Tours. Il s’agit d’un homme de nationalité française résidant en Angleterre. Arrivé de Londres le 19 décembre, le patient asymptomatique a été pris en charge au CHU le 21 et détecté positif. L’infection au variant VOC 202012/01 a été confirmée par le Centre national de référence des virus des infections respiratoires. Les autorités sanitaires ont procédé au contact-tracing des personnes contacts à risque. Un système de détection et de surveillance des cas possibles d’infection ou de portage du variant VOC 202012/01 a été mis en place par Santé publique France et les Centres nationaux de référence, en lien avec les laboratoires d’analyses. Les laboratoires adressent au CNR pour séquençage tout résultat de test PCR positif pour une personne revenant du Royaume-Uni ou ayant été en contact rapproché avec une personne revenant du Royaume-Uni ou tout résultat de test PCR pouvant évoquer le virus variant. La même procédure a été mise en place pour les personnes au retour d’Afrique du Sud, où un autre variant du SARS-CoV-2 circule actuellement de façon active. A ce jour, plusieurs prélèvements positifs pouvant faire évoquer le variant VOC 202012/01 sont en cours de séquençage par les laboratoires du CNR. AL

 

France 24/12— Un variant du SARS-CoV-2 (VOC - 202012/01) apparu en Angleterre en mois de septembre mais dont la description a augmenté en fréquence depuis, jusqu’à atteindre aujourd’hui une proportion importante des génomes séquencés au Royaume-Uni (1108 cas au 13 décembre) a créé un vent de panique en Europe, se traduisant par des mesures de fermeture aux frontières. Mais que sait-on de la présence de ce variant sur notre territoire ? La France a-t-elle les mêmes capacités de séquençage que les britanniques ? Connait-on l’origine de ce variant ? Ces mutations vont-elles compromettre l’efficacité des vaccins ? Interrogée par Medscape sur tous ces points, la virologue Mylène Ogliastro directrice de recherche à l'INRAE de Montpellier et représentante de la Société Française de Virologie, se veut rassurante mais appelle à un effort de coopération du monde scientifique et médical pour une mise en commun des connaissances comme les britanniques ont été capables de le faire au travers du COVID-19 Genomics Consortium UK (CoG-UK).

Medscape édition française : Les virus mutent en permanence. En ce quoi ce variant est-il particulièrement original ?

Mylène Ogliastro : Les virus changent lorsqu’ils passent d’un individu à un autre. Le SarsCOv2 accumule 1-2 mutations/mois depuis le début de la pandémie sans que cela ait affecté jusqu’à présent son taux de transmission ou sa pathogénicité. L’originalité de ce variant, c’est un cocktail de 17 mutations observées pour la première fois ensemble dans un génome (une mutation est un changement de lettre dans le code génétique du virus ; un variant cumule un certain nombre de mutations qui le caractérisent). Certaines mutations seront « silencieuses » (c’est-à-dire qu’elles n’affecteront pas les protéines du virus), d’autres non et vont se traduire en changements dans les protéines qui pourraient donc avoir des conséquences sur l’interaction avec la cellule et l’infection. Chacune de ces mutations avait déjà été observée précédemment au cours de l’année 2020 dans le monde, mais c’est l’association de toutes ces mutations qui fait l’originalité de ce variant et le distingue des autres. Ces changements sont apparus en septembre et ont depuis considérablement augmenté en fréquence dans le Sud de l’Angleterre. Et c’est pour cela qu’il inquiète.

L’originalité de ce variant, c’est un cocktail de 17 mutations observées pour la première fois ensemble dans un génome.

Quelles protéines ciblent ces mutations ?

Mylène Ogliastro : Ce qui a attiré l’attention des chercheurs, ce sont les 17 mutations (plus exactement 14 mutations et 3 délétions) dont certaines concernent la protéine Spike, cible des vaccins. Les modifications de Spike susceptibles d’avoir un impact biologique majeur sont au nombre de trois. L’une (appelée N501Y) concerne le domaine de liaison au récepteur RBD (Receptor Binding Domain), nécessaire pour se lier aux récepteurs ACE2 des cellules humaines et est constituée de 6 acides aminés. C’est une séquence-clé pour la reconnaissance du récepteur cellulaire. La deuxième mutation (P681H, une proline en position 681 est remplacée par une histidine) se situe au site de clivage de la protéine (furine) qui permet la fusion de l’enveloppe du virus à la membrane cellulaire. Ces deux mutations sont possiblement des sites antigéniques, contre lesquels sont dirigés des anticorps. La troisième modification est une délétion N-terminale (au début de la protéine), faisant disparaitre deux amino-acides aux positions 69 et 70. Ces changements ciblant des acides aminés de la protéine Spike laissent penser qu’il pourrait y avoir un effet sur son antigénicité, c’est-à-dire sur l’efficacité de sa reconnaissance par les anticorps, et donc sur l’efficacité des vaccins ciblant cette protéine Spike.

Faut-il envisager une moindre efficacité des vaccins ?

Mylène Ogliastro : La protéine Spike est constituée de 1273 acides aminés, donc si jamais impact il devait y avoir sur l’efficacité du vaccin, cela ne serait probablement pas du tout ou rien. En effet, notre organisme réagit à un antigène en fabriquant un cocktail d’anticorps propre à chacun et dirigé contre différents motifs de l’antigène. Pour l’heure, on ne s’attend pas à observer une résistance du virus variant au vaccin, et donc à son échappement complet. L’hypothèse d’une diminution de l’efficacité du vaccin sur ce nouveau variant est testée en laboratoire et sera quantifiée. Mais à 95% d’efficacité des vaccins « ARNm », on a de la marge.

L’apparition de ce variant alerte suffisamment pour que les sociétes BioNTech-Pfizer déclarent qu’elles pouvaient assurer si besoin une adaptation du vaccin « ARNm » à un nouveau variant en 6 semaines afin de continuer à garantir une efficacité maximale en « adaptant » le vaccin. Permettre une telle réactivité est une vraie force de cette approche vaccinale.

En revanche, cette évolution rapide du virus pose des questions sur son évolution à long terme et sur les mécanismes sous-jacents qu’il faudra comprendre et surveiller de près.

Permettre une telle réactivité est une vraie force de cette approche vaccinale.

Quelles autres caractéristiques virologiques présentent ce vaccin ?

Mylène Ogliastro : C’est un variant qui, à la faveur de certaines circonstances qui restent à établir, a une vitesse d’évolution rapide – le groupe d’experts britanniques du NERVTAG (New and Emerging Respiratory Virus Threats Advisory Group) évoque une croissance 71% fois plus forte.

A ce jour, la causalité entre l’augmentation de sa fréquence dans la population et celle de sa transmissibilité est observée en termes épidémiologiques. En revanche, elle n’est pas encore démontrée au niveau virologique. En clair, il n’a pas été démontré formellement jusqu’à présent qu’il a une capacité de transmission (contagiosité) plus importante. En revanche, il semble bien établi que ce virus variant n’est pas plus virulent, les personnes infectées ne présentant pas de signes pathologiques plus graves.

Contrairement à ce qu’on a observé jusqu’à présent, c’est-à-dire l’apparition d’1 à 2 mutations par mois chez le SARS-CoV-2, on a à faire ici à un outlier (aberration), c’est-à-dire un virus qui a des capacités à évoluer rapidement, ce qui pose questions car cela n’avait pas été observé jusqu’à présent.

Par ailleurs, la mutation N501Y est assez rare, et semble être plutôt impliquée dans les changements d’hôtes et de conditions, elle a d’ailleurs été observée aussi chez le vison. Une mutation de cet acide aminé 501 a également été observée suite à des infections expérimentales de souris en laboratoire. Ces éléments laissent penser que cet acide aminé est important dans l’adaptation du virus à son environnement (y compris une nouvelle espèce hôte).

Existe-t-il une hypothèse quant à l’origine de l’émergence de ce variant ? A-t-on trouvé un patient-index ?

Mylène Ogliastro : Grâce à l’analyse génomique les chercheurs ont observé au mois de septembre, l’apparition d’un variant particulier issu d’un « patient anglais » immuno-compromis (dont le système immunitaire est affaibli). Ce patient a développé une infection Covid chronique pendant plusieurs semaines et a été traité par du plasma contenant des anticorps de patients convalescents. Une infection chronique, sans pression du système immunitaire génère des charges virales importantes et une contagiosité potentiellement plus longue que la moyenne. Dans ce contexte, l’administration d’un traitement plasmatique aurait créé chez ce patient une pression de sélection forte, non pas sur un petit groupe de virus, mais sur une grande diversité virale générée par l’infection chronique. Ceci aurait sélectionné des virus variants capables de résister aux anticorps reçus, qu’une période de contagiosité plus longue et/ou une meilleure transmissibilité aurait fait émerger par simple sélection dans un grand « champ de possibles ». C’est à ce jour une hypothèse de travail pour les chercheurs, mais Il s’agit d’un mécanisme adaptatif bien connu dans le monde vivant et chez les virus.

Comment a-t-on mis en évidence l’émergence de ce variant et l’existence d’un potentiel patient-index ?

Mylène Ogliastro : Grâce à un consortium britannique, le COVID-19 Genomics Consortium UK (CoG-UK), une association assez exceptionnelle entre des hôpitaux et des laboratoires de génomique. Les britanniques ont réussi avec ce consortium à mobiliser toutes les compétences à l’échelle du Royaume-Uni (RU). Et il faut savoir que le RU dispose d’excellents laboratoires de génomique qui développent des outils bio-informatiques puissants pour analyser les génomes des virus et leur parenté. Etudier l’évolution des génomes fait aussi appel aux sciences de l’évolution et à la biologie des populations [ici les populations virales]. Toutes ces sciences sont des composantes de la virologie moderne passée, elle aussi, à l’heure des « Big data » depuis les années 2000 avec l’avènement des technologies de séquençage « haut débit ».

Quelle était la chance de découvrir ce variant ?

Mylène Ogliastro : Depuis sa création en avril 2020, le consortium britannique réalise des séquençages génétiques d’échantillons de patients positifs au Covid-19. Ensuite, les programmes bio-informatiques dédiés permettent d’étudier le lien de parenté entre les génomes viraux obtenus et mesure leur évolution dans le temps, c’est ce qu’on appelle la phylodynamique. Ces méthodes permettent d’obtenir un suivi très fin de la diversité et de la fréquence des génomes viraux dans les populations. C’est de cette façon que les scientifiques anglais ont remarqué ce nouveau génome au mois de septembre dernier suite à une augmentation des cas observés dans le Kent puis à Londres. A ce jour, le consortium séquence les génomes viraux provenant de 10% des patients positifs au Covid sur le sol britannique, ce qui permet une surveillance précise de ce qui se passe quasiment en temps réel. En plus de faire coopérer une vingtaine de laboratoires du RU et d’Irlande du Nord, le consortium met à disposition toutes les séquences de façon transparente sur des bases de données partagées par le monde entier (disponibles sur le site du GISAID).

Comment savoir si ce variant a déjà atteint des patients français ? Existe-t-il un tel consortium en France ?

Mylène Ogliastro : Le variant a déjà été détecté en Italie, au Pays-Bas, en Islande, au Danemark et en Australie. Je m’avance peut-être mais il serait fort étonnant qu’il n’y en ait pas en France compte tenu des échanges que nous avons avec le RU. Mais pour le trouver, encore faut-il le chercher et à l’heure actuelle quand la France séquence 1000 génomes, le Royaume-Uni en séquence 100 000. En France, il y a clairement un effort de surveillance génomique à faire, à l’instar de ce qui se fait au RU et au Danemark. Les centres nationaux de référence (CNR) sur les maladies infectieuses – comme l’Institut Pasteur, l’IHU de Marseille- mais aussi des laboratoires académiques sont capables de séquencer à un rythme soutenu, et certains le font probablement. Mais peu de séquences « françaises » sont disponibles dans les bases de données génomiques publiques, suggérant que l’effort de séquençage reste faible ou qu’il y a peu, voire pas, de partage de données.

En France, il y a clairement un effort de surveillance génomique à faire.

Les chercheurs travaillent-ils de manière collaborative sur ce coronavirus ?

Mylène Ogliastro : La France dispose de fortes compétences académiques, mais le paysage apparait morcelé : c’est probablement notre faiblesse car on n’arrive pas à structurer un effort commun. Par exemple, les communautés scientifiques et vétérinaires disposent de toutes les technologies de test et d’analyse nécessaires mais ont été pas/peu sollicitées depuis le début de cette crise. Il faut savoir qu’en France, les hôpitaux collaborent peu avec les centres académiques spécialisés dans les disciplines de pointe comme la génomique et les sciences de l’évolution, deux composantes essentielles de la virologie moderne. Les médecins sont aussi peu formés à ces approches conceptuelles et technologiques. Coordonner l’ensemble de ces compétences complémentaires est un enjeu de santé publique. Cela demandera probablement aussi des adaptations réglementaires importantes, mais elles ne me paraissent pas insurmontables au regard de l’importance des enjeux.

Pour être efficaces et réactifs, il nous faut développer une approche moderne de la surveillance épidémique. C’est ce que nous montre la mobilisation du consortium au Royaume Uni.

La France dispose de fortes compétences académiques, mais le paysage apparait morcelé.

Alors aujourd’hui, qui va détecter ce variant s’il arrive sur le territoire français ?

Mylène Ogliastro : Sans parler de séquençage, il y a une méthode simple qui peut être mise en œuvre assez rapidement pour tracer le « variant anglais » et elle concerne la délétion de deux acides aminés en N-terminal (au tout début, en position 69 et 70) de la protéine Spike. Il faut savoir qu’à l’heure actuelle la technique de PCR utilisée pour le dépistage du SARS-CoV-2 dans la population se sert de trois couples d’amorces pour s’assurer que les vrais positifs le sont véritablement. Cependant, une paire d’amorce ne reconnait pas l’ARN du virus car elle s’accroche normalement au site de délétion. Cette méthode pourrait donc constituer un test rapide à mettre en œuvre qui permette de détecter le variant. Je ne sais pas s’il est prévu de le mettre en place en France mais il serait urgent d’y penser.

Pour être efficaces et réactifs, il nous faut développer une approche moderne de la surveillance épidémique.

 

 

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