Virtuel — Comment manier les bloqueurs du système rénine angiotensine (SRA) en cas d’insuffisance rénale ? Doit-on les arrêter ? Ces questions qui remettent en cause le « dogme » sont d’actualité chez les cardiologues et les néphrologues. En attendant les résultats de l’étude STOP ACEi (en cours), le Pr Bruno Moulin (Service de Néphrologie et Transplantation; CHU de Strasbourg) a apporté des éléments de réponse, cas clinique à l’appui, lors d’une session des Journées de l’hypertension artérielle (JHTA2020) [1].
Deux conséquences : l’hypoperfusion glomérulaire et l’hyperkaliémie
Il existe 5 stades d’insuffisance rénale (IR). « Ceux dont il va être question ici sont les stades les plus sévères, à savoir le stade 4 et le stade 5 non dialysé, c’est-à-dire ceux qui peuvent poser problème avec les bloqueurs système rénine angiotensine » a indiqué en préambule de sa présentation le Pr Moulin. Les deux principaux facteurs de progression de l’insuffisance rénale – sachant que la perte annuelle de débit de filtration glomérulaire (DFG) peut aller jusqu’à 12 ml/mn/an – sont l’hypertension (HTA) et la protéinurie, dont le contrôle justifie la mise en route de bloqueurs du SRA, par les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC) et/ou des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (ARA2).
Néanmoins, l’utilisation de ces molécules dans le cas de l’IR a deux conséquences fréquentes. « L’une est l’hypotension qui peut entrainer une hypoperfusion glomérulaire, et donc une baisse du DFG, l’autre est une hyperkaliémie, souvent responsable d’une éviction de ce type de traitements chez ces patients ».
Il est donc légitime de se poser la question du maintien des BSRA chez des patients en IR sévère alors que le dogme de l’utilisation des BSRA chez les patients avec une néphropathie – conforté par l’étude chinoise ROAD [2] – est bien ancré depuis une vingtaine d’années.
Cas clinique à l’appui
Pour appuyer sa démonstration, le Pr Moulin s’est appuyé sur un cas clinique. Il a pris une « histoire banale » à savoir, le cas d’un homme de 68 ans, tabagique, atteint d’un diabète de type 2 depuis 6 ans, souffrant d’une cardiopathie ischémique, dont la pression artérielle est mal contrôlée (158/98 Hg) malgré une trithérapie associant du bisoprolol 5mg/j, du furosémide 40 mgX2j, amlodipine 10 mg/j. Avec un DFG à 31 mL/min/1,73m2, le patient est actuellement au stade 3B de son insuffisance rénale avec une protéinurie de 1g/g de créatinine urinaire. Son nouveau médecin traitant décide d’introduire un IEC, le ramipril à doses croissantes jusqu’à 10mg/j. Un mois plus tard, sa PA a baissé à 128/82 mmHg mais parallèlement sa fonction rénale s’est altérée avec une créatininémie qui a augmenté de 15-20%, un DFG qui a diminué passant à 31 mL/min/1,73m2, tandis que la protéinurie est à 0,7g/g de créatinine urinaire et que la kaliémie a franchement augmenté à 6 mmol/L. Le malade est donc désormais en stade 4 d’IRC avec un DFG < 30 mL/min/1,73m2.
La fonction rénale se dégrade sous BSRA. Que se passe-t-il ?
Pour le Pr Moulin, avec ce patient, on est face à une situation finalement fréquemment observée lors de l’introduction d’un BSRA et qui est liée à la baisse de la pression artérielle, laquelle révèle le véritable niveau de fonction rénale de ces patients avec une légère augmentation de la créatininémie (10 à 30%). Là se présentent deux options si l’on suit les recommandations :
soit l’augmentation est < à 25-30% : dans ce cas, pas d’arrêt du traitement ;
soit l’augmentation est > à 30% : dans ce cas, « il faut se poser 2 questions, indique le Pr Moulin, d’abord celle de la présence d’une sténose rénale, et, dans ce cas, un écho-doppler est recommandé, ou bien celle d’une néphropathie vasculaire ».
Un risque augmenté d’hyperkaliémie sous BSRA chez le patient insuffisant rénal (DFGe < 40 mL/min
Le deuxième risque est celui de l’hyperkaliémie, sachant que le rein en est le principal régulateur [3]. « L’excrétion du potassium diminue au fur et à mesure que baisse le DFG, et on sait que la fréquence d’une hyperkaliémie (>5,5 mmol/L) peut concerner jusqu’à 30% des patients avec une maladie rénale chronique de stade 4 ou 5 » précise le néphrologue. Parmi les conditions aggravantes, le diabète, l’insuffisance cardiaque décompensée ou des épisodes d’hypovolémie favorisent l’augmentation de la kaliémie, et ce d’autant que l’on utilise des médicaments interférant avec l’excrétion rénale de potassium que sont les bloqueurs du SRA (IEC/ARA2) qui vont agir sur la sécrétion d’aldostérone, ou encore les anti-aldostérones, sans oublier la supplémentation potassique « souvent utilisée de façon excessive ». D’autres médicaments interviennent sur le métabolisme du potassium et sont à prendre en compte dans certaines situations (AINS, b-bloquants, anticalcineurines, héparine, kétoconazole, amiloride, trimethoprime, pentamidine).
« Le problème est que les patients insuffisants rénaux sont souvent également insuffisants cardiaques et l’éviction des BSRA chez ces patients peut avoir des conséquences loin d’être négligeables ». En témoignent les résultats du registre suédois (SwedeHF) qui montre que chez des patients avec une FEVG < 39% et un DFG < 30 mL/min, ceux qui n’ont pas bénéficié d’un bloqueur du SRA ont un risque de mortalité toute cause plus élevé que ceux chez qui un BSRA a été prescrit [4].

Le syndrome LORFFAB
Retour au cas clinique du Pr Moulin dont la fonction rénale se dégrade rapidement et à qui le médecin décide de prescrire un rendez-vous pour la pose d’une fistule artéroveineuse et d’arrêter l’IEC tout en maintenant l’anticalcique.
Dans les mois qui suivent, on observe une légère augmentation du DFG, suffisante pour écarter la mise en dialyse. La PA a, quant à elle, remonté mais dans des limites acceptables (138/86 mmHg) et un écho-doppler a permis d’écarter une sténose rénale chez ce patient.
Ce patient est un bon exemple de ce que les cliniciens de la Mayo Clinic ont appelé the syndrome of late-onset renal failure from angiotensin blockade (LORFFAB) [5].

Ayant connaissance de ce syndrome, doit-on initier ou maintenir les BSRA chez l’insuffisant rénal sévère (MRC stade 4/5) ?
Cette question qui va à l’encontre du dogme a fait l’objet d’une réunion d’experts en 2018 qui a établi le « Pour » et le « Contre » de cette stratégie [6], que le Pr Moulin a résumé dans le tableau ci-dessous.
CONTRE LE MAINTIEN |
POUR |
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|
Pour ou contre le maintien des BSRA ?
L’étude STOP ACEi en cours menée par l’Université de Birmingham devrait permettre de trancher cette question et d’établir éventuellement des recommandations [7]. L’essai a inclus 410 participants avec une MRC (stade 4 ou 5) traités par IEC, ARA2 ou les 2. Les participants ont été randomisés 1 :1 pour soit arrêter les BSRA (bras expérimental), soit poursuivre les BSRA (bras contrôle). Les patients doivent être suivis à intervalles de 3 mois pendant 3 ans. Les résultats sont attendus dans 2 à 3 ans.
En attendant les résultats de cette étude, le Pr Moulin conclut qu’en cas de MRC de stade 4/5 :
Le blocage du SRA (initiation ou maintien) peut être envisagé notamment chez les patients protéinuriques sous couvert d’une surveillance attentive (PA, créatinémie, K+)
Chez les patients faiblement protéinuriques avec une néphropathie vasculaire supposée, l’arrêt des BSRA peut être suivi d’une stabilisation voire d’une amélioration de la fonction rénale mais il faudra attendre les résultats de l’étude STOP-ACEi pour en faire ou non une recommandation
La balance bénéfice de cette stratégie implique de prendre en compte le bénéfice rénal et métabolique versus le risque cardio-vasculaire accru avec l’arrêt du BSRA.
Crédit : visuels extraits de la présentation du Dr Moulin.
Le Pr Moulin a déclaré n’avoir aucun conflit d’intérêt concernant cette présentation. |
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Citer cet article: Insuffisance rénale sévère : comment manier les bloqueurs du SRA ? - Medscape - 28 déc 2020.
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