POINT DE VUE

Jean-Yves Chauve, médecin du Vendée Globe

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

29 décembre 2020

Dr Jean-Yves Chauve © Jean-Marie Liot/Alea

France – Médecin du Vendée Globe, Jean-Yves Chauve nous raconte ce qui l’a conduit à occuper ce poste et comment ont évolué les soins médicaux des navigateurs depuis la création de cette épreuve sportive, qui reste, à ce jour, la plus grande course à voile autour du monde en solitaire, sans escale et sans assistance.

Seul.e, sans escale et sans assistance

44 996,2 kilomètres soit 24 296 milles : c’est la circonférence de la Terre et la distance que doivent parcourir les navigateurs du Vendée Globe qui prennent part tous les 4 ans à ce challenge autour du monde. On le doit au navigateur Philippe Jeantot, qui, après sa double victoire dans le BOC Challenge (Le tour du monde en solitaire avec escales), lance l'idée d'une nouvelle course autour du monde, en solitaire, mais cette fois-ci sans escale ! Le Vendée Globe est né. Le 26 novembre 1989, 13 marins prennent le départ de la première édition qui durera plus de 3 mois. Ils ne seront que 7 à rentrer aux Sables-d'Olonne. Depuis lors, ce sont 167 concurrents qui ont pris le départ de cette course hors du commun. Seuls 89 d'entre eux ont réussi à couper la ligne d'arrivée, ce qui donne une idée de sa difficulté. Le Vendée Globe a d’ailleurs consacré de très grands marins : Titouan Lamazou en 1990, Alain Gautier en 1993, François Gabart en 2013 ou encore Armel Le Cléac'h en 2017. Ce dernier est le nouveau détenteur du record de l'épreuve en 74 jours. Un seul marin l'a gagné deux fois : Michel Desjoyeaux, en 2001 et 2009. La 9ième édition du Vendée Globe s'est élancée des Sables-d'Olonne le 8 novembre dernier. Les premiers concurrents sont attendus autour du 15 janvier 2021.

Medscape édition française : Comment devient-on médecin du Vendée Globe, spécialiste des soins à distance des navigateurs ?

Dr Jean-Yves Chauve : Ma famille était originaire de la région guérandaise, et sans que cela soit héréditaire, j’ai été amené à naviguer très tôt, et j’y ai trouvé un grand épanouissement. Plutôt que de devenir marin, j’ai suivi une route bien tracée en devenant médecin, mais j’ai toujours eu cette fibre maritime. D’ailleurs, pour l’anecdote, j’ai fait ma thèse de doctorat sur le mal de mer. J’ai continué à naviguer beaucoup, et compte-tenu de mes compétences médicales, des amis marins, comme Philippe Poupon, m’ont demandé de leur « préparer des pharmacies ». C’est comme cela que, de fil en aiguille, je me suis mis à écrire des fiches médicales en 1975 pour la revue Bateaux. Par la suite, j’ai été sollicité pour des courses en mer et suis devenu, en 1987, le médecin de la course en solitaire du Figaro. C’est là que je me suis rendu compte que l’on connaissait mal la physiologie des marins et qu’il était possible d’améliorer les performances et la sécurité dans ce milieu qui relève de conditions extrêmes. Le choix de la course au large, c’était donc à la fois pour l’aventure mais aussi avec la curiosité scientifique autour de ce que ces marins pouvaient vivre.

Et finalement, j’ai eu l’opportunité de devenir médecin du Vendée Globe à sa création, en 1989, une époque où j’étais le seul à m’intéresser à ce domaine.

En quoi connaitre la physiologie des marins est-elle importante sur ce type de course ?

Dr Chauve : J’ai beaucoup travaillé sur la prévention, notamment en termes de gestion du sommeil. La difficulté sur ce type de navigation en solitaire, c’est qu’il faudrait être en veille 24h/24. Il faut donc trouver l’adéquation entre dormir un minimum et garder une vigilance maximale, ce qui me fait dire que les marins sont des dormeurs de haut niveau car ils apprennent à optimiser leur durée de sommeil. L’aspect nutrition est lui aussi très intéressant. Comment se nourrir pendant près de 70 jours sur un bateau en ayant suffisamment d’apports. Mais se pose aussi la question de comment s’entretenir physiquement sur un bateau, surement au niveau des jambes car on a un périmètre de marche très réduit. Tout cela implique de la prévention, de l’ergonomie pour aider à une meilleure qualité de vie à bord et à de meilleures performances. L’autre aspect, c’est bien sûr, la prise en charge à distance de la santé des marins.

Départ le 8 novembre 2020 depuis les Sables-d’Olonne © Yvan Zedda/Alea

A ce propos, qu’est-ce qui a changé depuis le 1er Vendée Globe

Dr Chauve : j’ai été un pionnier de la télémédecine en 1989. Il faut se souvenir qu’à l’époque, il n’y avait pas de téléphones, juste le télex. Donc, à l’époque, il a fallu défricher pour mettre au point un système de recueil des symptômes exploitables et discriminants pour établir un diagnostic. Je leur disais : « Moi, j’ai une table d’examen sans personne, plus vous me donnez d’informations, plus je peux récréer un patient virtuel. Et plus l’image du patient est nette, plus le diagnostic était proche de la réalité ». En plus de travailler à la collecte de symptômes à distance, j’ai aussi avancé sur le problème de la télétransmission des données. J’ai sans doute dû être l’un des premiers à transférer un électrocardiogramme par système satellite depuis le milieu de l’Atlantique en 1995 [Celui de Jean-François Deniau. A 67 ans, porteur d’un stimulateur cardiaque, l’ex-ministre converti à l'humanitaire et écrivain, s’était lancé le défi de traverser l’Atlantique en solitaire, NDLR]. Pour l’anecdote, de 1987 à 2000 environ, on utilisait la radio maritime BLU pour communiquer avec les skippers. Il fallait attendre son tour après les marins pêcheurs, les marins de commerce qui appelaient chez eux…Tout le monde entendait les conservations de tout le monde, cela donnait des scènes assez cocasses.

Etes-vous le seul médecin sur la course ?

Dr Chauve : Nous sommes une équipe de 5 médecins ; cette année, je suis secondé par une urgentiste du CHU de Quimper, le Dr Laure Jacolot. Nous devons être sur le pont 24h/24, joignable à tout moment, et donc confinés. Mais cette année, je suis moins frustré car tout le monde est logé à la même enseigne.

Quels sont les blessures les plus fréquentes ?

Dr Chauve : Le plus courant, c’est la traumatologie. Le fait d’être en milieu instable, auquel s’ajoute le manque de sommeil, et donc une hypovigilance, font que le skipper va mal anticiper un mouvement du bateau, agir avec retard, rater une prise, chuter et, par exemple, se casser des côtes ou pire faire un trauma crânien avec perte de connaissance. Il faut bien réaliser qu’avec des bateaux qui filent à près de 40 km/h, les marins peuvent facilement encaisser 10G en cas de choc.

Comment gère-t-on un accident à distance ?

Dr Chauve : On n’y pense pas et cela peut paraitre anecdotique mais, le plus difficile pour moi, est de prendre en compte la météo. J’ai coutume de dire que j’établis mon ordonnance en fonction du ciel. Il faut se transporter à l’intérieur du bateau, voir ce qui est réalisable par quelqu’un qui est seul et dans des conditions acceptables – imaginer, par exemple, qu’un flacon de bétadine ne pourra peut-être pas rester stable sur une table.

Il faut aussi voir que les prises en charge à terre ne sont pas toujours adaptées à la vie en mer. Par exemple, une fracture ou une entorse du poignet conduirait en temps normal à mettre une attelle le temps que l’inflammation se résorbe et que le ligament se refasse, ce qui ne sera pas pratique pour un skipper qui risque de rater une prise et de chuter. Au bord, le mieux peut entrainer un sur-accident, alors on s’adapte avec des solutions pas toujours très orthodoxes mais qui correspondent à une réalité qui n’est pas celle du cabinet médical !

Y-a-t-il parfois des problèmes de compréhension sur les termes employés entre médecins et skipper ?

Dr Chauve : Oui, les quiproquos sur le vocabulaire employé par le skipper constituent une autre difficulté de la prise en charge à distance. Quand Yann Eliès est victime d’un accident lors du Vendée Globe en 2008, au large de l’Australie, il explique qu’il s’est cassé la jambe, ce qui est d’abord interprété par les médecins comme une cassure entre le genou et la cheville (jambe au sens médical du terme), et non comme une fracture du membre inférieur (au sens populaire du terme tel qu’employé par le skipper). Cela s’avèrera être au final une fracture du fémur. Pour gérer l’hémorragie interne autour de l’os, la déshydratation et l’hypothermie associée, je décide alors de déclencher les secours – ce qui est de la responsabilité du médecin de course – et il sera récupéré 3 jours après le choc par une frégate militaire australienne.

Que contient la pharmacie à bord ?

Dr Chauve : Près d’une centaine de produits. Dans le cadre de la Fédération française de Voile, nous avons mis au point, avec d’autres médecins qui naviguent, une pharmacie efficace, polyvalente et simple à utiliser. Tout ce qui est compliqué ou inadapté est exclus : poser une perfusion, par exemple, ou même embarquer un échographe à bord, serait possible, mais pour quoi faire au final ? Les moyens de traitement à bord sont limités.

Il faut donc trouver un équilibre entre la précision du diagnostic et la capacité de soins en mer.

De façon générale, on a tendance à surtraiter, par exemple à donner par sécurité des antibiotiques pour une infection cutanée qui, à terre, n’en nécessiterait pas, parce que le skipper est fatigué et que les règles d’asepsie de son milieu ne sont pas forcément respectées.

Comment les coureurs se préparent-ils d’un point de vue médical ?

Dr Chauve : Aujourd’hui, ils font des formations/stage de sécurité et survie avant de partir pendant lesquels ils acquièrent des connaissances et des gestes de base. Autrefois, embarquer une pharmacie était anxiogène, aujourd’hui, les marins savent qu’un accident peut arriver et ils préfèrent anticiper. Ils bénéficient aussi d’un préparateur mental et d’un coach sportif. Ils sont, d’une façon générale, plus vigilants sur eux-mêmes.

 

Les skippers du Vendee Globe et certains remplaçants suivent un cours médical sur des pieds de cochon, le 7 Septembre 2020, à Port La Foret, France © Yvan Zedda/Alea

Le fait que la course se fasse en « solitaire » a-t-il un impact sur le moral des skippers ?

Dr Chauve : Aujourd’hui, avec les équipements de liaison instantanée, c’est très différent. Les skippers peuvent communiquer à tout moment par WhatsApp avec leurs familles et leurs amis. Cela change complètement l’état d’esprit du voyage, cela n’a plus, comme autrefois, valeur de voyage initiatique et de voyage en soi-même. Je dirais que c’est désormais plus une aventure sportive qu’une aventure humaine.

Confinés et seuls sur leur bateau, les participants au Vendée Globe sont-ils à l’abri du Covid ?

Dr Chauve : Passer 3 mois en mer, c’est effectivement en quelque sorte un confinement strict sans virus du fait de l’absence de relations interhumaines et où le système immunitaire a tendance à se mettre au repos. Il n’est d’ailleurs pas rare que les marins connaissent des petits soucis viraux quand ils reviennent à terre.

Comment se passe la course 2020 d’un point de vue médical ?

Dr Chauve : Elle se déroule très bien, avec juste de la bobologie – des problèmes simples et totalement maitrisables. Il y a bien eu le naufrage de Kevin Escoffier, mais il a pu enfiler sa combinaison TPS [un équipement de sécurité individuel qui permet de préserver de l'hypothermie en cas d'immersion dans l'eau froide et remplace le gilet de sauvetage, NDLR] et monter sur son radeau. Il a été récupéré intact sur le plan physique.

Qu’est-ce qui fait la spécificité de la course en mer pour vous ?

Dr Chauve : La course en mer, c’est véritablement un laboratoire expérimental, où au-delà de l’aspect curatif, il y a vraiment à avoir une compréhension de ce milieu. Par ailleurs, c’est le seul sport sans restriction d’âge comme le montre Jean Le Cam à 61 ans et où hommes et femmes courent ensemble. Les femmes ont 20% moins de force que les hommes en moyenne, mais dans cette épreuve, une force physique moindre peut être compensée par l’expérience. En outre, leur relation à la mer est différente. Les hommes ont une approche virile, ça passe ou ça casse, tandis que les femmes seront plus dans l’esquive, dans l’économie. Cette année, elles étaient six au départ des Sables-d’Olonne : Samantha Davies, Isabelle Joschke, Clarisse Crémer, Pip Hare, Miranda Merron et Alexia Barrier [elles ne sont plus que 5 après l’abandon de Samantha Davies, NDLR]. J’aime aussi le panel de compétences que demande ce sport. Au-delà de l’aspect physique, il faut être compétent dans de nombreuses disciplines, être marin, c’est aussi être mécanicien, électronicien, informaticien…

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....