HTA : la « polypill » est-elle une panacée ?

Dr Jean-Pierre Usdin

15 décembre 2020

Paris – La polypill est au cœur des débats depuis une dizaine d’années. Sensée prévenir le risque cardiovasculaire en regroupant au sien d’une même gélule tous les bénéfices des médicaments usuels, ce serait une sorte de panacée pour certains, alors que d’autres sont peu convaincus par ce « one fits all » (le même pour tous). A l’occasion des 40èmes Journées de l’hypertension artérielle (JHTA), les Drs Theodora Bejan-Angoulvant (secrétaire scientifique des JHTA, Tours) et Jacques Blacher (Paris) ont relancé la controverse en invitant deux orateurs aux avis contraires. Tandis que le Dr Jean-Jacques Mourad (Hôpital Saint Joseph, Paris) a développé des arguments en faveur de l’intérêt de cette pilule unique pour traiter le risque cardiovasculaire, le Dr Atul Pathak (Hôpital Princesse Grace. Monaco) a, lui, pris la place du détracteur [1].

La polypill est est-elle vraiment l’outil qui va permettre de combler le fossé entre le nombre de patients à risque cardiovasculaire, hypertendus, dyslipidémiques et ceux qui sont efficacement traités ? se sont-ils interrogés. Sachant que ses constituants de base (dont les concentrations peuvent varier) sont l’aténolol, le ramipril, l’hydrochlorothiazide et la simvastatine auxquels on associe au gré des études l’amlodipine ou l’aspirine, cette pilule unique prise une seule fois par jour, est-elle capable d’assurer une prévention efficace de la maladie vasculaire et de vaincre notre inertie thérapeutique en la matière ?

A bon traitement bon contrôle de l’HTA

Le Dr J. J. Mourad a démarré en rappelant que le traitement de l’hypertension artérielle (HTA) ne concerne que 25% des patients hypertendus en France et selon l’étude française de santé ESTEBAN 62% de ceux-ci n’ont qu’une monothérapie. « C’est une dette thérapeutique, les études montrent que pour arriver aux objectifs deux médications sont nécessaires. » Il en est de même pour le LDL cholestérol, argumente Jean Jacques Mourad « dont le taux reste supérieur à 1,6g/L voire 1,9g/L alors que les prescriptions concernant les statines ne cessent de diminuer »

La réelle cause de l’HTA résistante est l’inertie thérapeutique, dans plus de la moitié des cas le traitement est insuffisant. « Les bonnes thérapeutiques engendrent un bon contrôle de l’HTA. Cela a été démontré chez les patients en attente de dénervation rénale : les bonnes doses de médications traitent efficacement l’HTA ! la mauvaise adhérence du patient n’est plus la principale cause (16% des HTA résistantes) » affirme-t-il, le problème s’est déplacé vers le médecin et son laisser-aller thérapeutique.

L’hypertension artérielle est une affection évolutive pourtant le taux de modifications du traitement reste très faible. « L’ordonnance hospitalière est sacralisée, par exemple, chez les patients ayant souffert d’un accident vasculaire cérébral, l’ordonnance de sortie n’est modifiée en fonction des chiffres tensionnels obtenus ultérieurement que dans 15% des cas». Cette mauvaise prise en charge en prévention secondaire tient à la frilosité du praticien tenant pour définitif le traitement établit lors d’un bilan hospitalier.

Le registre français REACH (2004) reste vrai, il montre cette carence au sujet de la prise en charge des patients ayant une affection cardiovasculaire. « Et c’est encore plus net chez les patients souffrant d’artérite des membres inférieurs » souligne-t-il.

La polypill pour rompre avec la tergiversation thérapeutique actuelle

Après cette introduction, il a rappelé que la polypill permet de prendre en charge la globalité des facteurs de risque puisqu’elle associe au moins deux anti-hypertenseurs et un hypocholestérolémiant.

L’étude TIPS 3   présentée au congrès virtuel de l’American Heart Association cette année a montré l’efficacité clinique en prévention primaire de la « polypill » dans des pays à faible revenus. L’étude concernait des patients de 50 ans d’âge moyen en majorité hypertendus (moyenne 144/84mmHg), tabagiques ou non, certains ayant un diabète, avec un surpoids, autant d’hommes que de femmes, présentant un LDL-cholestérol moyen à 1,2g/L.  « Au bout de 6 ans du traitement composé avec aténolol 100mg, ramipril 10mg, hydrochlorothiazide 25mg, simvastatine 40mg, les auteurs notent une diminution de la tension systolique à 130 mmHg, une diminution de 20% du LDL et surtout un effet clinique : diminution de 21% de la morbi-mortalité, avec finalement peu d’événements indésirables. »

Il faut donc selon le Dr Mourad modifier notre paradigme : rompre avec la tergiversation thérapeutique actuelle responsable de la carence de la prise en charge des facteurs de risque et du fardeau des maladies cardiovasculaires.

« La polypill est notre outil thérapeutique : une même prise en charge pour tous certes, mais la personnalisation a fait la preuve de son échec, affirme-t-il avant de filer la métaphore pour enfoncer le clou : « mieux vaut une même taille pour tous (‘one fits all’) protectrice et peu couteuse plutôt que la haute couture pour un faible nombre ».

Associer BB et IEC : un non-sens pharmacologique

Des arguments auxquels le Dr Atul Pathak a répliqué en indiquant d’abord que la polypill n’était pas un concept nouveau puisqu’« elle existe déjà pour le traitement de l’HTA sous la forme d’une combinaison [combo des anglo-saxons] de deux médications ». Puis revêtant sa casquette de pharmacologue, il a pointé l’inclusion du bêtabloquant dont il juge l’action antinomique avec celle d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion (IEC). « Ce produit doit être remis en question, l’aténolol n’a jamais montré une efficacité supérieure aux autres anti-hypertenseurs » considère-t-il. De surcroît, associer un bêtabloquant qui diminue la rénine à un IEC actif quand la rénine est haute « est un non-sens pharmacologique ».

Le Dr Pathak a poursuivi en indiquant que « l’association d’un anti-hypertenseur et d’une statine [amlodipine et atorvastatine : Caduet® (Pfizer), NDLR] proposée comme pilule du risque cardiovasculaire a été un échec » car le risque cardiovasculaire est « impalpable »

Selon lui, les données pharmacocinétiques, pharmacodynamiques et pharmaco-cliniques s’opposent à la polypill telle qu’elle est actuellement conçue.

« Associer des produits ayant une demi- vie différente et des voies métaboliques éventuellement opposées est contradictoire. Il ne faut pas omettre l’évolution naturelle de l’HTA et de la dyslipidémie qui peut mal s’accommoder du carcan posologique initial ».

D’autres questions se posent au pharmacologue : comment titrer les médications ? La gestion des effets indésirables est, selon lui, problématique comment faire la part des effets secondaires revenant à une telle ou une telle molécule ? Il s’interroge aussi sur « la place de l’aspirine en prévention primaire ? Un produit responsable d’hémorragies digestives, sans effet démontré en prévention primaire.»

Pour le pharmacologue : les produits inclus dans la polypill ne sont pas ceux utilisés dans les essais randomisés. En clair, la polypill des études n’est pas celle des recommandations !

Il ne faut pas omettre l’évolution naturelle de l’HTA et de la dyslipidémie qui peut mal s’accommoder du carcan posologique initial Dr A Pathak

Ne pas négliger les effets secondaires

Dans l’essai cité par J.J. Mourad [TIPS 3], environ la moitié des patients initialement recrutés n’ont pas accepté de participer à l’étude et 26% avaient cessé la prise avant la fin des 6 ans prévus. Ce qui interpelle sur l’adhérence au traitement dans les essais concernant la polypill.

Par ailleurs, Atul Pathak s’interroge : « dans quelle mesure le bénéfice obtenu dans des pays à faible niveau socio-économique est- il transposable aux pays occidentaux ? » Il n’est pas sûr que la monoprise d’une médication favorise l’adhérence, certains patients préfèrant deux ou trois prises quotidiennes… Et quels seront les conséquences en cas d’oubli d’un jour ou deux, voire plus ?

Pour A. Pathak, la polypill peut tout de même avoir une place opérationnelle au sein de populations à haut risque et faibles revenus mais il considère que son intérêt est limité au plan individuel sans une personnalisation (customisation) de celle-ci. 

L’arbre qui cache la forêt

Dans le cadre de la discussion, le Pr J. Blacher a relancé la polémique en affirmant que «la polypill est en quelque sorte l’arbre qui cache la forêt ». Je ne crois pas que ce soit la solution au traitement de l’HTA ou des dyslipidémies, a-t-il affirmé. La prévention et le traitement de l’HTA sont des problèmes globaux de santé. « Il est plus important de se concentrer sur l’éducation thérapeutique du patient. Les autorités de santé se doivent de mettre en avant le facteur risque de l’HTA, première maladie chronique première cause de mortalité. Il faut faire un réel marketing social »

Ce à quoi, J. J. Mourad a rétorqué que « cette attitude employée depuis plus de 50 ans est un échec ». Il faut, selon lui, raisonner autrement, « changer de paradigme ». En l’absence d’innovation thérapeutique, « il faut inverser la pyramide de titration : commencer par la polypill pour traiter le plus grand nombre de façon globale, a-t-il argumenté, puis laisser le médecin traitant faire ultérieurement la sélection [effets secondaires, évolution de la maladie] ». « En matière de prévention, les médecins soustraient plus facilement qu’ils ajoutent ! » a-t-il ajouté.

Il faut inverser la pyramide de titration : commencer par la polypill pour traiter le plus grand nombre de façon globale, puis laisser le médecin traitant faire ultérieurement la sélection Dr JJ Mourad

« La solution pour un type de patient et un certain type de médecin »

Revenant sur la stratégie de l’étude citée par J.J. Mourad et la conception des polypill, A. Pathak a pointé « cette volonté de mettre en avant les bêtabloquants qui pose la question du rôle précis de l’aténolol ». Il a néanmoins reconnu que « la polypill a une valeur réelle ». « C’est la solution pour un type de patient et un certain type de médecin » a-t-il considéré. « A l’échelle d’une population, ça fonctionne », mais, il n’en démord pas « la personnalisation de la polypill s’avèrera indispensable » ajoutant, « il est peu probable qu’une même taille pour tous soit appropriée ».

La discussion avançant, les intervenants ont rapproché leur point de vue. « Il faut changer nos attitudes thérapeutiques. Cela va remettre en cause cinquante années de pratique, ce ne sera pas facile, a admis le Dr Mourad. La polypill nous permettra de traiter rapidement le plus grand nombre d’individus à risque, l’adaptation du traitement en fonction du patient pouvant être réalisé par la suite. De son côté, le Dr Pathak a reconnu que « la customisation selon le type de patient sera possible par le biais de l’informatique ».

Sur la question du coût soulevée par les participants, J.J. Mourad a estimé que les fabricants – eu égard à l’immense part de marché que la Polypill génèrera – s’accorderont sur un prix minimum de l’ordre de 1 dollar par patient et par mois, permettant d’atteindre le plus grand nombre d’individus en prévention primaire et secondaire.

Si l’on en croit la polémique actuelle aux USA concernant le prix de la colchicine (multiplié par 10 après l’annonce de l’effet favorable dans ma maladie coronaire), rien n’est moins sûr ! [2].

 

Le Dr Pathak a déclaré des liens d'intérêt avec Amgen. Le Dr Mourad n'a pas déclaré de liens d'intérêt.

 

 

 

 

 

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