Dépistage massif : le Pr Antoine Flahault n’est «pas convaincu»

Julien Moschetti

15 décembre 2020

Pr Antoine Flahault

France – Alors que les pays du monde mettent en place différentes stratégies pour lutter contre la propagation du coronavirus, l’exécutif a décidé de mettre en place le dépistage massif dans quatre métropoles, avec un démarrage cette semaine au Havre et à Charleville-Mézières. Si certains médecins et chercheurs, à l’instar du Pr Philippe Froguel, se sont affichés comme de fervents défenseurs de la méthode consistant à tester gratuitement à l’échelle de toute une ville sur la base du volontariat (Lire Démarrage des premières campagnes de dépistage massif ciblé : explications du Pr Philippe Froguel), d’autres doutent de l’efficacité de ce mode opératoire. C’est le cas de l’épidémiologiste Antoine Flahault. Plutôt circonspect sur l’intérêt d’une telle stratégie, ce professeur de santé publique, directeur de l’Institut de santé globale à la Faculté de médecine de l’université de Genève (Suisse), plébiscite, de son côté, la recherche de cas-contacts rétrospective comme cela se pratique au Japon. Il explique pourquoi à Medscape édition française.

Des doutes sur l’expérience slovaque

« Je ne suis pas convaincu par le dépistage massif, je n’ai pas une vision très positive de ce qu’il s’est passé en Slovaquie qui a également fait cette expérimentation », nous a-t-il confié. Mais en tant que scientifique, il considère néanmoins que, « quand on n’est pas d’accord sur l’efficacité d’une mesure visant à contrôler la pandémie, le mieux, c’est de la tester et de l’évaluer. Donc, je pense que c’est bien que le gouvernement français ait choisi de réaliser cette expérimentation dans plusieurs métropoles. Cela permettra de comparer certaines villes avec d’autres, pour voir par exemple si cela a eu un impact, et si oui, de quelle nature. »

Je pense que c’est bien que le gouvernement français ait choisi de réaliser cette expérimentation dans plusieurs métropoles  Antoine Flahault

Pour étayer son analyse, l’épidémiologiste revient sur l’expérimentation de la Slovaquie qui a mené deux campagnes de dépistage massif à une petite semaine d’intervalle (les 1er et 6 novembre). Selon lui, ce n’était peut-être pas le moment idéal pour mettre en place ce type de mesure : « La courbe des contaminations avait déjà commencé à baisser fin octobre en Slovaquie, soit juste avant l’expérimentation. Donc on ne peut pas attribuer cette reprise de contrôle sur l’épidémie à l’expérimentation, car le pays avait atteint son pic épidémique avant. » Par ailleurs, « la descente en Slovaquie n’a pas été plus rapide qu’ailleurs, et je dirais même qu’elle est plutôt décevante, parce qu’aujourd’hui, la Slovaquie fait partie des rares pays d’Europe à avoir un R au-dessus de 1 (1,14 au 14/12/20). »

L’expérience slovaque

En Europe, quelques pays ou régions ont déjà fait l’expérience de dépistages massifs à l’échelle de la population. Outre le Luxembourg ou la ville de Liverpool, l’expérience la plus ambitieuse a été menée en Slovaquie, pays d’Europe centrale comptant 5,5 millions d’habitants, qui a opté pour des tests antigéniques. Les Slovaques ont d’abord été invités à venir tous se faire tester le premier week-end de novembre, la campagne a ensuite été renouvelée deux week-ends dans les régions les plus touchées. Près des deux tiers des habitants se sont déplacés (3 625 millions de personnes), et 1,06 % des personnes testées se sont révélées positives, soit 38 359 personnes. Les avis sont partagés quant à l’intérêt de cette expérience. SL

Se concentrer plutôt sur la vaccination

Mais, contrairement à la Slovaquie, « les équipes françaises veulent faire leur dépistage massif lors de la décrue, et non au sommet de la vague comme l’on fait les Slovaques ». Un meilleur timing pour Antoine Flahault qui se demande néanmoins comment cette campagne de dépistage sera perçue par la population. Car de nombreuses questions restent encore en suspens : « Les gens vont-ils accepter ces tests ? Quels types de tests vont être proposés ? Des tests salivaires ou nasopharyngés ? Est-ce que ce seront des tests rapides avec des résultats en moins de 30 minutes ? Ou va-t-il falloir attendre plusieurs jours ? Et puis, est-ce que les gens qui seront testés positifs seront mis à l’isolement ? Et, si tel est le cas, comment le vérifiera-t-on ? Est-ce que cela sera imposé ou juste proposé ? Et, est-ce qu’il y aura un deuxième volet de tests une semaine plus tard pour les personnes qui seront passés à travers les mailles du filet ? » Enfin, le médecin de s’interroger sur l’intérêt de mettre en place une campagne de dépistage massif au moment même où la campagne de vaccination devrait démarrer. « Au lieu de vouloir tout faire en même temps, ne vaudrait-il pas mieux essayer de concentrer son énergie pour mettre en place la logistique de distribution des vaccins en France ? »

Préférer la recherche rétrospective

Toutes ces raisons font que l’épidémiologiste regarde avec scepticisme la méthode de dépistage massif. Selon lui, « l’important, n’est pas d’avoir une belle photographie de l’épidémie, mais c’est d’en reprendre le contrôle ». Il préfère donc plaider pour la recherche rétrospective (ou « traçage rétrospectif ») de contacts de personnes positives, qu’Olivier Véran a annoncé vouloir mettre en place. Réalisée dans plusieurs pays asiatiques (Japon, Taïwan, Singapour…) dès la première vague, cette stratégie serait « plus efficace » selon Antoine Flahault : « Il faut prendre conscience que les coronavirus sont des virus sujets à la surdispersion. Cette propriété de transmission est un peu particulière, car 70 % des contaminés ne contaminent personne et 20 % contaminent une seule personne. Cela veut dire que 90 % ne participent pas au processus épidémique mais seulement les 10 % qui contaminent plusieurs personnes. » Les Japonais ont également fait le constat suivant : « En pratique, ils s’aperçoivent qu’il est difficile d’identifier l’individu contaminateur, mais qu’il est en revanche plus facile de détecter l’événement à l’origine de la contamination ». Reste ensuite à tester les participants et à isoler les porteurs de virus En agissant ainsi, « on peut casser précocement les chaines de transmission, confie l’épidémiologiste. D’ailleurs, les Japonais, les Taïwanais, les Chinois, les Singapouriens ou les Coréens ont été beaucoup plus performants que les Européens dans toute cette crise à ce jour. Et, en dehors de quelques régions de Chine très restreintes, aucun pays asiatique n’a mis en œuvre de dépistage systématique de sa population.»

Mais, pour que cette stratégie fonctionne en France, « cela demande de réorienter la priorité des équipes de traçage vers le rétrospectif, poursuit l’épidémiologiste. Les Japonais disent « faites d’abord le rétrospectif, et si vous avez les ressources et les moyens supplémentaires, faites du prospectif » (stratégie actuelle du traçage des cas contacts ; NDLR). » C’est la raison pour laquelle il recommande aux autorités suisses « de sous-traiter une partie du prospectif à des applications, parce qu’elles savent très bien faire ça, en envoyant par exemple des sms à tous les cas contacts ».

En dehors de quelques régions de Chine très restreintes, aucun pays asiatique n’a mis en œuvre de dépistage systématique de sa population.

Adhésion aux applications et procédures d’isolement

Deux autres facteurs devraient aussi jouer un rôle important dans la réussite de cette stratégie, selon Antoine Flahault. Le premier « est l’adhésion aux applications (type TousAntiCovid ; NDLR) pour faire du traçage digital, ce qui va être compliqué en Europe. Les asiatiques ont une bien meilleure confiance et adhésion envers les pouvoirs publics, pour que ceux-ci utilisent leurs traces digitales pour faire ce genre de choses. Les Européens sont beaucoup plus réticents et le règlement général sur la protection des données (RGPD) n’autorise pas ce qu’ont fait les pays asiatiques qui utilisent notamment les traces digitales laissées par les cartes de crédit et celles des caméras de surveillance pour retrouver les cas contact. » Deuxième facteur clef de réussite : les procédures d’isolement. « Si vous ne prenez pas de mesures pour inciter fermement les gens positifs à rester au moins 5 jours à l’isolement, cette stratégie ne sera pas efficace », redoute l’épidémiologiste qui précise que les techniques qui marchent le mieux, en dehors des hôtels de confinement, sont « les amendes très élevées avec des contrôles aléatoires ».

 

 

 

 

 

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