POINT DE VUE

Soignants en souffrance : n'attendez pas pour demander de l'aide !

Véronique Duqueroy

Auteurs et déclarations

11 décembre 2020

Paris, France ― L’association Soins aux Professionnels de la Santé (SPS) ouvrira début 2021 la Maison des soignants, un site accueillant les professionnels de la santé qui souhaitent participer à des ateliers, des activités ou des conférences axés sur la prévention du burnout et le mieux-être au travail. Situé à Paris, près de l’arc de Triomphe, l’espace de 800 m2 se veut un « lieu de ressources pour les soignants en souffrance ». Cette initiative vient s’ajouter aux nombreuses actions menées par l’association SPS depuis sa création en 2015, notamment la plateforme d'écoute téléphonique gratuite 24h/7j (depuis fin 2016) qui réoriente vers son Réseau National du Risque Psychosocial, ou les ateliers de prévention pour professionnels et étudiants en santé JADES (en 2019) et les eJADES (en novembre 2020), mais aussi les unités d’hospitalisation dédiées partout en France.

Catherine Cornibert

La crise sanitaire du COVID-19, qui a par ailleurs retardé de plusieurs mois l’ouverture de la Maison des soignants, a bouleversé l’organisation de l’association qui tente de venir en aide aux professionnels de santé dont le mal-être est plus aigu que jamais. Explosion du nombre d’appels, multiplication des demandes de soutien psychologique, le besoin est croissant. Medscape a interrogé Catherine Cornibert, docteur en pharmacie qui dirige les actions et la communication de SPS, pour mieux comprendre l’évolution de cette demande des soignants et les moyens mis en place actuellement contre le burnout et le suicide des professionnels de la santé.

Medscape : Comment a évolué l’aide aux soignants depuis la création de votre association en 2015, et notamment en 2020 avec la crise du COVID-19?

Catherine Cornibert : Nous structurons depuis 5 ans des missions d’accompagnement psychologique des soignants et chaque année nous tenons un colloque qui rend compte des études que nous menons.

La crise sanitaire a entrainé des changements importants. En 2020, nous avons reçu près de 6000 appels téléphoniques sur notre plateforme, contre 4000 pour la période 2017-2019. Le contexte a permis de reconnaître qu’un professionnel de la santé pouvait être en souffrance et que l’on pouvait en parler. Nous avons actuellement environ 20 appels quotidiens [contre 6 par jour en 2017]. Même si on estime qu’à 80%, une écoute peut suffire, tous les appels sont réorientés vers notre réseau national du risque psycho-social (qui est un rassemblement de 3 réseaux d’experts en qualité du sommeil, souffrance au travail et syndrôme post-traumatique), soit vers d’autres professionnels accompagnants. Pendant le confinement, nous avons proposé pour chaque cas 2 consultations gracieuses auprès d’un psychologue du réseau― nous en proposons 1 actuellement. Le suivi vers ce réseau peut être complexe car la plateforme garantit l’anonymat des appels et une confidentialité que nous respectons totalement, bien évidement.

 
En 2020, nous avons reçu près de 6000 appels téléphoniques sur notre plateforme, contre 4000 pour la période 2017-2019.
 

La souffrance des soignants durant la crise a également elle-même évolué : lors du premier confinement, les professionnels de santé étaient très anxieux par rapport au manque de protections et d’accompagnement des équipes qui étaient très sollicitées. Lors de la 2e phase, on voit surtout un épuisement psychologique et physique, avec des professionnels qui sont fatigués et qui ressentent beaucoup moins de solidarité comparativement au printemps dernier.

Quelles sont les besoins/demandes de ces soignants actuellement?

C. Cornibert : Nous constatons, dans les analyses des appels que nous recevons et dans l’étude que nous avons menée ce printemps auprès de 1200 professionnels de santé, que les soignants ont absolument besoin de se ressourcer. Pour aller mieux, ils peuvent certes appeler les plateformes d’écoute (59% y sont favorables, selon notre analyse), aller voir un psychologue (50%), prendre des médicaments, demander un arrêt de travail… Mais ce dont ils sont le plus demandeurs, ce sont des interventions non médicamenteuses (74%), avec un besoin de ressources psychologiques de type hypnose, relaxation, pleine conscience, sport etc.

Ils se sentent également très isolés. Le contexte actuel de crise à la fois sanitaire, économique et sociale rend plus difficile l’accès à des ressources collectives (sportives, etc.), en particulier pour les étudiants. En France, nous sommes déjà en retard dans le domaine de la prévention primaire de la gestion du stress et de l’accompagnement à la fois psychologique, managérial ou juridique.

Observez-vous une évolution des mentalités chez les professionnels de santé pour demander de l’aide psychologique?

C. Cornibert : Le changement principal est qu’auparavant les professionnels de santé attendaient le dernier moment pour exprimer leur mal-être, c’est aujourd’hui un peu moins honteux, moins tabou, et plus reconnu. Les gens se déclarent moins tardivement. D’ailleurs notre action est très ciblée sur la prévention plutôt sur que sur les actions d’alerte.

Aussi, 75% des professionnels de santé qui nous appellent sont des femmes, dont on sait qu’elles sont plus à même de rechercher de l’aide. Infirmières et aides-soignantes représentent environ la moitié des professionnels de santé en France et il y a de plus en plus de femmes médecins, donc c’est une population très féminine… et très à risque d’épuisement car déjà très sollicitée par les responsabilités familiales.

Dans une récente enquête menée par Medscape, 32% des médecins en burnout avaient des pensées suicidaires. Qu’en est-il des soignants qui vous contactent?

C. Cornibert : 10 à 15% des appels que nous recevons concernent des idées suicidaires.  Et dans de précédentes études menées en 2018, nous avions noté un taux d’idées suicidaires deux fois plus important chez les médecins en zone rurale que chez ceux pratiquant en zone urbaine. On sait que les soignants, avec les policiers, les enseignants et les agriculteurs, font partiedes populations les plus à risque de suicide actuellement en France. Il n’y a pas de chiffres officiels, mais on peut faire le calcul : étant donné qu’on dénombre environ 10 000 suicides par an dans notre pays, qu’il y a 2,3 millions de professionnels de santé, et que le risque de suicide des soignants est au minimum 2 fois plus important que celui de la population générale, on pourrait estimer que cela représente 400 morts par an chez les professionnels de la santé. Soit 1 suicide par jour !

 
On pourrait estimer que cela représente 400 morts par an chez les professionnels de la santé. Soit 1 suicide par jour !
 

Comment répondez-vous aux soignants qui vous contactent avec des idées suicidaires?

C. Cornibert : Tout d’abord il faut être extrêmement bien formé pour accompagner ces personnes. Notre plateforme est composée de 100 psychologues seniors, formés, rémunérés, avec une disponibilité 24/24, 7/7. Ils sont capables de réorienter vers le SAMU ou vers un psychologue et/ou médecin et/ou psychiatre en fonction de la gradation de l’appel. Nous assurons 100% d’appels décrochés. Il y a eu plusieurs plateformes d’appels lancées durant la crise qui ont entrainé beaucoup de déception car elles étaient accessibles uniquement durant les jours/heures ouvrables. Il est très anxiogène pour les appelants en souffrance de tomber, après 8-10 minutes d’attente, sur un répondeur. D’autant plus que 20% des appels que nous recevons ont lieu le dimanche ou la nuit. Ces appels nocturnes sont très anxiogènes et il faut absolument les prendre en charge. Nous sommes donc très complémentaires des plateformes ou spécialités de proximité mises en place par ailleurs, et qui sont tout à fait essentielles.

Beaucoup de soignants mettent en cause l’organisation même du système de santé dans la dégradation des conditions de travail et de l’épuisement professionnel. Quelle est la position de la SPS sur ce sujet?

C. Cornibert : Au niveau de l’association SPS, nous n’abordons pas le sujet organisationnel. Nous n’émettons aucun jugement sur l’organisation de la santé car ce n’est pas la mission que nous nous sommes fixée. Sauf lorsqu’il y a nécessité de signalement, comme par exemple lorsque nous recevons plusieurs appels qui orientent vers un même service avec un danger important pour la santé des patients. Autrement nous prenons la personne en souffrance comme elle est, et on essaye, sans jugement de notre part, de l’accompagner pour qu’elle aille mieux, qu’elle ne tombe pas malade, et qu’elle puisse reprendre une activité professionnelle. Nous n’avons pas encore d’actions au niveau du ministère pour essayer de faire reconnaître le burnout. En revanche, nous avons un devoir de prévention et de responsabilité individuelle. Et la prise en charge doit être individuelle, car si on attend que les pouvoirs publics revoient le système de santé, on attendra longtemps…

On estime que 50% des personnes en arrêt de travail ne réintègrent pas la même structure dans laquelle elles ont été en burnout, car le risque de récidive est élevé. On encourage donc les gens à se revaloriser et éventuellement à changer d’environnement de travail ou la façon d’être dans cet environnement. Donc on leur apprend à gérer un stress, mieux dormir ou prendre du recul par rapport à un contexte actuel.

Parmi les interventions que vous menez, lesquelles sont les plus efficaces?

C. Cornibert : Les résultats de nos interventions menées lors des JADES (Journées d’Ateliers Dynamiques et d’Echanges en Santé), aujourd’hui virtuelles (eJADES) sont excellents et répondent à leurs besoins. Les soignants apprécient les ateliers sur la gestion du stress, la cohérence cardiaque, la relaxation, et aussi la gestion du sommeil et du travail de nuit. Il y a également un besoin en management émotionnel et en communication non violente. L’auto-défense (notamment via les postures et la communication) a aussi sa place, car il ne faut pas oublier que les professionnels de santé sont à risque d’agression physique. On pense également à d’autres domaines, comme la musicothérapie qui est reconnue comme une intervention non médicamenteuse efficace. L’objectif est de proposer plusieurs ressources et que chacun y trouve ce qui lui convient le mieux.

La prise de conscience, la libération de la parole et les actions nouvellement menées pour lutter contre la détresse chez les soignants vous rendent-elles plus optimiste? 

C. Cornibert : Non. Nous avons certes réussi à inscrire la santé des soignants dans la stratégie nationale de santé et inscrire des actions obligatoires des ARS et du Ministère pour mieux s’occuper des professionnels de la santé, mais les observatoires de la qualité de vie au travail sont insuffisants. Je dirais au gouvernement et aux instances responsables : arrêtez d’observer et agissez ! On sait bien que les gens souffrent, il faut plutôt voir ce qui doit être mis en place concrètement, notamment pour les étudiants. Comment, depuis le mois de mars, sont-ils pris en charge ? Quelles actions leurs sont destinées ? Également, nous avons répertorié 50 types de professions de santé. Or nombreux sont ceux, comme entre autres les sages-femmes, les préparatrices en officine, les brancardiers ou les auxiliaires de vie,  qui se sentent oubliés, notamment dans le cadre du Ségur. La souffrance des soignants est un enjeu de santé publique, c’est un sujet réel et non pas voyeuriste.

 
Je dirai au gouvernement et aux instances responsables : arrêtez d’observer et agissez !
 

Quel message souhaiteriez-vous faire passer aux soignants?

C. Cornibert : Tout d’abord, ne restez pas seul, trouvez une personne qui peut vous aider. Contactez l’association SPS (www.asso-sps.fr) via la plateforme, le réseau national du risque psychosocial ou les unités dédiées. Et il faut en parler à des gens compétents, formés. Il faut se prendre en charge rapidement, sans attendre, et ne pas rester dans une structure anxiogène. Et plus globalement, les médecins devraient prendre soin d’eux et prendre le temps de se ressourcer. Ce sont au moins 3 heures par semaine qu’ils ne devraient consacrer qu’à eux-mêmes et à leur bien-être. Il en va de leur santé.

 

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