
Cynthia Fleury
France — Le COVID a clairement sur-sollicité notre santé mentale et il est essentiel de s’emparer à bras le corps de la question de la psychiatrie, en termes notamment de prévention et de déstigmatisation. Ce sont les messages forts qu’a tenu à transmettre la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury dans une conférence de presse vidéo la semaine dernière aux côtés de 4 psychiatres, Rachel Bocher, Marion Leboyer, Serge Hefez et Marie-Rose Moro. Ces cinq spécialistes de la santé mentale tenaient à alerter sur le risque d’un tsunami de troubles mentaux lié à la crise que nous vivons et à ses répercussions dans le contexte d’un système de soin psychiatrique débordé et sous-financé (Lire COVID : la troisième vague sera-t-elle psychiatrique ?).
Lors dans son intervention, la psychanalyste a dressé un rapide tableau des cinq raisons pour lesquelles « la situation du COVID que nous vivons sur-sollicite la question de la santé mentale » et insisté sur le fait que celle-ci doit cesser « d’être stigmatisée, polarisée et mise de côté » alors qu’elle est partie intégrante de la santé, et sera demain au sein même « de la résilience de nos sociétés ».
Première raison : l’extinction d’expérience
Pour la philosophe, si cette crise nous fragilise, c’est d’abord parce qu’elle nous met face à une situation que nous avons oubliée. « La crise du Covid met en exergue, ce que l’on peut appeler dans les sciences humaines et dans les sciences sociales, une extinction d’expérience, expose Cynthia Fleury. La France, en l’occurrence, connait une extinction d’expérience épidémique ». C’est une conquête et c’est merveilleux, continue-t-elle, sauf que ça nous rend plus fragile quand il est question « d’une effraction d’un réel de la mort ». En cause, « notre amnésie générationnelle » car l’expérience de ce grand risque épidémique nous avait été transmise, mais nous l’avions perdue.
Deuxième raison : l’effraction du réel de la mort
Autre cause de traumatisme : « l’effraction du réel de la mort dans nos vies » explique-t-elle. « Nous savons tous que la mortalité [liée au virus] est faible mais l’imaginaire de la mort et le réel de la mort, ainsi qu’une quantité d’effets non maitrisés liés à la Covid-19, tout cela produit un effet maximal vis-à-vis de ce risque de mort ». Et « sans parler des métaphorisations possibles comme la mort sociale » ajoute la philosophe.
Troisième aspect : la concomitance de facteurs sociétaux générateurs d’angoisse
Pour Cynthia Fleury, il y a le « réel de la mort qui atteint nos aînés » ou « nous atteint par le biais de l’insécurité économique de demain », mais aussi « le terrorisme et plus globalement ce que l’on pourrait appeler une banalisation de l’état d’exception ». Pour la psychanalyste, « tout cela fait que, bien évidemment, notre compagnonnage avec le réel de la mort s’est déplacé et sur-sollicite notre santé mentale ».
S’y ajoute la question de l’incertitude, « qui va devenir notre champ d’expériences prioritaires ». Or, dit-elle, « on sait très bien que l’un des grands marqueurs de la santé est la tolérance au risque et à l’incertitude ».
Quatrième point : le passage du ponctuel au systémique
L’angoisse vient de la prise de conscience que l’on est passé, avec cette crise épidémique, du ponctuel au systémique. La différence dans le vécu et la perception des deux confinements par les soignants et les patients le montre parfaitement. Si l’on a fait face au printemps à « un effet de parenthèse, de sidération face à un épisode inédit – même si tout le monde pressentait que c’était tout sauf de l’inédit, de l’accidentel et du ponctuel –, on sait désormais que ce sera du systémique, du récurrent » considère la psychanalyste. Nous n’en sommes donc plus à « des modélisations de l’effondrement » ou à une « lointaine collapsologie », mais à ce qui vient ici et maintenant « transformer nos vies » avec des « implications très pratico-concrètes ». « Une « transformation qui produit bien évidemment de l’hyper-anxiété ».
Cinquième raison : la remise en question de nos lieux de ressourcement
Dernière source de fragilité : tous nos lieux de ressourcement et de sociabilité sont remis en question. Même si l’on se dit que ce n’est rien, le fait de mettre des masques, de ne plus pouvoir se toucher vient affecter nos « affectio societatis », explique Cynthia Fleury. « On a beau se dire que, lorsque le vaccin sera là, tout va reprendre comme avant en termes de qualité humaine, rien n’est moins sûr. Ce n’est pas si simple car tout un sens de la sociabilité peut changer, ce qui peut être une grande source de mal-être car on se dit que l’on ne pourra plus se ressourcer de la même façon ».
« D’où la nécessité de se saisir urgemment de la question de la santé mentale » a conclut la psychanalyste.
Crédit photo :JeanAlix21 — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, Wikipédia
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Citer cet article: Pourquoi, selon Cynthia Fleury, le COVID sur-sollicite notre santé mentale - Medscape - 10 déc 2020.
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