France — Suite aux annonces prometteuses des laboratoires sur l’efficacité et la tolérance des vaccins contre la maladie Covid-19, les publications scientifiques dans des revues à comité de lecture étaient attendues avec impatience.
La première d’entre elles est parue le 8 décembre dans le Lancet[1] . Elle rapporte les premières données d’efficacité du vaccin d’Oxford (ChAdOx1/ AZD1222), à vecteur viral non réplicatif, obtenues à partir d’une analyse poolée de deux essais de phase 2/3 réalisés au Royaume Uni et au Brésil (n=11 636) et les données de tolérance chez 23 745 participants enrôlés dans 4 essais cliniques au Royaume-Uni, au Brésil, et en Afrique du Sud.
Il ressort de cette analyse intermédiaire que le vaccin protège de la maladie symptomatique dans 70 % des cas—avec une efficacité de 62 % lorsque deux doses complètes sont administrées à quelques semaines d’intervalle et de 90 % lorsqu’une demie dose puis une dose complète sont administrées (voir encadré sur les différentes doses administrées).
Aussi, les données de sécurités semblent rassurantes avec 3 effets secondaires graves potentiellement associés au vaccin survenus parmi les 23 745 participants sur un temps de suivi de 3 à 4 mois.
« Ces résultats confirment ce qui avait été annoncé par les laboratoires. Ils sont un peu décevants en termes d’efficacité par rapport aux vaccins ARN. Pour autant, cela permet d’avoir d’autres vaccins disponibles ce qui est intéressant », commente le Pr Jean-Daniel Lelièvre responsable du service d’immunologie clinique et maladie infectieuses de l’hôpital Henri-Mondor (AP-HP, Créteil) pour Medscape édition française.
Aussi, si ces premiers résultats apportent un certain nombre de réponses, ils laissent plusieurs questions en suspens comme l’indique l’auteur principal de l’étude, le Dr Merryn Voysey (Université d’Oxford, Royaume-Uni), dans le communiqué de presse du Lancet [2] :
« Dans des futures analyses, avec plus de données disponibles, nous étudierons les résultats dans des sous-groupes clés comme les personnes âgées, les différentes ethnies, mais aussi les différences observées en fonction des doses, du moment où le vaccin de rappel est administré et nous déterminerons ce qui correspond à une protection contre l’infection ou contre la maladie ».
L’analyse actuelle n’apporte pas de réponses à ces points précis.
Le vaccin Oxford COVID-19 utilise un vecteur viral d'adénovirus de chimpanzé qui ne peut pas se répliquer chez l'homme et dans lequel le gène de la protéine de pointe du SARS-CoV-2 a été inséré. Le vaccin délivre le code génétique de la protéine Spike dans les cellules des personnes vaccinées, qui produisent ensuite la protéine, et apprennent au système immunitaire à reconnaître et à attaquer le virus. Les résultats des essais antérieurs ont montré que le vaccin induit des réponses immunitaires des anticorps et des lymphocytes T et qu'il est bien toléré chez les adultes y compris chez les plus âgés.
DETAILS DES RESULTATS D'ETUDE
Une protection contre la maladie symptomatique dans 70 % des cas
Le critère principal de l’analyse poolée était le nombre de cas de maladie symptomatique à COVID-19 (confirmés par un test positif et au moins un des symptômes suivants : fièvre, toux, essoufflement ou perte d'odorat ou de goût) chez les participants qui avaient reçu deux doses du vaccin par rapport aux témoins. Seuls les cas survenus 14 jours après la deuxième vaccination ont été inclus (11 636 participants aux essais au Royaume-Uni et au Brésil).
En tout 131 cas de maladie symptomatique ont été dénombrés plus de 14 jours après la deuxième dose de vaccin chez ces 11 636 personnes. Avec une répartition de 30/5 807 (0,5%) cas dans le groupe vaccin et 101/5 829 (1,7%) cas dans le groupe témoin, ce qui équivaut à une efficacité vaccinale de 70%.
Un effet dose
Mais l’efficacité a varié en fonction de la dose de la première injection administrée : « demie dose » ou « dose standard » (voir encadré).
Elle était de 62% chez ceux qui avaient reçu deux doses standard du vaccin (sur la base de 27/4 440 (0,6%) cas dans le groupe vacciné et de 71/4 455 (1,6%) cas dans le groupe témoin), et de 90% dans la groupe faible dose / dose standard (sur la base de 3/1 367 (0,2%) cas dans le groupe vacciné et de 30/1374 (2,2%) cas dans le groupe témoin ).
« Les effectifs dans le groupe dose faible/dose standard sont faibles et il est difficile de vraiment conclure à ce stade sur la portée de ces données », commente le Pr Lelièvre qui ajoute « le fait que deux schémas de doses aient été donnés et que les patients n’aient pas tous reçu leur deuxième injection au même moment, que l’intervalle entre les deux injections ait varié, rend l’interprétation de ces données beaucoup plus complexe que celles des vaccins ANRm ».
Précisions sur les doses
Dans les différents essais inclus dans cette analyse, la moitié des participants ont reçu le vaccin COVID-19 et l'autre moitié un contrôle (soit un vaccin méningococcique conjugué soit une solution saline). Les essais avaient été initialement conçus pour évaluer une dose unique du vaccin, mais les données de réponse immunitaire dans l'étude de phase 1/2 au Royaume-Uni ont révélé qu’une dose de rappel amplifiait les réponses immunitaires, une autre dose a donc été ajoutée aux protocoles des essais.
Les participants du groupe vaccin COVID-19 ont reçu deux doses contenant chacune 5x1010 particules virales (une dose standard). Cependant, un sous-ensemble (1 367 personnes) au Royaume-Uni a reçu par erreur une demi-dose comme première dose, suivie d'une deuxième dose complète.
Le groupe à faible dose / dose standard n’a pas inclus d'adultes de plus de 55 ans car la faible dose a été administrée à un stade précoce de l'essai avant le début du recrutement d'adultes plus âgés.
Des meilleurs résultats avec une première dose plus faible ?
Pour tenter de comprendre d’où venait cette différence d'efficacité surprenante en faveur du bras ayant reçu une première injection moins dosée, les chercheurs ont effectué des analyses exploratoires en sous-groupes à la demande de pairs-examinateurs. L’objectif était de comprendre si la différence était liée à la dose ou à d'autres facteurs (âge des participants et temps entre les doses de vaccin). Ils ont constaté que, indépendamment de l'âge ou du temps entre les doses, leurs analyses suggéraient une efficacité plus élevée dans le groupe à faible dose / dose standard. Cependant, des recherches supplémentaires seront nécessaires pour confirmer ce point avec davantage de données.
« Une des hypothèses pour expliquer ces meilleurs résultats avec le schéma faible dose/dose standard est « l’immunité anti-vecteur ». C’est à dire que des anticorps dirigés contre l’adénovirus inactivé, donc contre le vaccin, sont produits. Cela pourrait diminuer la réponse immunitaire.
L’idée ici est qu’une première injection plus faiblement dosée induirait une réponse moindre contre le vecteur et que du coup la deuxième dose serait plus efficace. Mais, tout cela est complètement théorique. Cela n’a pas été montré », explique le Pr Lelièvre.
Protection contre les formes graves de la maladie
Concernant les cas de maladie grave et d'hospitalisation (critère secondaire), parmi les 23 745 participants, 21 jours après la première injection, 10 cas ont été hospitalisés pour COVID-19, tous dans le bras témoin, et deux ont été classés comme graves, dont un décès.
L’efficacité chez les personnes âgées n’a pu être déterminée
Les résultats d’efficacités présentés dans cette analyse n’apportent pas d’informations sur plusieurs sous-groupes de patients et notamment les plus âgés.
En tout, cinq cas de maladie symptomatique du COVID-19 sont survenus chez des personnes âgées de plus de 55 ans, mais l'efficacité du vaccin dans les groupes plus âgés n'a pas pu être évaluée.
«Le recrutement des adultes plus âgés a commencé plus tard que chez les adultes plus jeunes, il y a eu moins de temps de suivi pour ces cohortes et moins de temps pour cumuler des cas de COVID-19. Cela signifie que nous devons attendre plus longtemps pour disposer de données suffisantes pour fournir de bonnes estimations de l'efficacité des vaccins dans ces sous-groupes plus petits », a souligné le Dr Voysey.
Les chercheurs précisent que la plupart des participants inclus dans cette analyse intermédiaire étaient âgés de 18 à 55 ans (82%, 19 588/23 745).
Sur les 11 636 personnes incluses dans l'analyse de l'efficacité du vaccin contre les maladies symptomatiques à ce stade, 12% (1 418/11 636 personnes) étaient des adultes plus âgés et la plupart étaient d’origine caucasienne (83%, 9 625/11 636 personnes).
Quelle durée de protection ?
Les auteurs notent qu'ils ne sont pas encore en mesure d'évaluer la durée de la protection, car les premiers essais ont été lancés en avril 2020 et tous les cas de maladie sont survenus dans les six mois suivant l'administration de la première injection. Des données supplémentaires seront nécessaires pour déterminer la durée de la protection et la nécessité d’administrer des doses de rappel de vaccin.
« Certains patients ont eu un recul de six mois mais pour d’autres le recul a été moins long car la deuxième dose a été administrée plus tardivement. Ce qui était demandé par les autorités réglementaires c’était deux mois », précise le Pr Lelièvre.
Données de sécurité : 3 événements possiblement liés au vaccin
Les données de tolérance rapportées ici portent sur une période médiane de 3,4 mois chez les 23 745 participants au Royaume-Uni, Brésil et Afrique du Sud. Sur 23 745 participants, 168 ont eu un total de 175 événements indésirables graves au cours de la période, mais 172 événements n'étaient pas liés au COVID-19 ou aux vaccins témoins. Trois événements étaient possiblement liés au vaccin. Un événement a été observé dans le groupe témoin (un cas d'anémie hémolytique), un événement a été rapporté dans le groupe vaccin COVID-19 (un cas de myélite transverse considérée comme possiblement liée au vaccin) et un cas de fièvre sévère (> 40 ° C) a été rapporté en Afrique du Sud chez un participant pour lequel l’aveugle n’a pas été levé et qui s'est rétabli rapidement sans être hospitalisé. Les trois participants se sont rétablis ou se rétablissent et continuent de participer à l'essai.
La surveillance des effets indésirables se poursuit dans tous les essais.
« Concernant le cas de myélite transverse, il est difficile à analyser car ce type de pathologie neurologique peut survenir après une infection. Mais, on peut noter que par rapport à des vaccins ARNm, les vaccins adénoviraux sont des agents infectieux. Ils peuvent donc théoriquement induire des myélites transverses post-infectieuses. Mais, rappelons qu’il n’y a eu qu’un seul cas sur un très grand nombre de personnes vaccinées », souligne le Pr Lelièvre.
Quelle protection contre les infections asymptomatiques ?
Outre la protection contre la maladie symptomatique, l'essai a également mesuré la protection contre les infections asymptomatiques (critère secondaire) en demandant à 6 638 participants britanniques de passer des tests COVID hebdomadaires. Ces résultats devront être confirmés, souligne le Lancet.
En tout, 69 cas de maladie asymptomatique COVID-19 ont été identifiés sur 6 638 personnes dont 29/3 288 (0,9%) cas dans le groupe vaccin et 40/3 350 (1,2%) cas dans le groupe témoin, soit une efficacité du vaccin contre l’infection asymptomatique de 27%.
Mais, là encore les résultats d’efficacité divergent là en fonction du schéma d’administration des doses.
Dans le groupe à faible dose / dose standard, 7/120 (0,6%) cas ont été dénombrés dans le groupe vacciné et 17/1 127 (1,5%) dans le groupe témoin. L’efficacité du vaccin contre la transmission asymptomatique est donc dans ce cas de 59%.
En revanche, chez les personnes ayant reçu deux doses standard, 22/2 168 (1%) cas ont été rapportés dans le groupe vacciné et 23/2 223 (1%) dans le groupe témoin, ce qui équivaut à une efficacité du vaccin contre l’infection asymptomatique de 4%.
Quelle place pour ce vaccin ?
« Le positionnement de ce vaccin va être difficile à trouver car il est moins efficace que les vaccins ARNm, mais il a un mode de conservation plus simple que les autres et il sera plus accessible pour les pays en voie de développement. Les discussions autour de la place des différents vaccins vont être complexes », a commenté le Pr Lelièvre.
Dans un éditorial accompagnant l’article du Lancet[3] , les Drs Maria Deloria Knoll et Chizoba Wonodi ( Johns Hopkins Bloomberg School of Public Health, États-Unis), qui n'étaient pas impliqués dans l'étude, précisent : «L'accord entre Oxford et AstraZeneca et l’alliance COVAX sur un prix de 2 à 3 dollars par dose permet d’espérer un accès équitable pour les pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire, par rapport au coût élevé des deux vaccins ARNm qui ont rapporté une efficacité de plus de 90%. Aussi, le vaccin ChAdOx1 nCoV-19 peut être conservé par la chaîne du froid classique, ce qui est important car les congélateurs à très basse température nécessaires pour stocker les vaccins à ARNm pourraient être inabordables et peu pratiques dans de nombreux pays et dans certaines contextes (maisons de retraite...). Cependant, n'importe quel schéma vaccinal à deux doses posera un défi dans les endroits où identifier, localiser et atteindre facilement - deux fois - les adultes ciblés pour la vaccination est complexe. Enfin, si les deux injections de vaccins nécessitent des doses différentes, cela ajoutera à la complexité [...], mais ce problème peut être géré grâce à un packaging innovant et une stratégie de réduction des risques d’erreurs…Pour choisir entre les différents vaccins, les autorités sanitaires devront tenir compte de tous ces facteurs et décider quel vaccin convient le mieux à leur situation. L'efficacité est une considération importante, mais il en va de même de la facilité d'administration, de l'acceptation de la vaccination par la population, de la durée de la protection, de la question de savoir si un vaccin limite à la fois l'infection et la transmission et les symptômes de la maladie, de l'efficacité dans les groupes à haut risque et, bien sûr, de la sécurité.
« Malgré les questions en suspens et les défis qui restent à relever concernant l’approvisionnement en vaccins, il est difficile de ne pas être enthousiasmé par ces découvertes avec maintenant l'existence de trois vaccins COVID-19 sûrs et efficaces, et 57 autres faisant l’objet d’essais cliniques. Avec plusieurs fabricants, un investissement mondial très important dans la production et la coopération en matière d'approvisionnement et de distribution, il semble probable que 2021 verra les vaccins COVID-19 mis à disposition de tous les pays du monde. Peut-être qu'à la même époque l'année prochaine, nous pourrons célébrer le contrôle mondial du SARS-CoV-2 », concluent les éditorialistes.
Cette étude a été financée par UK Research and Innovation, les National Institutes for Health Research (NIHR), la Coalition for Epidemic Preparedness Innovations, la fondation Bill & Melinda Gates, la fondation Lemann, la fondation Rede D'OR, Brava and Telles, le NIHR Oxford Biomedical Research Center, Thames Valley et le réseau de recherche clinique NIHR du South Midland et AstraZeneca. Une liste complète des chercheurs et de leurs institutions est disponible dans l'article. |
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Citer cet article: Vaccin d’Oxford : que disent les nouvelles données publiées - Medscape - 9 déc 2020.
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