Virtuel — La consommation de cannabis étant suspectée d’avoir un impact délétère sur la santé urogénitale, l’Association française d’urologie (AFU) recommande d’interroger ses patients sur cette consommation, notamment lorsqu’ils présentent un cancer de la vessie ou une tumeur testiculaire. C’est l’un des messages qu’elle a souhaité passer à l’occasion du 114ème congrès de l’AFU, qui s’est déroulé cette année en virtuel [1].
« Entre les années 1980 et 2010, l’incidence des cancers du testicule a doublé chez les sujets jeunes. On observe aussi dans cette population une hausse de certains cancers de la vessie, davantage de dysfonction érectile et des troubles de la fertilité », a souligné le Pr Éric Lechevallier (chef du service urologie, hôpital de la Conception, Marseille), également membre du conseil d’administration de l’AFU lors d’une conférence de presse en ligne [1].
L’apparition de ces anomalies au niveau urologique serait-elle en lien avec la hausse de la consommation de cannabis chez les plus jeunes ? Les urologues s’interrogent de plus en plus. « En questionnant nos patients sur leur mode de vie, nous avons l’impression que le cannabis pourrait être en cause », indique l’urologue.
Les preuves restent, en effet, insuffisantes. Des études cas-témoin ont rapporté une association entre la consommation de cannabis et l’apparition d’une tumeur de la vessie, mais les effectifs de patients inclus sont faibles et l’existence d’un tabagisme associé n’est pas toujours prise en compte. Ces études présentent aussi certains biais, notamment sur le niveau de consommation.
Des incertitudes pour le cancer de la prostate
« Les résultats des études sont assez controversés. Cependant, on a beaucoup d’arguments pour penser que le cannabis fumé a un effet délétère sur l’appareil urinaire. Comme pour la consommation de tabac, il produit des substances cancérogènes qui se retrouvent dans la vessie », commente le Pr Lechevallier.
En ce qui concerne la prostate, « il existe beaucoup d’incertitudes », poursuit l’urologue. « Les récepteurs à cannabinoïdes sont certainement présents au niveau de la prostate, mais pour le moment, on ne peut rien affirmer. Il faudra voir à l’avenir si ces jeunes qui ont fumé du cannabis vont développer davantage de cancer de la prostate à un âge plus avancé. »
En revanche, s’agissant du cancer du testicule, les données tendent à confirmer un sur-risque chez les consommateurs de cannabis. Une récente méta-analyse a ainsi montré une hausse de 36% du risque d’avoir ce cancer chez les patients ayant une consommation prolongée, comparativement aux non-fumeurs (HR=1,36; IC à 95%, 1,03-1,81; p=0,03) [2].
Une équipe suédoise a également mené une large étude, à partir des données de santé de 50 000 jeunes âgés de 18 à 21 ans, suivis pendant 42 ans. Après ajustement sur la consommation de tabac et d’alcool, leur étude montre un risque de cancer des testicules plus que doublé chez ceux ayant fumé du cannabis plus de 50 fois dans leur vie (HR=2,57, IC à 95%, 1,02- 6,50) [3].
Effets négatifs sur la fonction érectile mais positifs sur la fonction urinaire
Par ailleurs, concernant la sexualité, « il y a probablement un effet délétère du cannabis et en particulier du THC sur la fonction érectile ». De plus, la présence de récepteurs aux cannabinoïdes sur l’axe hypothalamo-hypophysaire, qui assure la stimulation de la spermatogenèse, conduit à soupçonner l’impact négatif du cannabis sur la fertilité. « On l’envisage de plus en plus dans les bilans de fertilité », précise le Pr Lechevallier.
A l’inverse, la consommation de cannabis aurait un effet bénéfique sur divers troubles urinaires, notamment dans l’amélioration des troubles mictionnels associés à la sclérose en plaque (SEP). Des études ont également suggéré un effet antalgique en cas de syndrome douloureux vésical (cystite interstitielle). Le cannabis pourrait aussi apaiser l’hyperactivité vésicale.
Pour le Pr Lechevallier, « il y a un effet globalement négatif du cannabis sur la santé urologique », qui doit être pris en compte en consultation, même si les données sont encore insuffisantes pour le confirmer. Les urologues appellent d’ailleurs à lancer d’autres études pour mieux connaitre la toxicité urologique du cannabis, même si son effet est difficile à évaluer (voir encadré).
En attendant, l’AFU souhaite sensibiliser les praticiens sur ces risques. « Lorsqu’un urologue reçoit un patient jeune pour une tumeur de vessie ou de testicule, pour des troubles érectiles ou une infertilité, il doit penser à l’interroger sur sa consommation de cannabis » et l’orienter, le cas échéant, vers un.e addictologue, estime le Pr Lechevallier.
Suivi médical et socio-éducatif
Tout comme pour la consommation d’alcool ou de tabac, « il est important, au cours d’une consultation, d’interroger son patient sur sa consommation de cannabis », a insisté, pour sa part, le Dr Alice Deschenau (responsable du service addictions, Groupe hospitalier Paul Guiraud, Villejuif), au cours de la conférence de presse.
La consommation et la dépendance au cannabis peuvent être évaluées par divers outils, tel que le questionnaire CAST. En plus d’être informés sur les risques liés à cette consommation, les patients peuvent être orientés vers une offre de soins en addictologie adaptée, en s’aidant de l’annuaire du site Drogues info service, recommande le Dr Deschenau.
La prise en charge de l’usage problématique du cannabis en addictologie est assez limitée. « Il n’existe pas de pharmacopée spécifique pour cette addiction, » a rappelé la psychiatre. Les médicaments peuvent toutefois être utiles en cas de symptômes de sevrage (insomnie, irritabilité, nervosité, anxiété, perte d’appétit…) « potentiellement très désagréables ».
La prise en charge en addictologie passe par la mise en place d’une psychothérapie, avec éventuellement le recours à la thérapie cognitivo-comportementale et aux outils d’entretiens motivationnels. « Des techniques qui ont fait preuve de leur efficacité » dans l’addiction au cannabis.
« Le suivi est médical, mais aussi socio-éducatif » pour aider les consommateurs très réguliers de cannabis à s’investir dans d’autres activités. « Le cannabis crée, en effet, une forte distorsion de la perception du temps. » L’arrêt de la consommation peut alors créer un vide et un ennui qui poussent à consommer à nouveau.
Des composés biochimiques multiples
« Il reste difficile d’avoir des positions affirmatives sur l’impact de la consommation de cannabis sur la santé », a souligné le Dr Deschenau. Et pour cause: « plus d’une centaine de phytocannabinoïdes sont répertoriés et pas moins de 500 composés ont été isolés du cannabis à des proportions variables selon l’organe de la plante et les conditions de culture ».
De plus, la grande diversité biochimique de cette plante tend à augmenter avec la multiplication des variétés de cannabis. « Le cannabis a aussi la particularité d’avoir de nombreux de chimiotypes: sa composition chimique est variable selon le mode de culture. »
En conséquence, l’identification du mode d’action des nombreuses substances et leur rôle dans l’apparition des pathologies urologiques représentent un travail complexe, qui nécessite beaucoup de recherche, estime la psychiatre. Sans compter que les effets varient selon le mode de consommation.
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Citer cet article: Cancers de la vessie et du testicule: la consommation de cannabis fortement suspectée - Medscape - 9 déc 2020.
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