Ségur, PLFSS 2021: le collectif inter-hôpitaux tire à nouveau le signal d’alarme

Anne-Gaëlle Moulun

Auteurs et déclarations

7 décembre 2020

France--Depuis la naissance du collectif inter-hôpitaux (CIH) il y a un an, rien ou presque n’a bougé, ont alerté les personnels de l’hôpital lors d’une conférence de presse organisée le 1er décembre[1].

« Nous ne voyons pas d’embellie sur le terrain ! », déplore le Dr Olivier Milleron, cardiologue à l’hôpital Bichat et membre du CIH.

Pour lui, « l’attachement de la population à l’hôpital public ne fait aucun doute. Et pourtant le PLFSS 2021 voté la veille au Parlement, impose encore des économies à l’hôpital public : le mode de financement ne change pas, les fermetures de lits se poursuivent », dénonce-t-il.

 
Le mode de financement ne change pas, les fermetures de lits se poursuivent. Dr Olivier Milleron
 

Pourtant, « il y a eu la crise sanitaire, il y a eu les mots très forts du Président de la République et il y a eu le Ségur de la Santé », rappelle-t-il. « Ensuite, il y a eu la déception post-Ségur qui a précédé cette deuxième vague de l’épidémie », résume-t-il, amer. Le CIH, qui réclame notamment l’arrêt des fermetures de lits d’hospitalisation, une augmentation significative de 300 euros nets mensuels des salaires des personnels hospitaliers et un changement de logique dans le financement de l’hôpital public avec l’abandon de la tarification majoritaire à l’activité, n’a vu aucune de ses revendications aboutir.

Poursuite des fermetures de lits

Pour Sophie Ettendorff, cadre de santé à l’hôpital de Pau, « même si une revalorisation salariale des professionnels non médicaux a été mise en place, on peut dès à présent affirmer que cette revalorisation, n’est pas suffisante car elle ne peut déclencher à elle seule le choc d’attractivité attendu ». En effet, la revalorisation « après plus de 10 ans de gel du point d'indice et un retard accumulé du niveau de salaire maintient les infirmières françaises dans le bas du classement des pays de l’OCDE, à la 18e place sur 33 », souligne-t-elle.

« Il est tout à fait crucial et urgent de travailler sur les conditions de travail des soignants et sur leurs effectifs au lit du patient et d’arrêter ainsi la fermeture des lits », estime-t-elle. Elle note que 100 000 lits ont été fermés entre 1993 et 2018 et 3400 lits en 2019.

« Dans le contexte actuel, les projets de fermeture de lits sont encore d’actualité : Limoges, Rouvray, Bichat-Beaujon à Paris...alors qu’Olivier Véran a déclaré vouloir sortir du dogme de la fermeture de lits », pointe Sophie Ettendorff. Pour le Dr Olivier Milleron, « l'exemple de la distance entre les mots et les actes est illustrée à Paris par le projet de fusion des hôpitaux Bichat et Beaujon, puisqu’il n'a été modifié qu'aux marges alors que le programme technique détaillé du projet prévoit la suppression de 30% de lits d’hospitalisation complète (HC) en médecine, chirurgie et obstétrique (MCO). Cette diminution est injustifiée et injustifiable », pointe-t-il.

Outre ces fermetures de lits, Sophie Ettendorff remarque que « l'absentéisme est un indicateur fort de la détérioration des conditions de vie au travail à l'hôpital public. Tous les jours les cadres rappellent sur leurs repos des agents pour combler des postes non pourvus ou des arrêts maladie longs non remplacés. Ce travail quotidien pèse lourdement sur la santé psychologique de l’encadrement », alerte-t-elle. Pointant le malaise partagé par ses collègues, elle cite pour preuve la journée de mobilisation des cadres du CHU de Nantes le vendredi 13 novembre, « un mouvement de grogne suffisamment rare pour être cité ».

Budget d’austérité

De son côté, le Pr Agnès Hartemann, diabétologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, ne cache pas son inquiétude concernant le PLFSS 2021. « Indépendamment des surcoûts liés à la pandémie, près de 10 milliards supplémentaires sont nécessaires par rapport au budget voté pour 2020 (84,4 milliards) afin de couvrir les revalorisations salariales (7,5 milliards), embauches, le financement des investissements (1,6 milliards avec la reprise de dette) et l’augmentation des charges fixes de 4%. Or, pour 2021, le PLFSS annonce un Ondam de 92,9 milliards, soit un défaut de recettes de près de 2 milliards. Ces économies se réaliseront en dégradant les soins », estime-t-elle. « Le compte n’y est pas et le budget voté est un budget d’austérité pour l’hôpital », regrette le Pr Hartemann.

 
Le compte n’y est pas et le budget voté est un budget d’austérité pour l’hôpital. Pr Agnès Hartemann
 

Le changement de gouvernance de l’hôpital se fait attendre

Concernant la gouvernance de l’hôpital, là encore les évolutions se font attendre. Le 16 novembre 2020, une délégation de huit membres du CIH a été auditionnée par les députés Rist, Vidal, Mesniers et Touraine, pour discuter de leur proposition de loi « visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification ».

« Nous avons souligné que le plein pouvoir décisionnaire était maintenu entre les mains de l’administratif, qu’aucun article n’amenait la réforme attendue de la gouvernance. Ce texte maintient l’organisation en pôle de gestion, ne modifie pas l’organisation des services, n’assure pas d’ouverture sur un fonctionnement démocratique dans lequel soignants et usagers auraient leur place avec un vrai projet d’équipe défini et mené au sein du service », détaille Sophie Ettendorff.

La proposition du CIH est de mettre en place une organisation qui émane du service avec un binôme médical et paramédical (chef de service et cadre de santé) avec création obligatoire d’un conseil de service composé des membres élus représentant l’ensemble des métiers et des usagers intervenant dans le service. Ce conseil de service permettrait de définir les besoins humains matériels et organisationnels ainsi que les besoins en formation. « Pendant la crise sanitaire on nous a fait confiance et cela a marché », tient à rappeler Sophie Ettendorff.

 
Pendant la crise sanitaire on nous a fait confiance et cela a marché. Sophie Ettendorff
 

Alain Dru, rapporteur de l’avis du Conseil économique social et environnemental (CESE), note pour sa part que parmi les préconisations de l’avis du CESE, figurent la limitation de la tarification à l’activité aux seuls soins standardisés, la structuration de l’Ondam autour des priorités de la politique de santé et l’évolution vers un cadre pluriannuel, ou encore l’effacement de la dette des hôpitaux.

Exercice de communication

Pour conclure, le Pr Stéphane Dauger, réanimateur pédiatrique à l’hôpital Robert Debré et président du CIH juge que le Ségur, n’aura été qu’un « fantastique exercice de communication, programmé à la va-vite pour tenter d’apaiser en deux mois la colère des soignants et des citoyens suite à la première vague du Covid ».

Pour lui, « il n’a proposé aucun changement structurel pour l’hôpital public de demain et son organisation au sein de son territoire de santé ».

Il assure que « l’hôpital public n’est pas prêt à affronter les défis de santé publique des prochaines années s’il ne prend pas immédiatement un virage radicalement différent de celui imposé depuis 20 ans ».

 
L’hôpital public n’est pas prêt à affronter les défis de santé publique des prochaines années. Pr Stéphane Dauger
 

 

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