Créteil, France – Dans un article récent, le Pr Jean-Daniel Lelièvre, responsable du service d’immunologie clinique et maladie infectieuses de l’hôpital Henri-Mondor (AP-HP, Créteil) avait fait le point pour nous sur les interrogations persistantes autour de la réponse immunitaire conférée par le virus SARS-CoV-2.

Pr Jean-Daniel Lelièvre
Cette fois, alors que les stratégies vaccinales contre la maladie Covid-19 se mettent en place dans le monde entier, les vaccinations devant même débuter au Royaume-Uni la semaine prochaine, nous l’avons interrogé sur les questions en suspens concernant les vaccins candidats les plus proches d’obtenir une AMM.
Efficacité, durée de la protection, effets secondaires potentiels…le point sur ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas à ce jour.
Medscape édition française : Quelles sont les questions qui restent en suspens concernant les vaccins ?
Pr Jean-Daniel Lelièvre : Notons d’abord, qu’à ce stade, même si la recherche sur les vaccins contre le SARS-CoV-2 a été incroyablement rapide et prolifique, les essais en cours ne répondront pas encore à toutes les questions que nous nous posons. Aussi, pour certains point clés, nous attendons les publications des essais de phase 3 qui devraient sortir d’ici une quinzaine de jours. Pour l’instant, seules les instances de régulation disposent des données de ces essais, comme l’ANSM en France.
Ce que l’on peut dire, c’est qu’un certain nombre de points restent à connaitre comme le niveau d’efficacité des vaccins dans diverses populations (les personnes avec des comorbidités, femmes enceintes, immunodéprimées…) ou la durée de la protection vaccinale.
Aussi, nous ne connaissons pas la capacité des vaccins à jouer à la fois sur la gravité de la maladie (immunité individuelle) et sur le portage viral (immunité collective).
Restent aussi des questions sur la capacité des différents vaccins candidats à être efficaces en une seule dose (possible avec des vaccins vivants atténués et des vecteurs viraux).
En termes de populations à vacciner, l’évolution de la pandémie influera sur la nécessité d’opter pour une vaccination ciblée ou plus vaste.
Sur la question du risque de mutation qui pourrait impliquer de modifier la composition des vaccins, nous ne pouvons pas lire l’avenir même si les mutations observées à ce jour ne semblent pas remettre en cause l’efficacité de ces vaccins. Le taux de substitution/nucléotide/génome/an est inférieur à celui observé pour le VIH ou le virus influenza.
Enfin, reste une inconnue importante. Nous ne savons pas quelle sera l’adhésion des populations cibles à la vaccination.
Quelle est le seuil d’efficacité vaccinale demandé par l’OMS et que sait-on, à ce stade, de l’efficacité des vaccins dont les résultats de phase 3 ont été communiqués ?
Pr Lelièvre : L’OMS a demandé que l’efficacité vaccinale soit de 50 % (Borne inférieure : 30 % ) sans effets indésirables graves deux mois après une vaccination sur au moins 3000 participants. Nous avons des premiers résultats d’essais de phase 3 communiqués par les firmes dont nous attendons les publications. Voici ce qui nous a été communiqué à ce stade :
Vaccin | Comparateur | N | Critère | Efficacité Communiquée par les laboratoires |
---|---|---|---|---|
Astra Zeneca/ Oxford (ChAd0X1) | Vaccin MenACWY | COV002 12390 (RU) | COV002 formes asymptomatiques ou sympto. (PCR/semaine) | COV002 Régime demi-dose puis pleine dose (2741 sujets) efficacité 90 % |
COV003 10300 (Brésil) | COV003 : Formes symptomatiques | COV003 : (8895 sujets) : efficacité 62 % | ||
Moderna ARNm de la protéine Spike | placebo | 30 000 | 95 cas de Covid dont 90 dans le bras placebo, pas de forme sévère dans le bras vaccin Efficacité 94,5 % (p<0,0001) Pas d’EIG |
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Pfizer/ BioNtech ARNm de la protéine Spike | placebo | 43 000 | 170 cas de COVID-19 : 162 dans le groupe placebo, pas de forme sévère dans le bras vaccin Efficacité 95 % (p<0,0001) Pas d’EIG |
Que sait-on à ce stade de la durée immunité conférée par les vaccins ?
Pr Lelièvre : Le recul dont nous disposons porte sur les essais de phase 1 et 2 qui ont été faits précocement dès les mois d’avril/mai pour certains des candidats vaccins. Il semble d’après ce qu’ont communiqué les firmes que les anticorps neutralisants induits par ces vaccins persistent sur une durée d’au moins 6 mois. Mais, encore une fois, nous attendons de voir les données publiées.
Peut-on attendre des effets secondaires différents de ceux observés habituellement avec les vaccins ARN ?
Pr Lelièvre : Ce type de vaccin est développé depuis des dizaines d’années dans d’autres pathologies (vaccination antitumorale notamment) et nous n’avons pas vu d’effets indésirables notables.
Aussi, dans le cas du SARS-CoV-2, nous manquons de recul mais les laboratoires n’ont pas été rapporté d’événements indésirables graves qui soient liés à ces vaccins sur les dizaines de milliers de personnes qui ont été vaccinées. Nous attendons les publications.
Notons aussi que ces vaccins n'ont pas d'adjuvant.
Les rumeurs colportées sur le fait que ces vaccins peuvent s’intégrer au sein du génome humaine sont fausses. C’est impossible avec de l’ARN.
Les vaccins dont nous parlons peuvent-ils induire des anticorps dit facilitants et donc une réaction paradoxale ?
Pr Lelièvre : Pour rappel, les anticorps facilitants sont des anticorps qui peuvent aggraver l’infection de manière paradoxale. Dans ce cas, outre leur action contre la réplication du virus, les anticorps sont capables de favoriser la pénétration d’un virus dans les macrophages. Un phénomène qui induit une inflammation (orage cytokinique). Ce type d’anticorps facilitants a été retrouvé essentiellement dans les modèles animaux avec le SARS-CoV (le premier). Dans un modèle de vaccin anti-SARS-CoV utilisant la protéine Spike, il a été observé une protection contre la réplication du virus mais aussi une aggravation de la maladie, notamment des lésions pulmonaires, chez le singe. Il y avait donc des inquiétudes sur le fait qu’il existe un tel phénomène avec le SARS-CoV-2 puisque les deux virus sont très proches. Mais, pour l’instant, depuis que nous nous intéressons au SARS-CoV-2, nous n’avons pas observé ce phénomène y compris chez les animaux. Aussi, de ce que l’on sait des essais cliniques de phase 3, le vaccin protège bien des formes sévères de la maladie alors que s’il y avait ce type d’effet nous verrions une protection contre les formes modérées mais davantage de formes sévères. Si cet effet existe au cours de l’infection contre le SARS-CoV-2, il est véritablement très marginal.
Concernant l’immunité collective : une personne vaccinée pourra-t-elle tout de même être infectée et transmettre le virus ?
Pr Lelièvre : La vaccination contre la maladie Covid-19 a deux objectifs. D’une part, protéger contre la maladie et/ou les formes sévères de la maladie mais aussi limiter l’infection et donc la transmission du virus. A ce stade, même si l’on attend toujours la publication des résultats de études, il semble que plusieurs vaccins candidats soient efficaces sur les symptômes de la maladie. Mais qu’en est-il de leur efficacité contre le développement du virus dans l’organisme et le risque de transmission à une autre personne ? A ce stade, les essais de phase 3 ne répondront pas à la question de l’action du vaccin contre l’infection/transmission du virus car il n’a pas été fait de prélèvements ORL systématiques après vaccination pour voir si l’on retrouvait du virus qui puisse se propager.
Tout au plus, en ce qui concerne les vaccins ARNm de la protéine spike, si l’on retrouve chez une personne des anticorps contre d’autres parties du virus, on pourra imaginer qu’elle a été infectée par le virus et donc potentiellement en capacité de transmettre le virus à ce moment là.
En revanche, les données animales peuvent nous apporter quelques précisions. Chez le singe, il a été montré que pour certains des vaccins étudiés, la protection au niveau des voies aériennes supérieures (là où le virus se réplique le plus) était parfois partielle, avec donc un risque de transmission possible après vaccination.
La protection au niveau du poumon était, elle, généralement complète, montrant ainsi une protection contre la maladie et ses formes graves chez l’animal.
Théoriquement, pour limiter au maximum la transmission, les vaccins oraux, qui sont en cours de développement contre le SARS-CoV-2 seraient intéressants car ils confèreraient plus facilement une immunité directement au niveau des muqueuses des voies aériennes supérieures, là où le virus se multiplie.
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Citer cet article: Vaccins contre le SARS-CoV-2 : ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas - Medscape - 4 déc 2020.
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