La psilocybine procure un soulagement «notable» dans la dépression sévère

Batya Swift Yasgur

Auteurs et déclarations

2 décembre 2020

New-York (Reuters) — La psilocybine, le composant psychédélique présent dans les champignons hallucinogènes, améliore les symptômes et entraine une rémission en deux sessions seulement chez les patients souffrant de dépression majeure, selon une nouvelle étude publiée dans le JAMA Psychiatry[1]. Elle vient à ce titre d’être légalisée dans l’Oregon (voir encadré).

« Un résultat assez remarquable et gratifiant »

Les résultats d’une petite étude randomisée montrent qu’un traitement par psilocybine est associé avec une réduction de plus de 50% des symptômes dépressifs des participants à l’étude. De plus, 71% ont montré une amélioration sur un suivi de 4 semaines, avec plus de 50% des patients en rémission.

« Le fait que le traitement a été efficace chez une majorité des gens que nous avons traités est un résultat assez remarquable et gratifiant et constitue une étape pour la psilocybine dans la dépression majeure » affirme Roland Griffiths (faculté de médecine Johns Hopkins, Baltimore), chercheur et investigateur senior de l’étude, dans un communiqué.

« Peut-être que l’aspect le plus excitant de cette nouvelle thérapie est que la psilocybine fonctionne en une seule ou quelques sessions et que les effets perdurent par la suite. Alors que la plupart des traitements classiques sont donnés de façon chronique et ont aussi des effets indésirables » ajoute le chercheur, qui est aussi le directeur du centre Johns Hopkins de recherches sur la conscience et les psychédéliques.

De plus en plus de preuves

Des études ont précédemment rapporté que la psilocybine améliore les symptômes dépressifs chez les patients atteints de cancer. Néanmoins, la dépression de ces patients peut être vue comme une « réaction » à leur pathologie invalidante, explique Roland Griffiths.

« Cette étude a été bâtie en s’appuyant sur cette précédente recherche et en se demandant, est-ce que la psilocybine est efficace chez les patients qui souffrent de dépression majeure, ce qui est une population beaucoup plus vaste ».

De plus, les précédentes études sur la psilocybine n’avaient pas de groupe contrôle, a expliqué Alan Davis (unité de recherche sur les psychédéliques, Université Johns Hopkins), le premier auteur de l’article à Medscape Medical News.

Dans l’étude, 24 individus (âge moyen : 39,8 ans [DS : 12,2 ans] ; 67% de femmes) qui présentaient un épisode dépressif modéré à sévère ont été randomisés pour recevoir soit un traitement immédiat (IT) où la psilocybine a été administrée en deux fois, à 1,6 semaine d’écart en moyenne (N=13), soit un traitement retardé après 8 semaines qui a servi de groupe contrôle (DT) (N=11).

Les patients souffraient d’une dépression de longue date, avec une moyenne de 22,4 mois pour l’épisode dépressif en cours. Il leur était demandé de n’utiliser aucun antidépresseur pendant les 4 semaines qui précédaient l’inclusion et jusqu’à 4 mois après l’inclusion dans l’étude.

Les patients devaient aussi être stables d’un point de vue médical ; n’avoir aucun antécédent personnel ou familial de troubles bipolaires ou psychotiques ; et pas d’utilisation récente ou substantielle de kétamine ou d’autres produits hallucinogènes.

Leur dépression a été mesurée en utilisant l’interview clinique structurée pour le DSM-5 et l’échelle de graduation de la dépression GRID-Hamilton (GRID-HAMD). Un score à l’inclusion ≥ 17 était requis pour l’inclusion.

Les patients ont bénéficié de 8 réunions préparatoires avant la première session de psilocybine, puis de 2 à 3 heures de suivi après. Ils ont reçu de plus 13 séances de psychothérapie.

Les participants du groupe « retardé » ont vu leurs symptômes dépressifs évalués de façon hebdomadaire pendant les 8 semaines qui ont précédé le traitement.

Des résultats en faveur de la psilocybine

A 1 et 4 semaines après la seconde administration de psilocybine, les participants du groupe IT (traitement immédiat) avaient des scores de dépression mesurés sur l’échelle GRID-HAMD significativement abaissés comparés aux patients du groupe contrôle « retardé » aux semaines correspondantes.

Groupe

Valeur à l’inclusion (DS)

Semaine 5 (DS)

Semaine 8(DS)

IT

22,9 (3,6)

8,0 (7,1)

8,5 (5,7)

DT

22,5 (4,4)

23,8 (5,4)

23,5 (6,6)

De plus, les effets « taille » à la semaine 5 et 8 étaient « vastes » (d = 2,2; IC95% : 1,4 – 3,0; et d = 2,6; IC95% : 1,7 – 3,6, respectivement).

Une analyse des résultats a montré que pour les 24 participants, à 1 et 4 semaines suivant l’intervention avec la psilocybine, 67 et 71% des participants, respectivement, ont eu une « réponse clinique significative » aux symptômes dépressifs ; 60 et 56%, respectivement, ont rempli les critères de rémission.

Et de plus, les participants n’ont pas expérimenté d’effets indésirables sérieux.

Combinaison de psychothérapie et de psilocybine

Alors que Roland Griffiths s’est dit « surpris » par ces très bons résultats, Alan Davis, de son côté, parle d’un effet du traitement qui serait « environ 4 fois plus important que celui retrouvé dans les études sur les antidépresseurs ».

Il insiste aussi sur le fait que la psychothérapie est un composant « essentiel » du protocole de l’étude. « Il semble que ce soit la combinaison de psychothérapie et de psilocybine qui rende le traitement si efficace, et que ce traitement devra toujours s’accompagner d’une psychothérapie et qu’il ne sera jamais validé en tant que traitement unique ».

Dans un commentaire pour Medscape Medical News, le Dr Collin Reiff (service de psychiatrie, faculté de médecine Grossman, New York City) remarque que, du fait que les substances psychédéliques sont toujours stigmatisées, la publication de cette étude dans l’un des journaux de psychiatrie avec le plus haut « impact factor » suggère que la recherche sur les psychédéliques sort de sa niche et que la communauté psychiatrique académique commence à s’y intéresser. Il s’agit selon lui d’un « point de bascule ».

La psilocybine connait une « renaissance et n’est plus regardée avec autant de scepticisme, néanmoins, il est important de prendre son temps pour faire cette recherche afin de ne pas répéter ce qu’il s’est passé dans les années 60 » ajoute-t-il.

L’Oregon légalise les champignons hallucinogènes

Les substances psychédéliques ont tellement le vent en poupe aux Etats-Unis que l’Oregon devient à légaliser les champignons hallucinogènes au niveau de tout un état [2]. Depuis le 4 novembre, la « mesure 109 » donne un accès légal à la psilocybine des « champignons magiques » dans le cadre d’un traitement de santé mentale supervisé. Les supporters de la mesure ont pointé les études faisant état des bénéfices de la molécule dans le champ du stress post-traumatique. Dans la foulée, l’Oregon a aussi légalisé la possession de petites quantités de drogues dures, comme l’héroïne ou le LSD. D’autres états américains suivent le mouvement. Ainsi l’état de Columbia a, non pas légalisé, mais, dans un premier temps, décriminalisé l’utilisation de champignons hallucinogènes, et d’autres substances psychédéliques comme les ingrédients actifs de l’ayahuasca et du peyotl. Interrogée, l’American Psychological Association a fait savoir par un porte-parole qu’elle n’avait pas de position sur la légalisation ou la décriminalisation des drogues psychédéliques. SL

Cette recherche a été financée via une campagne de crowdsourcing organisée par Tim Ferris, ainsi que par des bourses de la Fondation Riverstyx.

L’article a été publié initialement sur Medscape.com sous le titre Psilocybin Delivers 'Remarkable' Relief in Severe Depression. Traduit et complété par Stéphanie Lavaud.

 

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