Migraineux sévères privés de traitements innovants : médecins et patients dénoncent la situation

Catherine Moréas

Auteurs et déclarations

26 novembre 2020

France – Trois anticorps monoclonaux sont autorisés en France dans la migraine sévère, mais les négociations sur leur prix restent au point mort. Neurologues et patients dénoncent cette situation qui contraint certaines personnes à payer de leur poche 500 euros par mois.

Trois anticorps s’administrent en auto-injection mensuelle

Les trois anticorps monoclaux indiqués dans le traitement de la migraine sévère ne sont toujours pas disponibles en France, alors qu’on peut se les procurer chez certains voisins européens (Allemagne, Suisse, Espagne, Italie, Luxembourg). L’érénumab, le frémanezumab et le galcanézumab ont, pourtant, obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) en bonne et due forme en France. Aimovig (l’érénumab) du laboratoire Novartis bénéficie d’une AMM depuis 18 mois. Les deux autres Emgality (galcanézumab) du laboratoire Lilly et Ajovy (frémanezumab) du laboratoire Teva ont reçu le coup de tampon courant 2020.

L’AMM française est plus restrictive que les autorisations européenne et américaine puisqu’elle limite la prescription aux patients souffrant de migraine plus de huit jours par mois (au lieu de quatre jours dans les AMM européenne et américaine), après échec d’au-moins deux traitements de fond classiques (bêtabloquant, topiramate, amitriptyline…).

Ces trois anticorps s’administrent en auto-injection sous-cutanée, dans la

cuisse, une fois par mois. Les doses doivent être conservées au réfrigérateur à 4°. Prescrits par un neurologue, ils ont montré (avec un recul de quelques années) peu d’effets secondaires, essentiellement une douleur au point d’injection et une constipation passagère. 

Une nouvelle approche

Les trois produits ont le même mécanisme d’action. Ils ciblent le CGRP (calcitonin gene-related peptide), un neuromédiateur libéré par le nerf trijumeau au cours de la crise migraineuse. « C’est cette molécule qui est responsable de la douleur », explique le Pr Anne Ducros, neurologue au CHU de Montpellier et présidente de la Société française migraines et céphalées.

Mais ce CGRP est aussi un puissant vasodilatateur, libéré naturellement par l’organisme lors d’un accident ischémique. C’est la raison pour laquelle, les anticorps anti-CGRP sont contre-indiqués chez les patients qui ont des antécédents cardiovasculaires (infarctus du myocarde, AVC, hypertension artérielle sévère non-contrôlée, artérite des membres inférieurs…).

Espoir déçu pour les migraineux

Ces médicaments représentent un réel espoir pour les migraineux que rien ne soulage. La Commission de la transparence de la Haute autorité de santé estime que 16 800 personnes sont concernées. C’est peu par rapport aux 12 à 15 millions de migraineux français. Mais ces patients sont « désespérés », n’hésite pas à dire le Pr Ducros. « Ils n’ont pas de vie et n’ont pas attendu le confinement pour être confinés. La migraine est la maladie qui impacte le plus la qualité de vie chez les moins de 50 ans. Tous âges confondus, elle arrive en deuxième position derrière la lombalgie », ajoute-t-elle.

Jusqu’en juin dernier, le laboratoire Novartis avait, à titre compassionnel, mis à disposition l’érénumab. Un suivi effectué au CHU de Nice sur 160 patients a montré que « 7 personnes sur 10 ont une réponse au-moins partielle à ce traitement », assure la neurologue. Certains patients sont passés de 30 à 18 jours de migraine par mois. Or, l’opération promotionnelle s’est achevée en laissant ces personnes sans solution, puisque ces médicaments ne sont toujours pas disponibles en pharmacie.

Un blocage sur le prix

Le 5 octobre dernier, la Société française d’études des migraines et céphalées et la Fédération française de neurologie ont adressé un courrier au ministre de la Santé pour dénoncer cette situation. En parallèle, l’association de patients La voix des migraineux a écrit elle aussi à Olivier Véran. À ce jour, ces appels sont restés sans réponse.

Neurologues et patients dénoncent le blocage des autorités sanitaires. En effet, la Commission de la transparence de la Haute autorité de santé a rendu un avis favorable au remboursement des trois anticorps, proposant un taux de 30 % pour l’érénumab et le frémanezumab, et une prise en charge à hauteur de 65 % pour le galcanézumab. Mais, cette même commission a également estimé qu’il n’y avait pas d’amélioration du service médical rendu (ASMR 5) avec ces trois molécules. Or, cet élément est pris en compte par le Comité économique des produits de santé dans la fixation du prix des médicaments. Cet ASMR 5 est justifié par l’absence de données comparatives avec les traitements de fond classiques. Le prix proposé se base donc sur les médicaments disponibles actuellement, de l’ordre de 10 euros par mois. On comprend mieux pourquoi les discussions avec les laboratoires ont tourné court. « En Suisse, une injection d’érénumab est vendue entre 500 et 520 euros. Il est un peu moins cher en Allemagne et au Luxembourg », constate la neurologue.

Déblocage en vue ?

La situation pourrait, néanmoins, se débloquer puisque Novartis vient d’annoncer, lundi 2 novembre, des résultats de phase IV dans l’essai randomisé en double aveugle HER-MES montrant la supériorité en terme de tolérance et d’efficacité de l’érénumab par rapport au topiramate, un antiépileptique couramment prescrit en traitement de fond de la migraine.

Le Pr Ducros annonce qu’elle va envoyer un nouveau courrier au ministère de la Santé pour l’informer de ces nouvelles données et lui demander d’en tenir compte.

En attendant, elle et ses collègues décrivent des situations « intolérables » où, des patients puisent dans leur épargne et organisent des cagnottes familiales pour aller acheter leur médicament hors de l’Hexagone, à prix d’or. « Nos consultations se concluent maintenant par une phrase que nous n’aurions jamais imaginé prononcer : « Avez-vous 500 euros par mois pour aller acheter votre traitement ? », écrivent le Pr Anne Ducros et son homologue, le Dr François Sellal, président de la Fédération française de neurologie, dans leur lettre du 5 octobre. 

 
Avez-vous 500 euros par mois pour aller acheter votre traitement ? Dr François Sellal
 

Tous deux ne cachent pas leurs liens d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique (ceux-ci sont indiqués en bas de la lettre), mais estiment nécessaire de donner à leurs patients migraineux « les meilleurs soins possibles, selon les données scientifiques factuelles, et sans discrimination par le niveau de revenu. »

 

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