Virtuel — Les maladies inflammatoires chroniques sont associées à un risque cardiovasculaire d’origine ischémique très variable d’une pathologie à l’autre. C’est ce que rapporte une large étude observationnelle américaine, dont les résultats ont été présentés lors du congrès virtuel de l’American Heart Association (AHA 2020)[1]. Le risque de développer une maladie coronarienne est particulièrement élevé chez les patients atteints de lupus érythémateux disséminé, qu’importe le niveau de l’inflammation.
La polyarthrite rhumatoïde, le psoriasis et l’infection par le VIH sont considérées, dans les recommandations de l’AHA et de l’American College of Cardiology (ACC) comme les maladies inflammatoires à risque d’athérosclérose, a rappelé le Dr Arjun Sinha (Northwestern University, Chicago, Etats-Unis), lors de sa présentation. Le lupus érythémateux n’y est pas cité, alors que le risque d’infarctus du myocarde associé apparait presque cinq fois plus élevé dans cette nouvelle étude.
Pour évaluer le risque d’athérosclérose et de maladie cardiovasculaire de type ischémique chez les patients atteints d’une maladie inflammatoire chronique, le Dr Sinha et ses collègues ont effectué une analyse rétrospective des données de plus de 37 000 patients pris en charge de 2000 à 2019 à l’hôpital universitaire Northwestern Mémorial Hospital, à Chicago.
Six maladies inflammatoires évaluées
Leur étude a porté sur six types de maladies inflammatoires chroniques: la polyarthrite rhumatoïde, le psoriasis, l’infection par le VIH, le lupus érythémateux, la sclérodermie systémique et les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI). Au total, 18 129 patients avaient l’une de ces pathologies. Aucun ne présentait de maladie cardiovasculaire à leur admission à l’hôpital.
Au cours d’un suivi d’une durée médiane de 3,5 ans, 1 011 évènements cardiovasculaires ont été recensés dans la cohorte. Après une analyse multivariée, prenant notamment en compte l’influence de l’hypertension, du tabagisme, du diabète ou encore de la fonction rénale, les chercheurs ont pu évaluer le risque de maladie coronaire et d’infarctus du myocarde pour chaque pathologie, en comparaison avec les patients non touchés par ces maladies. Les résultats sont les suivants:
lupus érythémateux: HR= 2,85 pour la maladie coronaire, HR= 4,76 pour l’infarctus du myocarde
sclérose systémique: HR= 2,14 pour la maladie coronaire, HR= 3,19 pour l’infarctus du myocarde
Infection par HIV: HR= 1,38 pour la maladie coronaire, HR= 1,69 pour l’infarctus du myocarde
Polyarthrite rhumatoïde: HR= 1,22 pour la maladie coronaire, HR= 1,45 pour l’infarctus du myocarde
Psoriasis: risque non significatif
MICI: risque non significatif
Le risque d’infarctus du myocarde apparait ainsi près de cinq fois plus élevé chez les patients atteint de lupus érythémateux disséminé. Lors du congrès EULAR de 2017, une équipe française avait rapporté un risque huit fois plus élevé de développer une athérosclérose au niveau carotidien chez ces patients.
En cas de lupus érythémateux, « le risque cardio-vasculaire est comparable à celui observé dans la population diabétique », avait alors souligné l’auteur principal de l’étude française, le Dr Karim Sacre (Hôpital Bichat-Claude-Bernard, AP-HP, Paris). Selon lui, les pathologies cardiovasculaires sont les principales causes de mortalité chez ces patients.
Dans la nouvelle étude, la sclérodermie systémique apparait comme la deuxième pathologie inflammatoire associée au risque cardiovasculaire d’origine ischémique le plus élevé. Pour rappel, la sclérodermie est une maladie inflammatoire affectant le tissu conjonctif, tandis que le lupus érythémateux se traduit par des atteintes tissulaires diverses, notamment au niveau rénal ou artériel.
Résultats contradictoires pour les MICI
Dans le cas des MICI, associés à un risque non significatif dans l’analyse américaine, les résultats apparaissent contradictoires par rapport à ceux récemment rapportés lors des JFHOD de 2019 par une autre équipe de chercheurs français. Dans leur analyse des données de l’assurance maladie portant sur 170 000 patients atteints de MICI, ils ont montré que le risque cardiovasculaire est augmenté de 20% chez ces patients.
Dans l’étude américaine, l’équipe a également évalué l’évolution du risque cardiovasculaire en fonction du niveau de gravité de la maladie inflammatoire, déterminé selon le taux de protéine C réactive, un marqueur de l’inflammation, ou de lymphocytes CD4, dans le cas de l’infection par le VIH.
Parmi les 5 000 patients atteints de psoriasis, le risque de maladie cardiovasculaire ischémique n’a pas évolué en fonction le niveau de sévérité. En revanche, ce risque évolue avec une tendance à la hausse dans le tiers des patients atteints de MICI présentant les plus hauts niveaux de protéine C réactive. Il en est de même pour les patients ayant une infection par le VIH plus avancée.
Mieux comprendre les mécanismes en jeu
Chez les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde et de sclérose systémique, le risque de maladie cardiovasculaire est augmenté de manière significative dans le tercile supérieur des valeurs de protéine C réactive, avec un risque accru de maladie coronaire multiplié respectivement par 2,11 et 4,59. Le risque n’apparaît pas accru dans les deux terciles inférieurs par rapport au groupe contrôle.
En ce qui concerne le lupus érythémateux, le risque de maladie coronarienne est augmenté, qu’importe le niveau de l’inflammation. Dans le tercile des taux les plus bas de protéine C réactive, les patients ont un risque de maladie coronaire 3,17 fois plus élevé. Ce risque est multiplié par 5,38 dans le tercile supérieur et par 4,04 avec les niveaux les plus élevés.
Ces résultats pourraient s’avérer utiles en pratique clinique pour affiner l’évaluation du risque cardiovasculaire d’origine ischémique selon la maladie inflammatoire et son niveau de gravité, estime le cardiologue. Une meilleure évaluation du risque permettrait d’adapter les traitements pour prévenir le risque cardiovasculaire chez ces patients.
Selon le Dr Sinha, les études sur le risque cardiovasculaire associé aux différentes maladies inflammatoires permettent aussi de mieux comprendre les mécanismes non lipidiques impliquées dans le développement de l’athérosclérose. « Chacune de ces maladies activent des voies inflammatoires spécifiques », à travers divers dysfonctionnements du système immunitaire, explique-t-il.
Des pistes de recherche thérapeutique ?
Par exemple, dans le cas du lupus érythémateux, cette maladie inflammatoire est caractérisée par une formation accrue de NETs(Neutrophils Extracellular Traps) nécessaire à l’élimination des pathogènes par les polynucléaires neutrophiles. Or, les NETs sont connu pour favoriser l’athérosclérose et une dysfunction endothéliale. Ils ont également un effet sur la thrombose.
Dans une autre analyse, le Dr Sinha et son équipe ont remarqué que les patients atteints d’un lupus érythémateux avec un niveau de neutrophiles au-dessus de la valeur médiane ont une risque de maladie coronarienne deux fois plus élevé que ceux ayant des taux de neutrophiles sous la valeur médiane.
« Une meilleure compréhension des liens entre la formation de NETs et le développement de l’athérosclérose pourrait conduire à orienter ou à développer des traitements ciblant ces dysfonctionnements immunitaires spécifiques afin de réduire l’athérosclérose », a affirmé le Dr Sinha.
Le cardiologue a participé à plusieurs études évaluant le risque cardiovasculaire à partir d’une large cohorte de patients admis au Northwestern Mémorial Hospital. L’une d’elles a montré que la sclérodermie systémique et lupus érythémateux sont les maladies inflammatoires associés au plus haut risque d’insuffisance cardiaque [2]. Celui-ci est multiplié respectivement par 7,3 et par 3,1.
Cet article est une adaptation par Vincent Richeux de l’article Chronic Inflammatory Diseases Vary Widely in CHD Risk publié sur Medscape.com.
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Citer cet article: Maladies inflammatoires chroniques : un risque CV variable d’une pathologie à l’autre - Medscape - 23 nov 2020.
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