Coronaropathie chez la femme : quelles nouveautés ?

Pr Florence Leclercq, Dr Catherine Szymanski

Auteurs et déclarations

21 janvier 2021

Quelles sont les spécificités de la maladie coronarienne chez la femme ? Quid de l’infarctus sans lésion coronaire athéromateuse dont la sémiologie et la recherche étiologique sont spécifiques chez les femmes ? Quels suivis envisager selon les étapes de la vie ― contraception, grossesse, ménopause ? Le point sur l’actualité récente avec le Pr Florence Leclercq et le Dr Catherine Szymanski.

TRANSCRIPTION

Catherine Szymanski — Bonjour et bienvenue sur Medscape, je suis Catherine Szymanski, cardiologue à l’hôpital Ambroise-Paré et j’ai le plaisir d’interroger Florence Leclercq, qui est professeure de cardiologie au CHU de Montpellier.

Pr Leclercq, vous avez participé à la session « Cœur de femmes » aux Journées Européennes de la Société Française de Cardiologie (eJESFC 2021), qui ont eu lieu ce week-end. Première question : qu’est-ce qui distingue la maladie coronarienne chez la femme versus chez l’homme ?

Maladie coronarienne : les différences hommes-femmes

Florence Leclercq — La maladie coronarienne de la femme a des points communs avec celle de l’homme. Tout d’abord, c'est bien la première cause de mortalité chez la femme. On a souvent l’impression que les femmes meurent plus du cancer du sein que de maladies cardiaques, or ce n’est pas le cas. Globalement, on estime que les femmes meurent quatre à six fois plus de maladies cardiovasculaires que les hommes. Ceci étant dit, il y a quelques particularités chez la femme :

  1. Les femmes sont atteintes de cette maladie coronarienne globalement 10 ans plus tard que les hommes ;

  2. Les symptômes d’appel sont souvent différents de ceux de l’homme, ce qui contribue à un certain retard diagnostique des maladies cardiovasculaires, notamment coronariennes, chez la femme. La douleur typique, telle qu’elle est décrite chez l’homme ― angineuse, constrictive ― n’est finalement présente que dans moins d’1 cas sur 2 chez la femme, ce qui fait que le diagnostic peut être retardé, et la prise en charge sera, en général, moins bonne ;

  3. Les femmes ont une maladie coronarienne différente en termes anatomiques et les lésions coronariennes sont souvent moins étendues que chez les hommes. On a fréquemment des symptômes coronariens avec des artères coronaires qui sont normales, ce qui fait que certaines caractéristiques de cette pathologie font qu’elle est moins grave que chez l’homme – moins grave, mais pas moins invalidante parce que souvent ces symptômes gâchent, en quelque sorte, la vie de la femme, quand c’est de l’angor, et sans qu’on ait de traitement très efficace à proposer ;

  4. Les syndromes coronariens aigus de la femme sont fréquents, se présentant plutôt comme des syndromes coronariens aigus ST – que ST+, mais avec une gravité qui est probablement plus importante que chez l’homme probablement du fait du retard diagnostique dont on a parlé précédemment et qui fait que lorsqu’on découvre la maladie au stade de syndrome coronarien aigu, les lésions sont souvent plus sévères et la prise en charge parfois un peu plus difficile.

 
Les femmes meurent 4 à 6 fois plus de maladies cardiovasculaires que les hommes. Pr Florence Leclercq
 

Catherine Szymanski — Donc les maîtres mots sont le retard diagnostique et l’atypie des symptômes. Il y a aussi une entité récente dont on parle ces dernières années, c’est l’infarctus sans lésions athéromateuses. Pourriez-vous nous en dire plus ? C’est, je suppose, une caractéristique féminine.

L’infarctus sans lésions athéromateuses

Florence Leclercq — L’infarctus sans lésions coronaires athéromateuses, qui a été défini dans les dernières recommandations sur le ST+ comme le MINOCA, donc des lésions minimales sans lésions sévères ou artères coronaires normales, n’est pas spécifique à la femme, mais beaucoup plus fréquent chez la femme que chez l’homme. C’est-à-dire que face à un tableau clinique de syndrome coronarien aigu, on retrouve beaucoup plus fréquemment chez la femme des coronaires normales ou sans lésions coronariennes significatives, que chez l’homme. Ce tableau clinique correspond à différentes entités. Il peut s’agir d’une authentique maladie athéromateuse non significative ou il peut également s’agir de causes non ischémiques — on va retenir notamment un tableau clinique très particulier qui est le syndrome de Takotsubo et qui est vraiment extrêmement fréquent chez la femme et assez rare chez l’homme.

 
On retrouve beaucoup plus fréquemment chez la femme des coronaires normales ou sans lésions coronariennes significatives. Pr Florence Leclercq
 

On peut avoir d’autres tableaux cliniques, également non ischémiques, tels que les myocardites, qui se présentent apparemment comme des syndromes coronariens aigus, mais avec des coronaires normales. Et chez la femme, soit des lésions coronariennes non significatives, soit une entité particulière qui est le spasme microvasculaire ou l’angor vasospastique, peuvent donner des tableaux de syndrome coronarien aigu avec une authentique élévation de la troponine et pas de lésions coronariennes.

Ce syndrome dit MINOCA se diagnostique d’abord avec une coronarographie qui montre l’absence de lésions serrées, et l’examen clé pour affirmer ce diagnostic est l’IRM cardiaque, qui doit être faite systématiquement devant tout syndrome coronarien aigu sans lésions coronariennes significatives. L’IRM va permettre d’affirmer l’origine ischémique, éliminant toutes les causes non ischémiques, et va permettre également d’avancer dans le diagnostic étiologique. D’autres examens pourront être faits dans un deuxième temps pour essayer de trouver la cause de ce MINOCA et on a recours volontiers à des examens comme l’OCT — c’est-à-dire l’imagerie endocoronaire — à la recherche de plaques athéromateuses rompues qui auraient pu être à l’origine du syndrome coronarien aigu ou encore de tests fonctionnels comme la FFR pour essayer de prouver une anomalie de la microcirculation à l’origine du syndrome coronarien aigu. Il est important de trouver l’origine de ce syndrome coronarien parce que le traitement en découle. Il est évident que si on trouve des lésions coronaires non significatives, le traitement va être le même que celui d’un syndrome coronarien aigu standard. Le but est d’empêcher l’évolution de la progression des lésions coronariennes. Inversement, si on a un angor vasospastique ou une atteinte microvasculaire, le traitement sera plutôt centré sur le traitement vasodilatateur. En troisième lieu, si on a un syndrome de Takotsubo, le traitement va être préventif — éviter les situations de stress qui peuvent entraîner une atteinte myocardique, mais qui n’a rien à voir avec une atteinte coronarienne. Donc c’est important, quand on a un syndrome coronarien aigu sans lésions significatives, de bien faire le diagnostic étiologique. Et c’est souvent cette situation qu’on va rencontrer chez la femme, en tout cas beaucoup plus souvent que chez l’homme, sans que le pronostic soit meilleur. Que ce soit en termes de pronostic vital ou même en termes de pronostic fonctionnel, ce sont des femmes qui vont souvent garder des douleurs si on n’a pas fait le diagnostic étiologique comme il le faut.

Catherine Szymanski — D’accord. On comprend cette sémiologie et cette recherche étiologique qui sont assez spécifiques à la femme, et comme vous le précisez, avec des étiologies qu’on rencontre beaucoup plus volontiers chez la femme, tels que le Takotsubo, par rapport à l’homme.

Contraception, grossesse, ménopause : des étapes "vulnérables" de la vie d’une femme en cardiologie ?

Catherine Szymanski — Et si on en revient à la vie de la femme, qu’est-ce qui la caractérise ? En quoi chacune des périodes — contraception, grossesse, ménopause — en font des périodes vulnérables ? Parce qu’on en a entendu parler, il y a eu des campagnes sur le cœur des femmes mettant l’accent, justement, sur ces trois principales périodes de sa vie. Que peut-on en retenir ?

Florence Leclercq — Avant la ménopause, il faut considérer la femme comme ayant potentiellement un risque de maladie cardiovasculaire si elle a des facteurs de risque d’athérome et le tabagisme, notamment chez la femme jeune ; c’est un facteur majeur d’infarctus du myocarde. Il a bien été montré dans les derniers registres FAST-MI français, qu’il y avait une augmentation de l’infarctus de la femme jeune lié à l’incidence du tabagisme, qui est vraiment particulièrement délétère chez la femme jeune, donc il faut y penser. Quand ce tabagisme est associé à une contraception œstroprogestative, cela va encore multiplier le risque. Donc il faut considérer la femme préménopausique comme à risque de maladie cardiovasculaire si elle a des facteurs de risque tels que le tabagisme, et éventuellement, une contraception associée. D’ailleurs, il est formellement déconseillé de donner une contraception œstroprogestative chez une femme tabagique à partir de 35 ans.

 
Il est formellement déconseillé de donner une contraception œstroprogestative chez une femme tabagique à partir de 35 ans. Pr Florence Leclercq
 

Le problème spécifique de la grossesse est intéressant, puisqu’elle peut être parfois un facteur qui va déclencher une maladie coronarienne, et il existe de plus en plus des syndromes coronariens aigus en cours de grossesse. Ceci est lié en partie à l’activation thrombotique au moment de la grossesse, qui est connue, qui est à l’origine également de la maladie veineuse thrombo-embolique, mais également de syndrome coronarien aigu, et avec un syndrome qui est très particulier, qui a été bien décrit, notamment par l’équipe de Clermont-Ferrand, qu’il existait des dissections coronariennes pendant la grossesse qui étaient à l’origine d’infarctus du myocarde. On en voit de plus en plus avec le recul de l’âge des grossesses, des femmes de 40-42 ans qui ont des grossesses, qui sont fumeuses et qui peuvent, à l’occasion de leur grossesse, faire un syndrome coronarien aigu et notamment un infarctus du myocarde.

La grossesse est également quelque chose qui revient à l’ordre du jour chez la femme parce qu’on s’est rendu compte que le déroulement de la grossesse pouvait avoir un impact sur la vie future et le risque cardiovasculaire futur. Et notamment, toutes les situations d’éclampsie, de prééclampsie, seraient associées, dans les 20 ans qui suivent, à un risque cardiovasculaire majoré. Donc je pense que quand on interroge une femme préménopausique ou ménopausique sur son risque cardiovasculaire, il faut probablement intégrer dans l’interrogatoire le déroulement des grossesses antérieures et le rajouter comme facteur de risque futur de maladies cardiovasculaires et, notamment, de syndrome coronarien aigu. C’est une notion relativement nouvelle et qui est intégrée de plus en plus pour évaluer spécifiquement les facteurs de risque de la femme.

 
Le déroulement de la grossesse peut avoir un impact sur le risque cardiovasculaire futur. Pr Florence Leclercq
 

Quand on arrive au moment de la ménopause, il y a toujours la grande controverse du traitement hormonal substitutif de la ménopause qui a longtemps été considéré, après avoir été jugé comme potentiellement bénéfique, comme plutôt délétère en termes de risque cardiovasculaire. On en revient un peu avec deux notions essentielles : c’est la notion de fenêtre de traitement qu’il faut avoir en tête, c’est-à-dire que quand vous introduisez un traitement hormonal substitutif sous forme d’œstrogènes percutanés, c’est-à-dire des œstrogènes naturels, quand vous les introduisez dans les 10 ans qui suivent le début de la ménopause, dans cette fenêtre-là il semblerait qu’il y ait même un facteur protecteur qui a été montré dans des études qui ont évalué la vasomotricité coronarienne et même sur des événements cliniques. Ces études récentes montrent que il y aurait probablement un bénéfice d’introduire ce traitement hormonal substitutif très précocement après la ménopause et pendant une dizaine d’années. Au-delà, probablement, le bénéfice est perdu. Donc il ne faut pas jeter à la poubelle le traitement hormonal substitutif, même s’il reste contre-indiqué à cause du risque thrombotique potentiel chez les femmes qui ont déjà eu un infarctus du myocarde. Je pense que chez une femme à la cinquantaine qui a des symptômes de préménopause et qui a un risque cardiovasculaire, quel qu’il soit, il ne faut pas lui refuser le traitement hormonal pour une courte période. Probablement, on arrivera à prouver dans quelques années que ce traitement est peut-être même bénéfique sur le risque vasculaire.

 
Il ne faut pas jeter à la poubelle le traitement hormonal substitutif, même s’il reste contre-indiqué en raison du risque thrombotique potentiel chez les femmes qui ont déjà eu un infarctus du myocarde. Pr Florence Leclercq
 

Catherine Szymanski — Merci beaucoup, Pr Leclercq pour ces éclaircissements et ces actualités sur le cœur et la coronaropathie chez la femme. 

Florence Leclercq — Merci à vous.

Discussion enregistrée le 19 janvier 2021

Direction éditoriale : Véronique Duqueroy

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