Jean-Pierre Usdin interroge Nicole Karam sur les études consacrées à la maladie coronaire et présentées au congrès de l’American Heart Association (AHA) 2020 :
HARP-MINOCA, qui permet, en associant OCT et IRM, d’affiner le diagnostic chez les femmes suspectes de MINOCA,
RAPID-CTCA qui ne parvient pas à démontrer le bénéfice du coroscanner dans le syndrome coronaire aigu (SCA),
et SCAPIS dans laquelle un simple questionnaire aide à identifier une coronaropathie silencieuse.
TRANSCRIPTION
Jean-Pierre Usdin — Bonjour, je suis le Dr Jean-Pierre Usdin, cardiologue à Paris, et j’ai le plaisir d’être virtuellement aux côtés du Dr Nicole Karam pour discuter du congrès de l’AHA qui vient de se terminer. Dr Karam, vous travaillez dans le service de cardiologie interventionnelle à l’hôpital Georges Pompidou, à Paris, vous êtes directrice de l’unité des valves cardiaques et maître de conférence.
Quels sont les sujets qui ont retenu votre attention et que vous souhaitez partager avec nous ?
Nicole Karam — Bonjour. Merci pour l’invitation. C’est un plaisir pour moi d’être là, même si ce n’est que virtuel. Je vais insister essentiellement sur les études qui concernent les coronaires. Il y en a eu trois qui étaient, de mon point de vue, particulièrement intéressantes.
HARP-MINOCA : l ’imagerie endocoronaire associée à l'IRM permet un diagnostic plus spécifique chez les femmes avec IDM et artères coronaires non obstructives.
Nicole Karam — L’étude qui me semble majeure et qui traite d’un sujet qui est très d’actualité, c’est HARP-MINOCA [NCT02905357]. En effet, chez beaucoup de femmes, il est difficile de savoir si elles ont fait ou non un syndrome coronaire ; elles ont des douleurs, peut-être des modifications électriques, une troponine etc… Et beaucoup de ces femmes sortent avec un diagnostic qui reste flou. C’est, pour ces patientes, une source de stress. Et pour leur prise en charge, on ne sait pas toujours quoi leur proposer — des statines, de l’aspirine ? Donc clairement c’est un sujet qui reste à explorer.
Dans l’étude HARP, on avait 301 femmes qui étaient suspectes de MINOCA [myocardial infarction with nonobstructive coronary arteries]. Il y avait un tableau évocateur et les chercheurs effectuaient soit de l’imagerie endocoronaire qui était l’OCT [optical coherence tomography], soit de l’IRM. Donc c’est assez nouveau – plutôt que de se contenter de dire aux patientes coronaires « on n’a pas d’obstruction, on s’arrête là », on pousse un peu plus loin. Donc l’OCT, à elle seule, a permis de trouver 46 % d’atteintes coupables, alors qu’on disait à la patiente « non, vous avez des artères normales ou presque ». Là, dans 46 % des cas, on leur dit « vous avez des signes de culpabilité au niveau de vos artères, vous avez une plaque rompue, vous avez un dédoublement de paroi ». C’est capital pour ces femmes et pour le diagnostic. L’autre outil qu’ils ont utilisé et qui était l’IRM a permis d’avoir trois scénarios :
25 % des femmes à qui on a dit, effectivement, « il n’y a rien à l’IRM. » Donc c’est déjà rassurant, parce que, si en plus l’OCT ne montre rien, on peut leur dire « ce n’était pas un syndrome coronaire, vous n’avez pas fait de MINOCA, vous n’avez pas fait d’infarctus. » Donc, imaginez le soulagement et le nombre de patientes qu’on va rassurer.
L’autre partie, c’était 25 %, on leur dit « vous avez une cardiomyopathie, mais par contre, ce n’est pas de l’ischémie. » Donc c’est un takostubo, c’est une myocardite, c’est un début de cardiopathie dilatée.... En tout cas, il y a une cardiopathie, mais ce n’est pas ischémique. Là aussi, c’est important parce que pour ce genre de patientes, plutôt que d’aller leur prescrire des statines, une prévention secondaire, on sait que ce n’est pas nécessaire, ce n’est pas le tableau.
Et le troisième cas de figure qui, aussi, est majeur, ce sont les causes ischémiques — et là on retrouve quand même 54 %. Donc c’est énorme, c’est plus de la moitié des cas où on leur dit « vous avez une cause et cette cause est ischémique. » Alors ce sera soit parce qu’on a trouvé à l’IRM un infarctus constitué — c’était 33 % des cas —, soit il y avait un segment qui est en train de dysfonctionner, comme s’il était hypoperfusé — c’était 21 %.
En fait, si on combine l’apport de l’IRM et l’apport de l’OCT, on donne une réponse à 84,5 % des femmes. Donc on peut leur dire « Madame, vous avez fait quelque chose de cardiaque » ou « vous n’avez pas fait un problème cardiaque. » Donc c’est magnifique. Il y a 16 % des patientes qui n’ont pas de certitude, mais on a une cause retrouvée dans 84,5 %.
Jean-Pierre Usdin — Deux questions viennent à l’esprit : 15 % de femmes vont ressortir avec un diagnostic qui est un point d’interrogation. Est-ce qu’on en revient un peu à ce qu’on appelait avant le syndrome X ? Et deuxièmement, l’OCT ayant un prix assez important, quid du coût ? Il va falloir quand même cibler ces patientes, parce que tout le monde n’a pas l’OCT dans son service. Est-ce que les ultrasons intraveineux restent d’actualité, aussi ?
Nicole Karam — Il y a 15 % des patientes chez qui on va dire « votre IRM est strictement normale, votre OCT est strictement normale. » Donc, a priori, on est presque capable de leur dire « vous n’avez pas fait d’événements cardiaques. » Donc je pense que, quand même, ce sont des patientes qu’on va rassurer — elles ont moins de « point d’interrogation » que les patientes qui sortaient avec une simple coro et un diagnostic non retrouvé.
En ce qui concerne l’échographie endocoronaire, cela n’a pas été testé dans cette étude qui a utilisé l’OCT. On sait qu’il n’y a pas d’étude qui a comparé, pour le moment, l’IVUS et l’OCT, donc on ne sait pas ce qui est mieux entre aller faire une échographie endocoronaire versus faire une OCT. En tout cas, ce qui est sûr, c’est que dans cette étude on ne l’a pas testé, on n’a pas comparé.
Dans les centres où on n’a pas d’OCT mais de l’IVUS, je pense que cela vaut le coup, quand même, de sortie son IVUS et de regarder ce qu’il en est. Pour la sécurité, on est de plus en plus confiant pour se dire « on va quand même sortir la machine d’IVUS, » on a un peu moins peur des dissections, même si c’est un risque qui existe, et l’importance (même si cela a un coût, même si on sort des cathéters) est pour le pronostic de ces femmes. Parce qu’une fois qu’on a émis un diagnostic … il y a deux tiers de femmes au total à qui on va dire si elles ont fait un événement coronaire et si c’est ischémique, et ces femmes auront une autre prise en charge. Donc on va éviter d’autres infarctus, on va éviter peut-être une insuffisance cardiaque ischémique. Au final, l’économie au long cours, elle y est. Même si dans cette étude on ne peut pas véritablement la tester.
Jean-Pierre Usdin — Et cela demande quand même une certaine dextérité de la part des opérateurs. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut, effectivement, donner comme ça. Le MINOCA est un pronostic qui est quand même assez péjoratif. C’est vrai qu’on a l’impression de toujours en parler, et il n’y a rien sur les artères coronaires. Effectivement, c’est quelque chose de très important.
Nicole Karam — Et je pense qu’il y a aussi l’aspect psychologique à prendre en compte.
RAPID-CTCA : pas de bénéfice du coroscanner dans les cas suspects de SCA de risque moyen à élevé
Jean-Pierre Usdin — Quelles sont les autres études marquantes, éventuellement sur les patients qui arrivent aux urgences et qui ont un syndrome coronarien plus ou moins aigu ? Est-ce qu’il y a quelque chose qui a été dit à ce congrès ?
Nicole Karam — Justement, pour rester dans les syndromes coronaires, l’autre étude interessante est RAPID-CTCA [NCT02284191]. Elle a inclus 1748 patients qui avaient un syndrome coronaire suspect — on n’était pas très sûr du diagnostic. Il y avait un critère — soit une troponine, soit un ECG anormal, soit un antécédent coronaire — qui faisait qu’on hésitait sur le diagnostic, en tout cas, on n’était pas complètement rassuré. Il y avait un tiers de femmes dans l’étude et le but était de voir si on les envoyant faire un coroscan, là, tout de suite, est-ce que cela avait un intérêt par rapport à une prise en charge plus classique, qui était de discuter du non invasif, tranquillement, à distance.
Le endpoint était les infarctus à 1 an. Pour le endpoint primaire, l’étude était un peu décevante parce qu’en pratique on avait 5,8 % d’événements (d’infarctus à 1 an) dans le groupe qui a eu son scanner, versus 6,1 % dans le groupe qui ne l’a pas eu, le p n’étant pas significatif — il est à 0,65. En gros, il n’y a pas véritablement de sécurité en termes d’infarctus. On n’a pas l’air d’éviter des infarctus. On fait un peu moins de coro – c’est normal parce qu’on est passé au scanner, donc on a un hazard ratio à 0,81, mais, en fait, techniquement, il n’y a pas de différence en revascularisation. Donc on fait un peu moins de coro diagnostique, mais, au final, on revascularise au même taux, parce qu’une fois qu’il y a une lésion, on la retrouve soit en non invasif, soit en scanner, soit en coro et, donc, au final cela revient au même.
L’autre problème, le endpoint étant négatif, est qu'on trouve quand même qu’il y a une élévation des coûts — dans les études américaines, c’est important, ils mettent tout de suite l’accent dessus. On a 8700$ versus 9400$, donc il y a quand même 700$ de différence entre les deux techniques. La médiane de séjour passe de 2 jours à 2,2 jours, donc c’est légèrement plus élevé en utilisant le scanner. Pour moi, c’était un peu surprenant parce que quand on a fait le scanner, on a envie de dire « on va avoir une sortie plus rapide, parce que ça y est, on a une bonne réponse, » mais en fait non — cela augmente la durée de séjour. Donc augmentation de coûts, de durée de séjour, pour pas beaucoup de bénéfice… donc je pense que ce n’est toujours pas ça pour le scanner dans les syndromes coronaires.
Jean-Pierre Usdin — C’est un peu différent de l’étude SCOT-HEART qui avait été faite, aussi, par des Écossais et qui avait marqué un point, mais là c’était dans l’angor stable, alors que dans RAPID-CTCA on est dans le service d’accueil des urgences. Cela fait aller le patient au coroscanner, puis en coronarographie. C’est vrai qu’on n’a pas l’impression que cela change quelque chose au point de vue événements. Personnellement, c’est ce que j’ai ressenti dans cette étude. Elle est donc plutôt négative dans ce sens-là.
Toujours dans la sphère des coronaires, qu’avez-vous noté au niveau de la prévention, de l’évaluation ?
SCAPIS : un simple questionnaire pour dépister une coronaropathie
Nicole Karam — Il y a l’étude SCAPIS . C’est un programme qui inclut 30 000 patients qui sont surveillés, qui ont des scanners, qui ont des IVUS, qui ont des bilans sanguins, des ECG. Les chercheurs ont pris environ 25 000 patients qui avaient entre 50 et 64 ans et on fait des scanners un peu systématiques. Donc ce sont des gens qui ne se plaignent pas de grand-chose et qui vont avoir des scans dans le cadre d’un dépistage. C’est très intéressant car ce sont des gens qui n’ont pas d’antécédents coronaires et on leur fait un scan un peu tranquille.
Ils ont trouvé dans 8/20, donc 42 % des patients, une coronaropathie méconnue et dans 1/20 (5,2 %) une coronaropathie sévère. Alors attention, "sévère" a été défini à plus de 50 %, donc ce n’est pas sévère, mais c’est une vraie coronaropathie qui existe chez ces patients. En fait, c’est très intéressant parce qu’on se rend compte que chez des individus soi-disant sains, on va quand même faire autant de diagnostics de coronaropathie — 42 % est quand même un chiffre énorme — que chez des patients qui vont avoir, quand même, des lésions. C’est très important pour la prévention secondaire, pour savoir comment cibler. Est-ce qu’on peut intégrer le coroscan, justement, dans les dépistages ?
L’autre partie est qu’ils ont intégré ces coroscans dans un algorithme d’intelligence artificielle et ils ont pu créer un score pour essayer de prédire quels sont les patients qui vont avoir des coronaropathies. En utilisant cet algorithme, ils ont créé ce score qui a une aire sur la courbe qui va être à 0,8, donc c’est un peu meilleur que le Framingham. Cela permet de prédire quels patients vont avoir des coronaropathies. Il y a une petite nuance, parce que le Framingham est supposé prédire des événements, pas des coronaropathies, donc là c’est un score qui va prédire les coronaropathies. En tout cas, c’est intéressant des deux côtés. D’une part cela nous donne encore un score pour pouvoir regarder qui va avoir des coronaropathies et cela replace scanner dans le cadre de la réflexion de « est-ce qu’on ne peut/doit pas l’intégrer plus souvent… »
Jean-Pierre Usdin — Et ce qui me paraissait intéressant dans cette étude, aussi, c’est qu’ils avaient un score qu’ils prenaient à la maison et un score qu’ils faisaient en clinique. ils posaient 120 questions, dont 100 à la maison, et dans ce score à la maison, ils s’apercevaient que l’index de masse corporelle et le tour de taille étaient des éléments qui étaient très en faveur d’une coronaropathie sévère ; dans le score clinique, il y avait le dosage du cholestérol et la prise de tension artérielle. Donc ce sont des patients qu’on peut éventuellement détecter à la maison d’après ce que j’ai pu comprendre dans l’étude. Qu’en pensez-vous ?
Nicole Karam — C’est exactement ça. C’est le côté intéressant. En fait, c’est aussi intéressant en ce qui concerne le diagnostic même du scanner que du dépistage. Cela va nous permettre de voir encore une fois, quand ils sont encore à la maison, parce que, bien sûr… on a envie de l’intégrer dans le système de prévention primaire. Mais on ne va pas, non plus, scanner tout le monde.
Jean-Pierre Usdin — Oui, bien sûr.
Nicole Karam — Donc le fait qu’ils aient continué jusqu’au score, c’est énorme parce que, du coup, on va cibler chez qui on va faire ce scanner.
Jean-Pierre Usdin — Oui. C’est ce qui est très important.
Conclusion
Jean-Pierre Usdin — Je crois que nous avons fait le tour dans le temps qui nous était imparti, mais Dr Karam je ne veux pas vous laisser partir sans vous dire qu’il y a eu une publication qui a été faite selon un registre aux États-Unis, sur les arrêts cardiaques extrahospitaliers au cours de la pandémie qui reprend point par point l’étude que vous avez passée et dont vous êtes co-auteure principale avec Éloi Marijon dans le Lancet Public Health du mois de juin 2020. Je voulais vous féliciter pour cette étude qui est vraiment reprise, et qui a été publiée et qui passe dans le JAMA Cardiology.
Je vous remercie beaucoup d’avoir accepté cette invitation et j’espère vous revoir bientôt, de même que j’espère revoir nos auditeurs sur Medscape. Merci.
Nicole Karam — Merci à vous, au revoir.
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Citer cet article: L’actualité des coronaires à l’AHA 2020 - Medscape - 25 nov 2020.
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