Immunité post-COVID : des données rassurantes

Dr Colas Tcherakian

Auteurs et déclarations

6 janvier 2021

Vidéo enregistrée le 25 décembre 2020

(Voir également Partie 2 : Comment prescrire les tests diagnostiques de COVID-19 ? et P artie 3 : Mesures barrières : comment minimiser le risque infectieux ? )

TRANSCRIPTION

Bonjour à tous. Je suis le Dr Colas Tcherakian, pneumologue à l’hôpital Foch et je voudrais faire un point avec vous sur l’immunité post-infectieuse dans le Covid-19 :

  • Est-ce que tout le monde produit des anticorps contre le SARS-CoV-2 ?

  • Ces anticorps sont-ils tous protecteurs ?

  • Après l'infection et lorsque la sérologie COVID est négative, est-on quand même protégé ?

  • Est-on protégé contre le virus mutant observé en Angleterre ?

Toutes ces questions arrivent à un moment où on est plus à risque d’être en proximité de ceux qu’on aime, notamment en raison des Fêtes. Les patients veulent savoir s'ils sont protégés, et s'ils sont infectés, est-ce qu’ils peuvent transmettre le virus alors qu’ils ont eux-mêmes le virus et qu’ils ont normalement des anticorps qui les protègent ? Ce sont des questions récurrentes en consultation. Je vais essayer d’y répondre.

La production d’anticorps contre le SARS-CoV2

Tout d’abord, on produit normalement contre toute infection virale, des anticorps. C’est le cas pour la très grande majorité d’entre nous. La production de ces anticorps apparaît à peu près 7 jours après l’infection. Je vous rappelle qu’après l’infection, il y a une période d’incubation d’environ cinq jours, puis vous devenez contagieux, et deux jours après être devenu contagieux, vous devenez symptomatique. Il y a des délais qui sont à peu près incompressibles d’environ sept jours avant que vous n’ayez des symptômes et, de la même manière, il y a un délai incompressible — qu’on appelle la fenêtre sérologique — avant de commencer à produire des anticorps.

Ces anticorps vont arriver au bout de sept jours et les premiers sont les IgM. Les IgM sont produites très facilement, mais elles sont moins efficaces que les IgG et, surtout, elles n’ont pas de mémoire. Quand vous allez produire, environ au bout de deux semaines, des IgG, ce seront des anticorps très précis, capables de se fixer sur des zones particulières du virus et vous allez produire avec ces IgG ce qu’on appelle des anticorps neutralisants.

Ces anticorps neutralisants, souvent produits contre la protéine Spike — cette protéine de l’enveloppe du virus — vont empêcher le virus de rentrer dans la cellule. Et un virus qui ne peut pas rentrer dans une cellule ne peut pas se reproduire, se multiplier. Pas de virus à l’intérieur, pas d’infection.

La sérologie ELISA

Quand on regarde la production d’anticorps avec la sérologie ELISA, même quand on est sûr que les gens ont été infectés, tous n’ont pas une sérologie qui se positive. Dans ce shema, vous voyez un groupe de patients dont on était sûr qu’ils avaient fait une infection et qui ont été suivis pour voir si le test ELISA qu’on utilise aujourd’hui se positivait.

Un tiers s’est positivé sept jours après la sortie de symptômes, pas d’infection, et au bout de deux semaines après le début des symptômes, ce sont plus des deux tiers qui avaient une sérologie positive. Au bout de trois semaines, ce sont neuf personnes sur dix qui vont avoir une sérologie positive. Mais, de façon très importante, quand le temps va passer, tout le monde ne va pas, pour autant, avoir une sérologie positive. Les gens se disent : « je n’ai pas de sérologie positive, je n’ai pas fait d’anticorps, je ne suis pas protégé. » Je peux vous rassurer — ce n’est pas aussi simple, on peut tout à fait être protégé avec une sérologie négative. On a effectivement au moins 10% des gens qui vont avoir une sérologie ELISA négative. De façon inverse, 2% des gens dans la population générale auront une sérologie positive alors qu’ils n’ont jamais vu le virus. On le sait parce qu’on l’a testé sur des sérums congelés antérieurs. Donc première chose : la sérologie ELISA n’est pas quelque chose de précis à 100%.

La deuxième chose à retenir est qu’en fonction du nombre de personnes affectées au sein de la population que vous testez, le rendu des examens va être variable, et globalement vous allez avoir des faux positifs ou des faux négatifs – le faux négatif étant lorsqu’on vous rend une sérologie en disant « non, vous n’avez pas fait d’infection » alors que vous en avez fait une, et un faux positif étant une sérologie positive en vous disant « rassurez-vous, vous avez fait l’infection, vous êtes tranquille » alors que vous ne l’avez jamais faite.

Donc, ces faux négatifs et ces faux positifs varient énormément en fonction de la prévalence de la maladie, c’est-à-dire du nombre de personnes qui ont été réellement infectées. C’est important puisque plus le nombre de personnes infectées va être élevé, plus vous allez avoir des variations dans le rendu. Quoiqu’il en soit, au départ, le test ELISA — et il faut s’en souvenir — n’a pas été fait pour faire un diagnostic d’infection. Il a été fait pour faire des études épidémiologiques. C’est-à-dire : vous prenez une centaine de personnes, par exemple dans un hôpital, et vous essayez de savoir en moyenne combien auraient été infectées versus combien ne l’ont pas été. En fait, les faux positifs et les faux négatifs vont s’équilibrer et vous allez avoir, par exemple, 25 sérologies qui seront positives et vous vous direz, il y a environ 25% de la population de cet hôpital qui a dû être infecté, mais à titre individuel, avec une sérologie, vous ne pouvez pas dire précisément si oui ou non la personne a été infectée.

Comment marche la sérologie ELISA ? C’est vraiment contre cette protéine Spike du virus que, la plupart du temps, les anticorps vont se faire. Les sérologies ELISA prennent un bout de cette protéine Spike qu’ils fixent sur un anticorps, lui-même coaté (fixé) sur une plaque. Et si vous avez des anticorps, quand on va rajouter votre sérum avec les anticorps, vous aussi vous allez reconnaître cette protéine Spike, vous allez vous fixer et on rajoutera un anticorps qui reconnaît les anticorps qui enverra un signal pour dire que c’est positif.

À l’inverse, si vous avez des anticorps, mais que vous n’avez pas fait d’anticorps contre le morceau de protéine qui a été utilisée – mais vous avez fait d’autres des anticorps contre une autre protéine choisie pour ce test — l’anticorps ne va pas se fixer. Et en rinçant, on débarrasse des anticorps. Donc quand l’anticorps de reconnaissance arrive, il n’y a rien sur lequel il peut se fixer. Donc on peut avoir des anticorps et une sérologie ELISA négative — ce sont deux choses complètement différentes.

Cela veut dire simplement que ce morceau de protéine qui est le plus fréquemment reconnu par la plus grande partie de la population, vous ne le reconnaissez pas. Mais — attention — vous en reconnaissez un autre. Et donc cela sera rendu comme une sérologie négative, mais c’est un faux négatif, car vous avez des anticorps. Simplement, la sérologie ELISA n’a pas été capable de les dépister. Et vous vous trouvez avec le même résultat qu’un voisin qui, lui, n’a pas vu le virus, n’a pas d’anticorps. Donc vous voyez qu’on peut avoir des faux négatifs en ayant des anticorps.

Test de neutralisation

L’autre chose qu’il faut comprendre est que lorsqu'on veut se débarrasser d’un virus et bloquer l’infection, il faut faire des anticorps neutralisants. Tel que dit précédemment, ces anticorps neutralisants vont se fixer sur la protéine S. Or, la protéine S, elle doit venir elle-même se fixer sur le récepteur ACE2. Donc si vous bloquez cette protéine, le virus ne peut pas venir se fixer sur le récepteur, il ne peut pas rentrer dans la cellule. Il ne rentre pas dans la cellule, ne se multiplie pas, il n’y a pas d’infection. Donc ces anticorps dits neutralisants parce qu’ils neutralisent l’entrée du virus dans la cellule, sont les plus importants. Ce sont ceux qui vont vous permettre de guérir et qui vont empêcher, quand le virus va revenir une deuxième fois, d’être infecté.

D’autre part, ces anticorps peuvent être mémoires — ce sont les fameux IgG. Un test de neutralisation, donc pour savoir si vous avez des anticorps neutralisants, est différent d’une sérologie ELISA.

Pour la sérologie ELISA, on avait pris un petit bout du virus en considérant que la plupart des gens avait dû faire des anticorps pour reconnaître ce bout de virus. Là, on va carrément mettre des cellules au fond d’un puits, un virus dans ce qu’on appelle le surnageant, c’est-à-dire dans la soupe au-dessus des cellules, et on va laisser le virus infecter naturellement ces cellules — qui sont faites exprès pour ça, des cellules humaines qu’on sait cultiver — et on va avoir des lyses cellulaires, puisque le virus, en se développant à l’intérieur de vos cellules, va les détruire. On regarde ensuite le nombre des cellules qui sont mortes. C’est ce qui permet de voir que le virus mis est bien vivant et capable d’infecter. Et dans le puits d’à côté, on fait la même chose, mais en rajoutant le sérum du patient. Dans le sérum, il y a toutes sortes d’anticorps : les anticorps non spécifiques contre le virus (non spécifiques au sens où ils ne sont pas neutralisants) et les anticorps neutralisants.

Après avoir fait incuber le virus, le sérum du patient avec les anticorps et les cellules, on va regarder si ce sérum empêche l’infection des cellules. S’il empêche l’infection de cellules, c’est qu’il y a dans le sérum des anticorps neutralisants. Donc la détection d’anticorps neutralisants est bien différente du test ELISA. C’est beaucoup plus compliqué à faire parce qu’il faut la même quantité de virus, la même quantité de cellules et donc c’est plus compliqué à standardiser, il faut attendre que le virus infecte la cellule, cela va prendre plus de temps. En clair, on ne peut pas faire des tests de neutralisation pour la population générale — ce serait trop long par rapport à un test ELISA qui va être rendu en quelques heures. Il n’y a pas de possibilité de faire de test de recherche d’anticorps neutralisants chez tout le monde et donc on a décidé de faire des tests ELISA. Mais vous voyez encore une fois que ces tests ELISA ne disent pas si les anticorps qui sont détectés sont neutralisants ou pas, et cela peut tout à fait rater les anticorps. Cela a été étudié.

Une étude de très grande envergure (sur plus de 30 000 individus) a été réalisée. Les chercheurs ont donc fait des tests de neutralisation chez 30 000 personnes. Cela a pris du temps, a coûté de l’argent, mais ils ont pu ainsi comparer la positivité de la sérologie ELISA, la présence d’anticorps neutralisants et ce que devenaient ces anticorps neutralisants dans le temps. Et la très bonne nouvelle, qui doit rassurer, est que quand vous cherchez des anticorps neutralisants, 98% des gens qui ont fait une infection, y compris très légère, voire sans symptômes, produisent des anticorps neutralisants. En clair, pratiquement 100% des gens ont produit des anticorps neutralisants, quel que soit l’état de leur sérologie ELISA. La sérologie ELISA n’est pas faite pour détecter ces anticorps, elle ne sert à rien pour le diagnostic, d’accord ? C’est vraiment fondamental.

 
98% des gens qui ont fait une infection, y compris très légère, voire sans symptômes, produisent des anticorps neutralisants.
 

La deuxième bonne nouvelle est que ces anticorps vont durer dans le temps. Au moins pendant cinq mois — ils ont arrêté l’étude après pour publier leurs résultats — vous avez des taux stables. Donc cela va avec l’idée qu’il y a des réponses mémoires. De temps en temps je vois des gens qui font des sérologies ELISA à répétition et ils voient leur sérologie ELISA se négativer ou diminuer. Cela ne veut pas dire que vous perdez vos anticorps neutralisants. Cela veut juste dire que la sérologie ELISA a détecté des anticorps qui ne sont pas intéressants pour votre corps pour se protéger et que leur production diminue parce qu’ils ne servent à rien. Donc, encore une fois, distinguer la présence d’une sérologie positive ou négative, de la présence d’anticorps neutralisants et ne faites pas des sérologies ELISA pour voir si vous êtes protégés – cela n’a aucun sens. 98% des gens qui ont fait l’infection ont, de toute façon, des anticorps neutralisants. Cela ne sert à rien de faire des sérologies, derrière, pour voir le niveau de protection.

L’autre chose qui doit rassurer, est que ceux qui ne développent pas d’anticorps neutralisants — parce qu’il y a des gens qui arrivent à se défendre sans anticorps — produisent des cellules T, ces cellules lymphocytaires spéciales qui tuent les cellules infectées. C’est très important : cela veut dire que, globalement, vous pouvez faire des cellules qui détectent les cellules infectées, qui les tuent, et ces cellules, elles-mêmes, sont mémoires.

La troisième façon de se défendre est de produire des IgA. J’ai parlé des anticorps IgG qui circulent dans le sang, donc on peut les attraper, mais il y a dans les muqueuses des IgA qui empêchent les infections directement sur le site, au niveau de la muqueuse ORL, au niveau de la muqueuse respiratoire. Et on ne les détecte pas forcément dans le sang. Donc un certain nombre d’entre nous vont également faire des IgA, pour lesquelles, encore une fois, la sérologie ELISA sera négative, mais ils ont quand même des anticorps protecteurs et neutralisants. Donc vous voyez que la grande partie d’entre nous va avoir, de fait, des anticorps protecteurs et il ne faut pas confondre sérologie ELISA et protection.

 
Il ne faut pas confondre sérologie ELISA et protection.
 

Dans un test, toujours mené par la même équipe, on a comparé l’importance du taux d’anticorps en sérologie ELISA et la probabilité d’y trouver des anticorps neutralisants. Évidemment, plus vous avez une sérologie ELISA élevée, plus il y a de chances qu’on ait détecté dedans, par hasard, des anticorps neutralisants. Mais, encore une fois, on peut avoir une sérologie ELISA négative avec une production d’anticorps neutralisants. Ne vous focalisez pas sur les sérologies ELISA, ne faites pas de sérologie ELISA pour savoir si vous êtes protégé — c’est une erreur de raisonnement.

Dernière chose : il faut se souvenir que les anticorps neutralisants peuvent perdurer alors que la sérologie ELISA peut se négativer si les anticorps de la sérologie ELISA ne sont pas intéressants à conserver. C’est encore un élément supplémentaire.

Les virus mutants

La dernière chose dont il faut se souvenir, dans cette période où des mutants apparaissent en Angleterre et semblent un peu plus virulents, est qu’il y a déjà eu un mutant plus virulent qui a été sélectionné en Europe. Ce virus, d’ailleurs, s’est répandu partout. Mais partout ailleurs il y a d’autres souches de virus qui circulent déjà. Donc c’est normal qu’il y ait des mutants partout. Mais aujourd’hui, contrairement au virus de la grippe, ce coronavirus garde des protéines Spike relativement bien conservées, ce qui fait que les anticorps produits contre un virus dans un pays protège du virus dans les autres pays.

Donc je crois qu’en cette période où tout le monde est stressé, tout le monde a peur d’être une sorte de point de contamination pour les autres, rassurez-vous – on est capable, heureusement d’ailleurs, de faire des anticorps protecteurs, ces fameux anticorps neutralisants, et on est capable d’avoir d’autres astuces au niveau du système immunitaire qui font que la plupart d’entre nous, évidemment, ne se réinfecteront pas, y compris si des petits mutants naissent parmi les virus. C’est un message dans lequel, aujourd’hui, on peut rassurer en disant : « vous avez fait une infection, vous n’en referez pas une. Oui, il y a des cas de réinfection, ils ont été très bien documentés, de la même manière que quand vous prenez la population générale, il arrive que les gens s’infectent, par exemple, deux fois à la même bactérie. Donc tout le monde n’est pas capable, de façon générale, de produire des anticorps, d’où l’intérêt que tout le monde ait produit des anticorps ou que tout le monde ait été vacciné pour protéger ces gens, justement, qui ne seront pas capables de se protéger ou, même après l’infection, de faire des anticorps neutralisants. Mais cette population est très faible. On estime, dans les études, que 0,04 % des gens ne sont pas capables de se protéger. D’ailleurs, sur cette deuxième vague, on n’a pas été envahi de personnes de la première vague. On a tous entendu, potentiellement, des gens se réinfecter — oui, cela existe, mais ce ne sera clairement pas l’ensemble de la population. Et c’est très important car cela veut dire que quand la vaccination va être disponible, elle va être efficace, y compris sur les prochains virus qui vont sortir. Donc gardons quand même les idées claires, soyons rassurés.

Effet barrière

Quand vous avez été infecté (après 7 jours), vous pouvez aller en famille en sécurité. Je crois qu’il faut quand même garder, par mesure de sécurité et de bon sens, les mesures barrière. Vous êtes quand même considéré comme ce que j’appelle une personne neutre et il faut même, plutôt, pendant les repas de famille, mettre les gens qui ont été infectés au milieu de ceux qui ne l’ont pas été pour faire cet effet de barrière, puisque vous ne pouvez pas transporter le virus de manière saine, il n’y a pas de porteurs sains du virus. Si vous avez des anticorps, vous le bloquez et vous ne pouvez pas le transporter sans être malade. Donc, soyez rassurés, souvenez-vous que vous êtes neutre dans une soirée et qu’il faut plutôt vous interposer si vous avez été contaminé ou si vous connaissez des gens contaminés. Après sept jours vous n’êtes plus infectieux — d’ailleurs 95 % des gens ne le sont plus après cinq jours. Donc restons positifs — la plupart d’entre nous restent protégés après une infection.

Voilà. Je voulais partager ces éléments au moment des Fêtes. Je pense que c’est important de rester rassuré, même s’il faut, dans l’ensemble, bien sûr, continuer d’être le plus prudent possible et de respecter les mesures barrière.

 

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