Le blog du Dr Boris Hansel - Diabétologue et nutritionniste
Les données sur les effets cardioprotecteurs des oméga-3 sont contradictoires. Que faire en pratique ? L’avis du Dr Boris Hansel
TRANSCRIPTION
« Les oméga-3 sont excellents pour l’appareil cardiovasculaire. » Cette phrase n’arrête pas d’être répétée, et pourtant, elle est basée sur si peu de choses. Certes, on connaît la relation inverse entre la consommation de poisson et le risque d’infarctus du myocarde. Et la relation entre les concentrations plasmatiques d’EPA et de DHA — acides gras oméga-3 à longue chaîne — et les événements cardiovasculaires renforce encore l’hypothèse d’un effet cardioprotecteur des huiles de poisson. De plus, deux essais cliniques qui ont testé des compléments alimentaires à base d’EPA ont presque permis d’établir la relation causale et de dire que les oméga-3 protègent des maladies cardiovasculaires.
Oui, mais voilà : ces deux essais, bien que randomisés, ont été menés en ouvert et d’autres essais cliniques randomisés en aveugle n’ont pas retrouvé cette cardioprotection des oméga-3 à longue chaîne. Il y a une méta-analyse qui a été publiée en 2018 et qui, pratiquement, a écarté le bénéfice des suppléments d’huile de poisson chez les patients à haut risque cardiovasculaire. Une des grandes critiques de la plupart des études, notamment qui ont été incluses dans cette méta-analyse, était l’utilisation de doses assez faibles d’EPA et de DHA – autour de 1 g, en général, par jour, au maximum 2,5 g par jour. Donc on pourrait dire qu’il faudrait des quantités plus importantes pour obtenir l’effet cardioprotecteur attendu.
En ce sens, on attendait beaucoup de deux grands essais, REDUCE-IT et STRENGTH, dans lesquels des doses plus importantes d’oméga-3 ont été administrées aux patients à risque cardiovasculaire. REDUCE-IT, publié en janvier 2019, nous a rassurés avec des résultats qu’on peut qualifier d’extraordinaires : 4 g d’EPA a entraîné une baisse de 25 % des événements cardiovasculaire. Mais voilà que deux ans plus tard on est à nouveau déçu avec l’étude STRENGTH, ici dans une population qui est également à haut risque cardiovasculaire, avec une hyperglycémie — aucun impact n’a été trouvé d’une supplémentation en EPA et en DHA.
Les hypothèses ne manquent pas pour expliquer la discordance entre ces deux essais cliniques. D’abord, l’impact du comparateur de REDUCE-IT — on a utilisé comme comparateur une huile minérale qui n’a pas été tout à fait neutre, puisque des effets sur l’inflammation, en particulier la CRP, ont été notés, et également une petite augmentation du LDL-cholestérol et de l’apoprotéine B a été observée dans le groupe témoin prenant une huile minérale qui était le contrôle. Cela pourrait donc attribuer faussement des bienfaits à la supplémentation en EPA. Une autre hypothèse pour expliquer la discordance entre les deux essais cliniques que j’ai mentionnés, ce serait qu’il faudrait de l’EPA pur et non un mélange d’EPA/DHA pour avoir un effet contre les maladies cardiovasculaires. Encore une fois, l’EPA pur est ce qui a été utilisé dans REDUCE-IT, et EPA/DHA est ce qui a été utilisé dans l’étude STRENGTH. Ces deux hypothèses permettent peut-être d’expliquer les différences entre les deux essais, mais ce n’est pas 100 % convaincant pour expliquer ces différences.
En outre, il faut mentionner une autre observation qui, cette fois, est commune aux deux études : une augmentation du risque d’arythmie cardiaque par fibrillation auriculaire dans les deux groupes traités avec les fortes doses d’huile de poisson. C’est d’ailleurs une observation qui avait déjà été faite précédemment, et à ce propos, il faut aussi signaler les résultats de l’étude VITAL Rhythm qui a également été publiée récemment et qui montre qu’une association EPA/DHA n’a pas d’impact sur le risque d’ACFA ― mais attention, ici il s’agit à nouveau d’une étude avec des doses relativement faibles d’EPA et de DHA et donc on ne peut pas comparer l’impact de l’EPA/DHA sur l’ACFA entre les études REDUCE-IT et STRENGTH d’un côté, et l’étude VITAL Rhythm de l’autre.
Voici mes deux conclusions à partir de l’ensemble de ces données :
cette histoire est très instructive : on a des molécules, les oméga-3, à la réputation antithrombotique, anti-inflammatoire, antiarythmique, avec donc tout le pouvoir pour exercer un effet cardioprotecteur, et pourtant, cela ne semble pas protéger les patients à risque d’athérosclérose. À l’inverse, ces molécules semblent augmenter le risque d’ACFA, en tout cas quand on les prend à forte dose.
dans un ordre pratique : je déconseillerais, pour ma part, à mes patients, toute forme de supplémentation en oméga-3, en particulier à forte dose, même chez des patients qui ont une hypertriglycéridémie. Parce que comme on l’a dit, le bénéfice chez ces patients n’est absolument pas démontré, le risque d’ACFA pose question, et surtout, n’oublions pas qu’à chaque fois qu’on ajoute sur notre prescription un médicament, on risque de réduire l’observance thérapeutique aux autres médicaments. On sait que ces patients à haut risque cardiovasculaire ont beaucoup de médicaments, alors je pense qu’il faut privilégier l’observance pour les médicaments qui ont un fort niveau de preuve d’efficacité.
Je vous remercie de votre attention et je vous dis à très bientôt sur Medscape.
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Citer cet article: Huiles de poisson : à recommander ou pas ? - Medscape - 4 janv 2021.
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