Le blog du Pr Gabriel Steg – Cardiologue
TRANSCRIPTION
Gabriel Steg — Bonjour. Nous arrivons à la fin de l’année 2020 et le moment des bilans approche. 2020 a été une année plus que particulière avec les vagues de COVID qui ont complètement perturbé le fonctionnement des hôpitaux et de la recherche, qui ont, d’ailleurs, amené à interrompre certains essais prématurément, voire ont tué des essais qui n’ont pas survécu, si je puis dire, aux difficultés logistiques qu’à crée l’épidémie de COVID à l’échelon mondial.
Néanmoins, c’est aussi une année où nous avons eu beaucoup de résultats importants et intéressants, comme chaque année, dans des domaines très variés. J’ai fait une petite sélection personnelle des résultats importants de l’année, que je vais donner de façon assez laconique et pas forcément par ordre d’importance.
Plusieurs études phares
Le premier résultat qui m’a intéressé, c’est l’étude RIVER qui montre qu’on peut utiliser comme anticoagulant chez les gens qui ont une fibrillation atriale et une bioprothèse valvulaire mitrale du rivaroxaban par rapport aux anti-vitamine K avec, plutôt, des avantages en termes de sécurité.
Deuxième étude, c’est l’étude SOLOIST . L’étude SOLOIST, c’est une étude avec un inhibiteur de SGLT2 et de SGLT1 dans l’insuffisance cardiaque aiguë. Alors, vous me direz « encore une étude de plus avec un inhibiteur de SGLT2 dans l’insuffisance cardiaque », mais il y a deux particularités à cette étude, qui a montré un bénéfice très franc du traitement par sotagliflozine contre placebo en double aveugle. Le premier, c’est que c’est la première étude dans l’insuffisance cardiaque aiguë, chez les patients qui sont encore hospitalisés – le traitement est débuté avant la sortie l’hôpital. Et, deuxièmement, le bénéfice est observé que les sujets aient une insuffisance cardiaque avec une fraction d’éjection abaissée ou une fraction d’éjection préservée. Et c’est potentiellement le premier médicament pour lequel on a réellement une preuve par un essai randomisé d’un bénéfice dans l’insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée. Nous verrons si ces résultats sont confirmés par les études randomisées qui sont actuellement en cours dans cette pathologie.
La troisième étude qui m’a intéressé, peut-être celle qui est la plus originale et la plus rigolote, si on peut dire, des études de cette année, c’est une étude britannique qui s’appelle SAMSON , qui utilise une soixantaine de sujets, donc une toute petite étude, mais où chaque sujet est son propre contrôle, pour regarder les effets secondaires allégués des statines chez les patients qui prennent des statines ou un placebo en double aveugle ou qui ne prennent rien du tout, chaque période de traitement étant d’un mois et tirée au sort. Alors, ce n’est pas une étude parfaite, ni par sa taille, ni par l’absence de washout, ni par la durée de l’observation. Néanmoins, ce qu’elle montre clairement, c’est qu’il y a un effet nocebo de la prise de statine qui est très fort, puisque les sujets rapportent sensiblement la même fréquence d’effets secondaires sous statine et sous placebo et que cette fréquence est nettement plus élevée que lorsqu’ils ne prennent rien du tout. Alors, ça ne veut pas dire que tous les effets secondaires des statines sont liés à de la suggestion, mais, en tout cas, que réellement l’effet nocebo et probablement l’effet nocebo des grandes campagnes de presse sur les effets secondaires des statines est très important et — autre renseignement de cette étude — lorsqu’on explique les résultats aux participants, eh bien, plus de la moitié d’entre eux sont capables de prendre une statine et de la tolérer pendant au moins six mois sans effets secondaires.
Quatrième étude (RHAPSODY), c’est une étude avec un médicament qui s’appelle le rilonacept dans les péricardites récidivantes. Alors, c’est un sujet qui pourrait paraître confidentiel, mais quand on est face à un patient qui a des péricardites récidivantes malgré la colchicine, on est bien embêté, et ce traitement a été absolument spectaculaire dans un essai randomisé de petite taille qui montre la quasi-abolition des récidives de péricardite chez les patients qui prennent du rilonacept, antagoniste de l’IL-1. Néanmoins, il reste à établir la sécurité de ce traitement qui, peut-être, semble augmenter la fréquence des infections.
EXPLORER-HCM est aussi une des grandes études de cette année, à mon avis, en particulier sur le plan conceptuel. C’est une étude qui s’est intéressée à un inhibiteur spécifique et ciblé de la myosine cardiaque. Et ce traitement a été utilisé chez les sujets qui avaient une cardiopathie hypertrophique obstructive et il a montré non seulement une amélioration de l’obstruction, une amélioration des gradients, avec une diminution des gradients, mais surtout une amélioration fonctionnelle, mesurée objectivement par la consommation d’oxygène du myocarde, la performance à l’effort et la qualité de vie. C’est la première fois qu’on a un traitement médical de la cardiopathie hypertrophique qui obtient cela et cela suggère qu’il faudra voir les bénéfices sur le devenir clinique de ces patients à long terme.
On ne peut pas parler de 2020 sans mentionner l’étude LoDoCo2 , grand essai randomisé sur la colchicine dans la maladie coronaire stable, qui vient conforter les résultats obtenus l’année dernière avec la colchicine dans les syndromes coronariens aigus, avec toujours un bénéfice assez net, mais un point d’interrogation sur l’absence d’effet sur la mortalité totale et, même, une mortalité non cardiovasculaire qui va dans le mauvais sens, qui est une observation qui est maintenant retrouvée dans trois essais et qui pose, quand même, question sur l’utilisation à grande échelle de ce médicament. Je pense qu’il sera vraiment intéressant de regarder les résultats de l’essai canadien CLEAR SYNERGY avec la colchicine à grande échelle, pour voir si ce signal est retrouvé ou pas.
On doit parler de EMPEROR Reduced , un autre essai dans l’insuffisance cardiaque à fonction systolique altérée avec les inhibiteurs de SGLT2, qui est le deuxième essai à montrer un bénéfice clinique de ces médicaments — en l’occurrence, ici, l’empagliflozine — sur le pronostic de l’insuffisance cardiaque.
Et puis, pour changer un peu de thématique, je voudrais parler de EAST-AFNET , qui est une étude qui a montré qu’une prise en charge de contrôle du rythme précoce chez les sujets qui ont une fibrillation atriale récente, de moins d’un an, est supérieure à une stratégie conventionnelle, et même assez nettement supérieure pour prévenir l’ensemble des événements cliniques cardiovasculaires dans cette population, en utilisant largement, mais pas seulement, l’ablation et c’est à rapprocher de toute une série d’études qui ont montré que l’ablation était particulièrement efficace avec de nouvelles techniques d’ablation et qui ont été présentées en fin d’année. Néanmoins, ces études n’ont pas montré de bénéfice sur les événements cliniques et, donc, je pense qu’il faut rester encore prudent sur l’utilisation massive de l’ablation en première intention dans la fibrillation atriale.
Pour terminer, deux derniers sujets, une autre étude que j’ai trouvé intéressante et qui a été relativement peu médiatisée malgré le sujet, c’est une étude australienne sur la récurrence de fibrillation atriale chez les sujets en fonction de leur consommation d’alcool. Alors, vous allez me dire « c’est un vieux sujet », mais cette étude-là est différente des autres, parce que c’est une étude randomisée où les sujets ont été assignés à l’abstinence ou, au contraire, usual care, la prise en charge habituelle, en fonction de leur consommation d’alcool. Et on observe que dans le groupe abstinence, on a une baisse de consommation d’alcool qui est beaucoup plus importante que dans le groupe usual care et que ceci a entraîné une réduction des récidives de fibrillation atriale tout à fait significative et un retard, d’ailleurs, des récidives de fibrillation atriale dans le groupe abstinence. Cela nous rappelle que face à un sujet qui a de la fibrillation atriale, la question de la consommation d’alcool est un sujet important et qui a une influence directe sur la fréquence et la précocité des récidives de fibrillation atriale.
La cardiologie et le coronavirus
Et puis, difficile de terminer un bilan de l’année 2020 sans parler du coronavirus et de ses conséquences cardiovasculaires. Alors, il y a deux choses à dire sur le coronavirus : la première, c’est que toute une série d’études en Italie, au Royaume-Uni, aux États-Unis et en France ont montré que pendant la pandémie de coronavirus il y a eu une diminution des admissions à l’hôpital des syndromes coronaires aigus et, en particulier, de l’infarctus aigu sans sus-décalage de ST, que cette diminution est transitoire, qu’elle est associée à une augmentation de fréquence des formes graves et en particulier des arrêts cardiaques extrahospitaliers. C’est une observation descriptive de type épidémiologique.
Deuxième observation, on s’est beaucoup interrogé sur la pertinence de poursuivre ou d’interrompre les bloqueurs du système rénine-angiotensine, qu’il s’agisse des IEC ou des ARA2, puisque le coronavirus, utilise comme porte d’entrée dans la cellule un récepteur à l’angiotensine de type 2. Et il y a au moins une étude brésilienne randomisée qui a tranché ( BRACE CORONA ), à mon sens, la question, en regardant la mortalité, qu’on poursuive ou qu’on arrête les bloqueurs du système rénine-angiotensine. Et la réponse est simple : aucune différence de mortalité. Alors, ça ne veut pas dire qu’il n’y aurait pas de différences sur les événements morbides — ça reste en cours d’exploration par d’autres essais randomisés, mais c’est quand même un élément très rassurant et très important pour les dizaines de millions de patients dans le monde, sinon les centaines de millions de patients dans le monde qui prennent ces médicaments, notamment pour l’hypertension artérielle ou pour l’insuffisance cardiaque.
Troisième observation sur le coronavirus, qui est un peu une déception : il a été décrit une grande fréquence d’atteintes cardiaques par la mesure des biomarqueurs, notamment de lésions myocardiques — la troponine ultrasensible — et même une grande fréquence d’atteintes cardiaques en IRM, mais la signification clinique de ces atteintes cardiaques et leurs conséquences à long terme, leur impact sur la survie et les traitements préventifs, eh bien, nous n’avons pas progressé dans ce domaine, et ça, c’est un peu une déception. Malgré la fréquence de la maladie, son caractère mondial et massif, nous restons encore dans l’obscurité avec des données, finalement, assez contradictoires sur la signification de ces atteintes cardiologiques. Il y a donc, je pense, encore du travail pour la recherche cardiovasculaire clinique dans le domaine du COVID.
Voilà mon bilan 2020. Une année qu’on va qualifier d’aigre-douce, avec des avancées, mais aussi beaucoup, beaucoup de difficultés, et puis la fin des congrès présentiels au moins transitoire. On espère que nous aurons à nouveau l’occasion de retrouver en face-à-face nos collègues et les congressistes dans des congrès, dans l’année qui vient, peut-être une fois que la vague sera passée avec l’aide, peut-être, des vaccins. En tout cas, je vous souhaite une bonne fin d’année 2020 et une excellente année 2021, sans COVID.
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Citer cet article: 2020, année particulière : le «Best of» du Pr Steg - Medscape - 21 déc 2020.
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