Près d’une personne sur 5 reçoit un diagnostic de troubles psychiatrique post-COVID

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

23 novembre 2020

Oxford, Royaume-Uni — Alors qu’elle s’interrogeait sur les liens entre infection par le Covid-19 et pathologies mentales, une équipe d’Oxford a montré, en se fondant sur une vaste base de données américaines, que parmi les personnes ayant été testées positivement pour le Covid-19, une sur cinq (18,1%) se voit diagnostiquer un trouble psychiatrique de type anxiété ou dépression dans les 3 mois qui suivent. Pour 5,8% de ces personnes, il s’agirait d’un premier pronostic. Les chercheurs ont aussi mis en évidence qu’à l’inverse, avoir une pathologie psychiatrique préalablement à l’infection, serait associé à une plus forte incidence de diagnostic de l’infection à Covid-19.

Ces résultats montrant des liens étroits entre le coronavirus et la santé mentale ont été publiés dans le Lancet Psychiatry [1].

« Les gens se sont inquiétés que les survivants au Covid-19 soient à plus haut risque de maladies psychiatriques, et les résultats de la vaste étude que nous avons menée montrent qu’ils ont raison » affirme le professeur de psychiatrie Paul Harrison (Université d’Oxford, RU), dernier auteur de l’étude, dans un communiqué [2].

Les services de santé « doivent se tenir prêts à fournir des soins, sachant notamment que nos résultats sont susceptibles de sous-estimer le nombre actuel de cas » ajoute-t-il.

Sur 62 354 patients issus d’une base de données

Pour mener les analyses, les investigateurs se sont appuyés sur les données anonymisées présentes dans les dossiers médicaux informatisés du réseau analytique américain TriNetX. Ils ont exploité celles de 69 800 000 patients issus de 54 organisations de santé différentes aux Etats-Unis.

Sur ces patients, 62 354 ont reçu un diagnostic de Covid-19 entre le 20 janvier et le 1er août 2020. Pour évaluer le risque de troubles mentaux post-Covid, les chercheurs ont créé un score de propensité en appariant ces patients avec d’autres ayant reçu un diagnostic pour d’autres pathologies. Ils ont aussi mesuré l’incidence et les hazard ratio (HRs) pour des troubles psychiatriques, démence et insomnie, sur la période allant de 14 jours à 3 mois après le diagnostic de Covid-19.

Un risque doublé de nouvelle pathologie psychiatrique

Chez les patients qui n’avaient pas d’antécédents psychiatriques, 5,8% (IC95% : 5,2–6,4) en ont reçu un entre 14 et 90 jours après avoir été diagnostiqués pour le Covid-19, contre 2,5 à 3,4% des patients avec un problème de santé autre que le Covid (voir tableau), notent les auteurs.

Tableau. Pathologies qui ont été suivies dans les 14 à 90 jours par un premier diagnostic psychiatrique

Covid-19

5,8%

Grippe

2,8%

Autre infection respiratoire

3,4%

Infection cutanée

3.3%

Lithiase biliaire

3,2%

Lithiase urinaire

2,5%

Fracture

2,5%

Le risque le plus élevé était celui d’anxiété, avec une probabilité de 4,7%. La probabilité de se voir diagnostiquer pour la première fois un trouble de l’humeur dans les 3 mois suivant le diagnostic de Covid-19 était de 2%. La dépression étant le plus fréquent de ce premier diagnostic de trouble de l’humeur (1,7%).

Risque de démence après 65 ans

La probabilité d’un premier diagnostic d’insomnie était de 1,9% mais 60% de ces diagnostics d’insomnie ne s’accompagnaient pas d’un diagnostic concomitant d’anxiété.

La probabilité de se voir diagnostiquer un trouble psychotique dans les 3 mois suivant l’infection à Covid (0,1%) était, elle, faible, contrairement à d’autres études de la littérature, rapportent les auteurs.

La probabilité de se voir diagnostiquer une démence après un épisode Covid était augmentée comparé à d’autres pathologies. Parmi les patients de plus de 65 ans, ce risque était de 1,6% (IC95% : 1,2–2,1), avec un HR entre 1,89 et 3,18. A noter que cette étude en corrobore une autre montrant que les patients âgés ayant contracté le Covid-19 avaient un risque 2 à 3 fois plus élevé de premier diagnostic de démence [3].

Ce sur-risque pourrait recouvrir des cas de délire ou de troubles cognitifs passagers dus à des événements cérébraux réversibles qui auraient été mal diagnostiqués, notent les auteurs.

18,1% de risque de trouble psy après Covid

Au final, les auteurs ont aussi trouvé que le taux de diagnostic pour l’ensemble des troubles psychiatriques (y compris les récidives) était plus élevé après un diagnostic de Covid que dans les suites d’une autre pathologie. Ils ont ainsi estimé que ce taux de pathologies psychiatriques après une infection Covid diagnostiquée était de 18,1% (IC95% : 17,6–18,6), soit significativement plus qu’avec les pathologies contrôles (HRs : 1,24–1,49, tous p<0,0001).

Pour les auteurs, le risque élevé de séquelles psychiatriques après infection diagnostiquée à Covid ne trouve pas d’explications simples sur la base de différences en termes de sévérité de la maladie. Car si les patients qui ont requis une hospitalisation étaient plus à risque que ceux qui n’ont pas été hospitalisés (HR : 1,40, [IC95% : 1,06–1,85; p=0,019]), néanmoins, au sein de ceux qui n’ont pas été hospitalisés, les séquelles psychiatriques restaient nettement plus élevées chez les patients ayant contracté la maladie Covid par rapport aux autres pathologies.

Une relation bidirectionnelle

Dans la suite de leur analyse, les chercheurs ont évalué si, à l’inverse, avoir des antécédents de trouble psy était associé à un risque plus ou moins élevé d’infection à Covid-19, ce qui conduirait à établir, si cela était le cas, une relation bidirectionnelle entre la pathologie mentale et l’infection virale. Et, en effet, ils ont montré que les personnes qui avaient reçu un diagnostic psychiatrique dans l’année précédente avaient 65% fois plus de risque d’avoir un diagnostic de Covid-19 (RR : 1,65, [IC95% : 1,59–1,71; p<0,0001]) comparées à celles qui n’avaient pas reçu un tel diagnostic, et ce, après comparaison avec des contrôles appariés sur les autres facteurs de risque au Covid-19.

Le rapport de risque était plus élevé chez les patients les plus âgés (odds ratio : 1,25, [IC95% : 1,14–1,38; p<0,0001]) et « ces résultats étaient solides dans les études d’analyses de sensibilité quand il s’agissait d’un premier diagnostic psychiatrique, ou parmi les patients ayant reçu un diagnostic dans les 3 années précédentes » écrivent-ils.

« Nous n’avions pas anticipé que les antécédents psychiatriques seraient un facteur de risque indépendant du Covid-19. Ce résultat apparait solide, observé dans toutes les strates d’âge et dans les deux sexes, et il est substantiel », écrivent les auteurs.

« Ce résultat était inattendu et nécessite d’être exploré plus avant », confirme Max Taquet, premier auteur du papier, qui ajoute « avoir une pathologie psychiatrique devrait être ajouté à la liste des facteurs de risque de Covid-19 » [2].

Vaccin : les patients avec une pathologie mentale doivent-ils être prioritaires ?

C’est la thèse défendue par des psychiatres belges dans World Psychiatry [4]. Arguant que des études ont montré que les patients présentant une pathologie psychiatrique sévère ont un risque plus élevé de morbidité et de mortalité au Covid-19, ils avancent des arguments en faveur de la priorisation de ces patients pour accéder à un potentiel vaccin. Le Pr Marc De Hert et ses collèges s’appuient sur plusieurs études récentes. Par exemple, une étude cas-contrôle portant sur 61 millions d’américains a montré que ceux qui avaient reçu un diagnostic récent de trouble mental avaient un risque élevé d’infection à Covid-19, et d’autant plus accru qu’ils souffraient de dépression et de schizophrénie. Dans une autre étude, avoir un diagnostic de maladie psychiatrique préalable à une hospitalisation pour Covid-19 était lié à une augmentation significative du risque de décès. Ces données, ajoutées au fait que les patients psychiatriques souffrent souvent de conditions socio-économiques difficiles et de stigmatisation, conduisent les auteurs, sur la base de principes éthiques, à considérer comme « primordial » que les personnes souffrant de pathologies psychiatriques soient prioritaires dans l’accès au vaccin. Les auteurs vont plus loin, considérant qu’il est de leur responsabilité dans cette crise sanitaire de se faire les avocats des besoins de leurs patients auprès des institutions gouvernementales et de santé publique – un positionnement adopté récemment par l’Association de psychiatrie mondiale (World Psychiatric Association).

L’étude a été financée par le National Institute for Health Research. Le Pr Harrison a déclaré de pas avoir de lien d’intérêt. Un des auteurs est employé par TriNetX.

 

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