POINT DE VUE

Kétamine dans la dépression résistante : quelle utilisation en pratique?

Stéphanie Lavaud

6 novembre 2020

Pr Florian Ferreri

France -- Alors que l’eskétamine* est agréée aux collectivités depuis le 1er octobre sous forme de spray nasal à usage unique (Spravato®, Janssen) dans la dépression résistante, aux conditions définies par la Haute Autorité de Santé (HAS) en juin dernier  (voir encadré) [1], nous revenons avec le Pr Florian Ferreri (service de psychiatrie, Hôpital Saint-Antoine, Paris) sur l’utilisation de la kétamine en injection, telle que pratiquée jusqu’à présent – donc avant que la forme nasale n’obtienne une AMM – dans certains services de psychiatrie spécialisés dans les troubles de l’humeur résistants.

 

*L’eskétamine est l’énantiomère S de la kétamine racémique et agit en tant qu’antagoniste non sélectif et non compétitif des récepteurs du dérivé d’acide aminé N-méthyl-D-aspartate (NMDA), récepteurs ionotropiques au glutamate.

Medscape édition française : Dans quel cadre légal la kétamine (ou l’eskétamine) peut-elle être utilisée en France ?

Pr Florian Ferreri : Jusqu’à présent, soit avant que le spray nasal n’obtienne une AMM cet été, les seules possibilités étaient une utilisation hors-AMM – ce qu’autorise le code de la santé publique – ou dans le cadre de protocoles de recherche. L’utilisation hors-AMM de la kétamine injectable était rendue possible du fait que ce médicament existe dans d’autres indications (comme analgésique et comme anesthésiant) et que l’on dispose d’un corpus de données scientifiques et médicales pour ce produit – ce qui nous permet d’agir en sécurité.

Dans quelles indications la prescrivez-vous ?

Pr Ferreri : La kétamine a deux indications reconnues dans la littérature : d’une part, dans la crise suicidaire ou chez les patients souffrant d’idées suicidaires, d’autre part, dans la dépression résistante. Dans notre service, nous l’utilisons depuis 4 ans de façon régulière dans la dépression sévère invalidante chez des patients résistants à au moins deux antidépresseurs et/ou à la sismothérapie..

Quel est le protocole et l’efficacité de la molécule ?

Pr Ferreri : La kétamine est injectée en intra-veineux à raison de 0,5 mg/kg pendant 45 min à 1 heure dans une chambre d’hôpital, sans stimulation lumineuse ni stimulation sonore. Nous surveillons un certain nombre de paramètres psychiques et physiques, dont la pression artérielle, pendant toute la durée de l’injection et l’heure qui suit.

Parfois, l’efficacité clinique est immédiate, parfois, elle est différée mais, dans tous les cas, pour que l’effet soit durable, nous considérons qu’il faut répéter ce protocole, en espaçant les doses progressivement, soit 2 perfusions par semaine pendant le premier mois, 1 perfusion hebdomadaire pendant le mois suivant, puis tous les 15 jours pendant 2 mois, ensuite toutes les 3 semaines pendant 2 mois, et enfin, 1 injection mensuelle pendant 6 mois.

Comment sélectionnez-vous les patients qui peuvent bénéficier de ce traitement?

Pr Ferreri : Ce produit n’intervient qu’en 3ème ou 4ème ligne, les patients devant être résistants à au moins deux antidépresseurs et/ou à la sismothérapie. Le choix se fait sur la base de la balance bénéfices/risques pour chaque patient, lequel doit donner son consentement éclairé après avoir été dument informé. Un problème cardiaque, comme une hypertension, le fait qu’une personne soit délirante ou psychotique, qu’elle présente une insuffisance hépatique modérée à sévère constituent des critères d’exclusion. Il en va de même d’un problème thyroïdien, de la grossesse et d’une hypertension intracrânienne. Aux doses utilisées, la tolérance du produit est bonne, néanmoins, si une première séance se passe mal (agitation ou intolérance), il est possible de différer les suivantes ou d’annuler la cure.

Comment gérez-vous les effets indésirables ?

Pr Ferreri : Pendant la séance, les patients bénéficient d’un monitoring du rythme cardiaque et de la pression artérielle. Par ailleurs, on prévient les effets désorganisant de la molécule en se situant dans un environnement calme, serein et en apportant régulièrement à la personne des éléments de rassurance, de recontextualisation car il peut y avoir une petite recrudescence anxieuse avec ce produit.

Que se passe-t-il en cas d’inefficacité du traitement ?

Pr Ferreri : Nous avons traité seulement une centaine de patients dans notre service mais nous commençons à avoir des patients qui ont déjà bénéficié d’une cure de kétamine. Nous pouvons leur reproposer une cure si la première a été inefficace ou la durée insuffisante. Si la première cure a été inefficace alors qu’elle a été bien conduite, on va alors s’orienter vers d’autres stratégies thérapeutiques – qui restent toutefois, à ce stade, assez limitées.

Y-a-t-il un risque d’usage abusif ?

Pr Ferreri : C’est vrai qu’il s’agit d’une drogue récréative avec un risque de mésusage mais aux posologies utilisées en psychiatrie, qui sont faibles, le risque est très limité, voire inexistant.

Quelles informations donnez-vous aux patients avant leur traitement ?

Pr Ferreri : Ce sont souvent des patients qui ont expérimenté les antidépresseurs, donc on leur explique qu’il ne s’agit pas du même mécanisme d’action et on leur expose les contraintes liées aux effets indésirables potentiels de la molécule. On évoque également avec eux la durée de traitement, ce qu’ils vont ressentir et l’amélioration que l’on recherche.

Peut-on imaginer une généralisation de l’emploi de la kétamine dans cette indication ?

Pr Ferreri : Peut-être qu’à l’avenir, si son utilisation est facilitée et les populations pouvant en bénéficier mieux ciblées, la kétamine pourrait intervenir plus tôt dans les choix thérapeutiques. Par ailleurs, il existe d’autres modalités d’emploi. Dans certains pays, il existe des « cliniques de la kétamine », on y vient pour la journée. Si on se familiarise avec cette molécule, on pourrait envisager des utilisations plus souples à l’avenir. La disponibilité de la kétamine ne doit pas faire oublier l’importance d’un accompagnement psychologique.

 

Conditions de remboursement de l’eskétamine

L’eskétamine, en association à un ISRS ou un IRSN, constitue une alternative chez les patients adultes de moins de 65 ans pour le traitement des épisodes dépressifs caractérisés résistants n’ayant pas répondu à au moins deux antidépresseurs différents de deux classes différentes au cours de l’épisode dépressif actuel sévère et en cas de contre-indication ou résistance à l’électroconvulsivothérapie ou pour les patients n’y ayant pas accès ou l’ayant refusé.

 

 

 

 

 

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