COVID-19 : les événements thromboemboliques restent élevés malgré la prophylaxie

Boston, Etats-Unis -- Une grande étude observationnelle américaine montre que des complications thromboemboliques majeures et des événements cardiovasculaires indésirables surviennent avec une fréquence élevée chez les patients atteints de Covid-19, en particulier dans le cadre des soins intensifs, en dépit d’une utilisation élevée de la thromboprophylaxie [1]. L'étude a été publiée dans le Journal of the American College of Cardiology. (Lire aussi sur ce sujet Formes sévères de COVID-19: faut-il renforcer l’anticoagulation?)

Pas assez de thromboprophylaxie ?

Interrogé par Medscape Medical News, l'auteur principal Gregory Piazza, (Brigham and Women's Hospital, Boston, Massachusetts) a déclaré : « Malgré un taux très élevé de prophylaxie antithrombotique, nous avons observé un taux élevé d'événements thromboemboliques suggérant que nous ne donnons probablement pas suffisamment de thromboprophylaxie à nos patients ».

 
Malgré un taux très élevé de prophylaxie antithrombotique, nous avons observé un taux élevé d'événements thromboemboliques. Gregory Piazza
 

« La prophylaxie standard telle que préconisée dans les recommandations est une faible dose d'héparine de bas poids moléculaire une fois par jour, mais ces résultats suggèrent que [les patients] ont probablement besoin de doses plus élevées », a-t-il ajouté.

Cependant, le Dr Piazza a averti qu'il s'agit d'une étude observationnelle et que des essais randomisés sont nécessaires avant d’envisager des modifications en termes de stratégies de traitement. Plusieurs essais de ce type sont actuellement en cours.

Taux similaires à ceux des autres patients gravement malades

Notre étude a montré que si les complications thromboemboliques étaient élevées, elles n'étaient pas aussi élevées que celles observées dans certaines des études menées précédemment en Asie et en Europe, note le Dr Piazza.

« Les chiffres que nous voyions dans les premières observations rapportées étaient si élevés que nous ne pouvions pas comprendre comment cela était possible », a-t-il déclaré. « Notre étude suggère que dans une population américaine recevant une thromboprophylaxie, le taux de complications thromboemboliques [est] plus conforme à ce que nous nous attendrions à voir chez d'autres patients gravement malades qui se retrouvent en soins intensifs. »

Plus de malades, plus de complications thromboemboliques ?

Il suggère que les taux très élevés de complications thromboemboliques vus dans les premières études en Asie pourraient s’expliquer par le manque de thromboprophylaxie, qui n'est pas systématique chez les patients hospitalisés là-bas.

Le Dr Piazza attribue le taux élevé de complications thromboemboliques rapportées avec le Covid-19 au nombre de patients très malades admis à l'hôpital. « Nous sommes habitués à voir de rares cas de thrombose malgré la prophylaxie chez les patients hospitalisés, mais nous en voyons plus chez les patients Covid. C'est probablement dû au fait que nous recevons plus de patients gravement malades », a-t-il déclaré.

« Nous assistons à un afflux incroyable de patients en soins intensifs, tel que nous en n’avions jamais connu auparavant, donc l'augmentation des complications thromboemboliques semble évidente. Au cours des années précédentes, nous n'avons probablement pas eu suffisamment de patients gravement malades à un moment donné pour lever l’alerte sur la thromboprophylaxie », a-t-il commenté.

Une prédilection pour les complications cardiovasculaires

L'étude a également révélé un taux élevé de complications cardiovasculaires. Les chercheurs constatent une augmentation du risque d'infarctus du myocarde, ce qui est à prévoir chez ces patients malades, mais ils voient également quelques nouveaux cas de fibrillation auriculaire, myocardite et insuffisance cardiaque chez les patients qui n'ont pas toujours une maladie cardiovasculaire sous-jacente » déclare-t-il.

« Ce virus semble donc avoir une prédilection pour les complications cardiovasculaires, probablement parce qu'il rend les patients gravement malades », selon le Dr Piazza.

« Si la grippe était aussi virulente et entraînait des taux aussi élevés de syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA), nous verrions probablement des taux de complications cardiovasculaires similaires ».

Dans l’étude en question, les chercheurs ont analysé une cohorte rétrospective de 1114 patients atteints de Covid-19 diagnostiqués via le réseau de santé intégré au Mass General Brigham. Parmi ceux-ci, 170 avaient été admis à l'unité de soins intensifs, 229 avaient été hospitalisés mais non traités en unité de soins intensifs et 715 étaient des patients ambulatoires. En termes d'ethnicité, 22% étaient hispaniques / latino et 44% n'étaient pas blancs. Les facteurs de risque cardiovasculaire étaient courants, 36% des patients souffrant d'hypertension, 29% d'hyperlipidémie et 18% de diabète.

Evénements thromboemboliques majeurs

Une anticoagulation prophylactique a été prescrite à 89% des patients atteints de Covid-19 dans la cohorte de soins intensifs et à 85% de ceux en milieu hospitalier de soins non intensifs. Les résultats ont montré qu'une thromboembolie artérielle ou veineuse majeure est survenue chez 35% de la cohorte de soins intensifs, 2,6% de ceux hospitalisés mais non traités en unités de soins intensifs (USI) et 0% des patients ambulatoires. Des événements cardiovasculaires indésirables majeurs sont survenus dans 46% de la cohorte de soins intensifs, 6,1% de ceux hospitalisés mais non en USI et 0% des patients ambulatoires.

Une thromboembolie veineuse symptomatique est survenue chez 27% des patients admis en USI, 2,2% des patients hospitalisés mais non en USI et 0% des patients ambulatoires. «Nous avons constaté que les patients ambulatoires avaient un taux très faible de complications thromboemboliques, la grande majorité du risque étant chez les patients hospitalisés, en particulier ceux des soins intensifs », a déclaré le Dr Piazza. « Ces résultats suggèrent que nous n'avons pas besoin de thromboprophylaxie de routine pour tous les patients ambulatoires atteints de Covid-19, mais il y aura probablement certains patients qui en auront besoin – ceux qui présentent des facteurs de risque de thromboembolie ».

 
Ces résultats suggèrent que nous n'avons pas besoin de thromboprophylaxie de routine pour tous les patients ambulatoires. Gregory Piazza
 

La thrombose veineuse profonde (TVP) associée au cathéter et au dispositif représentait 76,9% des TVP observées dans l'étude. « Notre découverte de la fréquence élevée de TVP associée aux cathéters justifie l'utilisation judicieuse de cathéters veineux centraux qui ont été largement mis en œuvre, en particulier dans les USI, pour minimiser l'exposition récurrente des professionnels de santé et faciliter la surveillance », considèrent les chercheurs.

SDRA, le plus grand facteur de risque

De tous les marqueurs de gravité de la maladie, la présence d’un SDRA est celui qui présente la plus forte association avec des complications graves, telles qu’une thromboembolie artérielle ou veineuse majeure, des événements cardiovasculaires indésirables majeurs, une thromboembolie veineuse symptomatique ou encore le décès.

« L'état inflammatoire sévère associé au SDRA et aux autres complications du Covid-19 et l’hypercoagulabilité qui en résulte peuvent expliquer, au moins en partie, la fréquence élevée des événements thromboemboliques.

« L’amélioration de la stratification des risques, l’utilisation de marqueurs biochimiques de l'inflammation et de l’activation de la coagulation activée ainsi que marqueurs cliniques, tels que le SDRA, peuvent jouer un rôle important dans l'identification précoce des patients présentant une probabilité accrue de développer une TEV symptomatique ou une thrombose artérielle », écrivent les chercheurs.

« Ils pourront ainsi bénéficier d'une thérapie antithrombotique plus intensive plutôt que d'une anticoagulation prophylactique ».

Mieux stratifier les risques

Ils soulignent que cette étude fournit une vue en coupe transversale des complications cardiovasculaires de la maladie Covid-19 dans un grand réseau de soins de santé, composé de deux centres médicaux universitaires desservant la grande région de Boston, plusieurs hôpitaux communautaires et de nombreux sites de soins ambulatoires. « L'étude intègre un large éventail de paramètres cardiovasculaires cliniquement significatifs et procède à un arbitrage rigoureux des événements. Bien que rapporter les données sur les patients atteints de Covid-19 dans les USI ait fait l'objet de nombreuses études, notre étude donne un large aperçu du spectre de toutes les populations hospitalisées et ambulatoires », notent les auteurs. « La fréquence élevée de thromboembolie artérielle ou veineuse chez les patients hospitalisés malgré une thromboprophylaxie de routine suggère la nécessité d'une meilleure stratification des risques et de plus grands efforts de prévention », concluent-ils.

 
La fréquence élevée de thromboembolie artérielle ou veineuse chez les patients hospitalisés malgré une thromboprophylaxie de routine suggère la nécessité d'une meilleure stratification des risques et de plus grands efforts de prévention.
 

L'étude se poursuit et les chercheurs attendent des données sur 10 000 patients d'ici la fin de l'hiver.

Attendre les essais randomisés

Dans un éditorial accompagnant l’article, le Dr Robert McBane (Mayo Clinic, Rochester, Minnesota), considère que ces données fournissent des données importantes quant aux taux d'événements thrombotiques artériels et veineux dans le « monde réel » [2]. Il note cependant qu’avant de leur attribuer une interprétation – alarmants ou rassurants –, il faut les comparer aux taux d'événements thromboemboliques attendus hors de la pandémie, il souligne que si le taux global de TEV parmi les patients en USI était élevé, la grande majorité de ces événements étaient attribuables à la pose de voies veineuses centrales et qu’à part cela, les taux d'événements ne semblaient pas exagérés par rapport aux taux d'incidence publiés précédemment et relatifs à l'ère pré-Covid-19.

« Il est donc important de résister à l'envie de sur-prévenir ou de sur-traiter les patients et de les exposer à de graves risques d'hémorragie majeure », écrit McBane.

"Un certain nombre d'essais cliniques importants visant à optimiser la thromboprophylaxie pendant l'hospitalisation, après le renvoi de l'hôpital et en milieu ambulatoire sont en cours. Jusqu'à ce qu'ils soient disponibles, les leçons de la prophylaxie anticoagulante réfléchie et les lignes directrices de traitement tirées d'années de recherche clinique semblent s'appliquer", conclut-il.

Cette étude a été financée en partie par une subvention de recherche de Janssen Pharmaceuticals. Le Dr Piazza a reçu une subvention de recherche d'EKOS Corporation, Bayer, Bristol-Myers Squibb / Pfizer, Portola Pharmaceuticals et Janssen Pharmaceuticals et des honoraires de consultant de la part d'Amgen, Pfizer, Boston Scientific, Agile et Thrombolex. McBane ne rapporte aucun lien d’intérêt pertinent.

L’article a été publié initialement sur Medscape.com sous le titre COVID-19: Thromboembolic Events High Despite Prophylaxis. Traduit par Stéphanie Lavaud.

 

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