France -- Fin 2019, se tenait un Grenelle contre les violences conjugales, dont une des préconisations fortes était de donner aux professionnels de santé la possibilité de déroger au secret médical en cas de danger immédiat pour la victime. C’est chose faite depuis la loi du 30 juillet 2020, qui modifie l’article 226-14 3° du code pénal. Pour en faciliter l’application par les professionnels, un vade-mecum a été rédigé en collaboration avec la Haute autorité de santé (HAS) et le Conseil national de l’Ordre des médecins [1]. Il est disponible sur le site de celui-ci (voir ici).
Danger vital immédiat et emprise
La levée du secret médical est donc possible si deux conditions sont réunies:
Les violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat, faisant craindre une issue fatale.
La victime est sous l’emprise de l’auteur des violences.
Cette levée s’effectue par un signalement adressé au Procureur de la République et envoyé par courrier électronique à l’adresse mail structurelle de la permanence du parquet compétent (lieu des faits), dont les messages sont traités en temps réel par le magistrat du parquet de permanence.
Le professionnel est tenu de chercher à obtenir le consentement de la victime pour entamer cette démarche, mais il n’est pas tenu de l’obtenir si « en son âme et conscience », il estime que cette victime est à risque de danger vital immédiat. Cependant, il doit l’informer du signalement. Précision d’importance : la loi ne crée pas d’obligation de signalement pour le soignant.
Victime et agresseur peuvent être liés au sein d’un couple par un mariage, un concubinage, un PACS actuel ou passé, et ce même en l’absence de cohabitation actuelle.
Enfin, « la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire du médecin qui effectue un signalement dans les conditions indiquées ci-dessus ne peut pas être engagée, sauf s'il est établi qu'il n'a pas agi de bonne foi. »
Rédiger prudemment et sans jugement
Le vade mecum propose plusieurs outils d’aide au signalement. En premier lieu, une fiche de signalement. Le texte rappelle que celui-ci « est soumis aux règles rédactionnelles de prudence concernant le recueil des faits ou commémoratifs et des doléances exprimées par la personne ». Il convient pour
« les faits ou commémoratifs de noter les déclarations de la personne entre guillemets sans porter aucun jugement ni interprétation ;
pour les doléances exprimées par la personne de les noter de façon exhaustive et entre guillemets. »
Le vade mecum propose également une liste de critères d’évaluation du danger et de l’emprise, « ni impératifs ni exhaustifs ». Un document pédagogique rappelle qu’en droit public, l’emprise est un « processsus de dépossession », induisant un rapport de domination pouvant aller jusqu’à l’asservissement. Cette domination peut être physique et/ou morale, expliquant que le plus souvent les victimes n’osent en parler à personne.
Travailler en lien avec le secteur social, associatif, médico-social et judiciaire
C’est pourquoi la HAS recommande au médecin « d’aborder systématiquement la question des violences avec chacune de ses patientes. » Elle rappelle qu’« en moyenne, en France, 219 000 femmes âgées de 18 à 75 ans sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles commises par leur ancien ou actuel partenaire intime, au cours d’une année » et que « seulement 19 % de ces victimes déclarent avoir déposé une plainte auprès de l’autorité (gendarmerie ou commissariat de police) à la suite de ces violences », à l’origine de 121 femmes tuées en 2018.
Elle souligne enfin l’importance de travailler en lien avec les acteurs du secteur social, associatif, médico-social et judiciaire. À noter enfin qu’une revue Cochrane récente conclut que « si les thérapies psychologiques améliorent probablement la santé émotionnelle, il n'est pas certain que cette approche réponde aux besoins permanents des femmes en matière de sécurité, de soutien et de guérison holistique de traumatismes complexes [2]. »
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Cet article a été initialement publié sur Univadis.fr, du groupe Medscape.
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Citer cet article: Violences conjugales et levée du secret professionnel : quand et comment ? - Medscape - 23 oct 2020.
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