Quelle prise en charge du COVID-19 en réanimation aujourd’hui? Le Pr Poissy fait le point

Vincent Richeux

21 octobre 2020

Lille, France -- Comment a évolué la prise en charge en réanimation des formes graves de Covid-19? Le Pr Julien Poissy (Pôle de médecine intensive/réanimation, Hôpital R Salengro, CHRU de Lille) nous fait le point sur les différentes stratégies mises en place, après une description de la situation observée actuellement dans son service, où la hausse rapide des admissions en réanimation fait craindre à nouveau des difficultés.

Pr Julien Poissy

« Les progrès dans la prise en charge des patients Covid-19 en réanimation restent assez modestes », a tout d’abord tenu à préciser le médecin réanimateur, également responsable d’unité. « Dans notre service, pendant la première vague, la mortalité était de 20 à 25% chez ces patients. Il est probable qu’elle soit assez similaire au cours de cette deuxième vague, qu’importe les moyens déployés. »

Pourtant, à la sortie de l’été, les profils des patients admis ont laissé espérer une amélioration. « On a eu l’impression, début septembre, de voir moins de formes sévères arriver en réanimation. Mais, aujourd’hui, malheureusement, en termes de gravité et de progression de la maladie, les patients sont les mêmes que ceux observés pendant la première vague. »

« Finalement, les cas les plus graves arrivent maintenant, certainement en raison de la dynamique de l’épidémie », estime le Pr Poissy, qui suggère une possible intensification de la circulation du virus chez les plus âgés. « On observe toujours une moyenne d’âge de plus de 60 ans chez les patients Covid admis en réanimation, mais on voit aussi des sujet jeunes, avec des facteurs de gravité connus », comme une surcharge pondérale. 

Selon le médecin réanimateur, il reste encore difficile de savoir si l’évolution de la prise en charge en amont, qui intègre désormais une administration précoce d’anticoagulants et de corticoïdes, permet de réduire le passage en réanimation.

Des préoccupations d’ordre logistique

« Notre préoccupation majeure est plutôt d’ordre logistique. Cette fois, il nous faut éviter, à tout prix, que les patients non Covid-19, comme ceux atteints de cancers ou de maladies cardiovasculaires, n’aient plus accès au système de soins, comme cela a été observé lors de la première vague ».

La hausse du flux de patients Covid-19 admis en réanimation constatée au CHU de Lille ces derniers jours laisse toutefois craindre une saturation. Le taux d’occupation des lits de réanimation par des patients COVID-19 « a été multiplié par deux en une semaine », a indiqué le Pr Poissy.

Pour faire face à l’afflux de patients, la capacité d’accueil en réanimation a été augmentée, au détriment de l’activité non-Covid. « Actuellement, sur 62 lits de réanimation, la moitié sont occupés par des patients Covid-19. La semaine dernière, on était à 30% avec moins de lits. »

Le réanimateur évoque également des difficultés à recruter et à mobiliser du personnel qualifié, alors que les équipes de soignants en place montrent des signes de fatigue. « On s’adapte, mais il faut en être conscient : les semaines à venir vont être difficiles ».

Oxygénothérapie: Optiflow ou CPAP avant tout

Concernant la prise en charge des patients en réanimation, les changements majeurs portent tout d’abord sur le traitement de l’hypoxie. Il semble désormais plus approprié de retarder le plus possible la ventilation mécanique invasive chez certains patients atteints de formes sévères, d’autant plus que les lésions pulmonaires retrouvées initialement ne sont pas celles attendues dans un syndrome de détresse respiratoire aigües (SDRA) habituel.

Pour rappel, l’oxygénothérapie nasale à haut débit (Optiflow) et la ventilation non invasive sous pression positive continue (CPAP) ont été initialement déconseillées, par crainte de retarder la ventilation mécanique et en raison du risque de transmission du virus par aérosolisation. Alors que l’intubation précoce était recommandée en cas d’insuffisance respiratoire aiguë hypoxémique sévère, c’est désormais l’Optiflow et le CPAP qui s’imposent en première intention.

« On s’est rendu compte que certains patients tolèrent bien l’hypoxie. On s’est donc permis de laisser plus longtemps les patients sous oxygénothérapie, même avec un niveau assez important d’oxygéno-dépendance, et ce dans l’espoir de ne pas procéder à une intubation », souligne le Pr Poissy. « Pour autant, à un moment, l’insuffisance respiratoire est telle que l’intubation devient incontournable ».

Interrogé en avril dernier par Medscape édition française, alors qu’il était de plus en plus évident que le SDRA associé au Covid-19 apparaissait inhabituel, le réanimateur avait précisé qu’il ne fallait pas abandonner l’intubation. Selon lui, « le fait de recourir à l’Optiflow et de tolérer des montées importantes de fractions inspirées en oxygène aboutissent parfois à des intubations tardives qui sont délétères pour les malades ».

L’intubation davantage personnalisée

Néanmoins, la mise en place d’une oxygénothérapie implique une surveillance plus importante de la part de l’équipe médicale. Selon le Pr Poissy, « la hausse actuelle des admissions en réanimation pourrait amener à favoriser le recours à l’intubation dans un souci de mise en sécurité. Les pratiques peuvent évoluer en fonction du flux de patients et de la charge en soins ».

Le choix entre l’oxygénothérapie et la ventilation mécanique invasive dépend également du profil du patient. « La maladie peut se présenter sous des formes différentes. Certains patients ont un syndrome interstitiel, d’autres des condensations pulmonaires importantes, en présence ou non d’une forte inflammation, d’une obésité ».

En catégorisant les patients, « on peut déterminer lesquels peuvent supporter une hypoxie » avant d’envisager une éventuelle intubation. L’approche adoptée pour traiter les patients oxygèno-dépendants « est davantage individualisée ».

Sur ce point, « il y a eu une amélioration dans notre service » depuis le début de l’épidémie.

Menée par une équipe de l’hôpital Louis-Mourier, à Colombes (AP-HP), une étude a montré l’intérêt de recourir à l’indice ROX, combinant les paramètres respiratoires d’un patient et la quantité d’oxygène administré, pour prédire rapidement la réponse à l’oxygénothérapie à haut débit et identifier les patients nécessitant une intubation.

Corticostéroïdes: la dexaméthasone validée

Au début de l’été, l’essai britannique RECOVERY a confirmé ce que de nombreux médecins ont observé sur le terrain, à savoir que la dexaméthasone réduit la mortalité d’un tiers chez les patients sous ventilateur et d’un cinquième chez ceux placés sous oxygène. Il n’y a, en revanche, pas de preuve du bénéfice de ce corticoïde chez les patients ne nécessitant pas d’assistance respiratoire [1].

Il s’agit du premier médicament à avoir montré une baisse de mortalité chez des patients atteints de Covid-19. D’autres études se sont montrées depuis en faveur de la dexaméthasone. Sur la base de ces résultats, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a mis à jour ses recommandations et préconise l’utilisation des corticostéroïdes systémiques dans les formes graves et critiques de Covid-19.

« Les patients reçoivent de la dexaméthasone dès qu’ils sont mis sous oxygène », en appliquant le protocole de l’essai RECOVERY (6 mg/jour pendant dix jours), a précisé le Pr Poissy. « La corticothérapie est administrée plus précocément que lors de la première vague. En général, lorsque les patients arrivent en réanimation, ils sont déjà sous corticoïdes. »

« Il reste toutefois des incertitudes sur le protocole à appliquer chez les patients dont l’état s’aggrave en basculant vers un SDRA. On s’interroge sur l’intérêt de renforcer le traitement par dexaméthasone en passant à une dose de 20 mg/jour. » 

Le délai d’administration en question

Des interrogations subsistent également sur le risque éventuel d’effet rebond inflammatoire après l’arrêt du traitement. « La question est de savoir s’il faut remettre des corticoïdes et, si oui, à quelle dose. Il faut alors tenir compte de l’état du patient qui peut parfois rendre l’usage des corticoïdes plus complexe ».

Le délai d’administration est également questionné. Certaines équipes préfèrent, en effet, mettre sous corticoïdes en respectant un délai de sept jours après apparition des symptômes, lorsque débute potentiellement la phase immuno-inflammatoire. « Initiée trop tôt, lorsque le patient est encore majoritairement en phase de réplication virale, la déxamethasone pourrait s’avérer non bénéfique. »

Cette hypothèse s’appuie sur l’expérience obtenue dans la prise en charge de syndromes respiratoires aigus liés à des infections virales, comme la grippe, pour laquelle « la corticothérapie précoce s’est montrée délétère ». Dans le cas du MERS-CoV, apparenté au SARS-CoV2, « on a observé une prolongation de l’excrétion virale » chez les patients trop rapidement traités par corticoïdes.

La phase immuno-inflammatoire étant plus tardive pour la Covid-19, le délai idéal d’administration de la corticothérapie reste toutefois en débat. « Globalement, il y a une généralisation de la corticothérapie précoce, mais avec des petites hétérogénéités dans le délai d’introduction des corticoïdes », résume le Pr Poissy.

Anticoagulants: des recommandations « satisfaisantes »

Concernant la mise sous anticoagulant des recommandations ont été émises, à un niveau international, mais aussi national, avec des propositions conjointes du Groupe d’étude sur l’hémostase et la thrombose (GEHT) et du Groupe d’intérêt en hémostase préopératoire (GIHP). Celles-ci décrivent les situations cliniques justifiant la prescription d’un traitement anticoagulant à visée curative ou prophylactique.

Pour rappel, plusieurs études ont montré que les patients infectés par le SARS-CoV-2 ont un risque élevé de complications thromboemboliques, en particulier dans les formes les plus graves, qui semble associé à une réponse inflammatoire excessive. Un taux d’embolie pulmonaire de 23% a ainsi été rapporté par le CHU de Besançon chez des patients hospitalisés avec des difficultés respiratoires liées à l’infection.

Cibler la thrombose intra-alvéolaire?

« Les recommandations du GEHT/GIHP sont pour nous satisfaisantes », estime le Pr Poissy. « Lors de l’admission des patients Covid en réanimation, une angioscanner pulmonaire est réalisé de manière systématique. Ceux qui présentent des thromboses pulmonaires sont ceux qui n’ont pas encore reçu d’anticoagulants ».

Alors que les recommandations visent à réduire le risque de thrombose intravasculaire, une autre approche prévoit de cibler en plus la thrombose intra-alvéolaire en administrant le fibrinolytique alteplase (rt-PA) par inhalation. « Un essai de phase 2 est actuellement mené au Royaume-Uni dans les formes sévères de Covid. Nous aimerions également tester cette piste dans notre service. »

Des analyses histologiques ont, en effet, révélé la présence de dépôts de fibrine à l’intérieur des alvéoles pulmonaires des patients infectés, qui seraient liées à la réaction immuno-inflammatoire. « Une dysfonction endothéliale d’origine inflammatoire, voire virale, serait l’une des explications à la présence de ces dépôts », qui peuvent conduire au développement d’une fibrose au niveau alvéolaire.

Anticorps anti-cytokines: un intérêt à prouver

Parmi les rares médicaments ayant fait naitre une lueur d’espoir dans la prise en charge des formes sèvères de Covid-19 figurent les thérapies ciblant les interleukines, rapidement envisagées pour tenter d’atténuer l’orage cytokinique, qui se déclenche en réponse à l’infection par le SARS-CoV2 chez 5 à 10% des patients.

Les anti-interleukines 6 sont rapidement apparues comme des options thérapeutiques potentielles. Le tocilizumab (Roactemra®, Roche) a été le premier à donner des résultats positifs dans l'essai français randomisé CORIMUNO-TOCI qui a rapporté, en avril dernier, une amélioration du pronostic chez les patients avec une forme modérée à sévère de pneumonie liée au Covid. La publication des résultats se fait toutefois toujours attendre.

D’autres biothérapies visant les interleukines font l’objet d’études, comme l’anti-IL1 anakinra (Kineret®, Swedish Orphan Biovitrum SARL), qui a montré des résultats prometteurs dans une étude observationnelle chez des patients atteints du SARS-CoV-2 oxygénorequérants et risquant à court terme un transfert en soins intensifs [2]. Dans l’ensemble, l’intérêt de ces traitements reste à prouver.

Nécessité de personnaliser l’immunomodulation

L’essai français de phase 2 FORCE prévoit également d’évaluer l’avdoralimab, un anticorps visant la voie C5a/C5aR, qui serait davantage activée chez les patients développant une forme sévère de Covid-19. Le C5a favorise un environnement inflammatoire, en stimulant notamment la libération de cytokines par les cellules immunitaires. « Il s’agit d’une piste intéressante », a commenté le Pr Poissy.

Quoi qu’il en soit, « une utilisation généralisée de ces traitements n’est pas d’actualité. Aucune donnée ne permet pour le moment de l’envisager », poursuit le spécialiste. « Cette approche pourrait s’avérer bénéfique chez certains patients présentant en état très inflammatoire. Ceci dit, ces profils semblent moins fréquents que lors de la première vague, probablement grâce aux corticoïdes. »

« Le problème avec ces études évaluant un traitement par immunomodulation, c’est qu’elles ne passent pas par une catégorisation des patients. Or, ce type d’approche ne peut pas être envisagée sans être personnalisée », en vérifiant notamment le niveau de l’inflammation.

Antiviraux: le remdesivir décevant

En ce qui concerne l’utilisation de l’antiviral remdesivir, « il existe encore beaucoup d’incertitudes sur l’efficacité et la tolérance », a conclu récemment la Haute autorité de santé (HAS) dans son évaluation sur l’intérêt de l’antiviral dans le traitement des patients Covid-19.

Les experts mobilisés par la HAS se montrent donc partagés sur le rapport bénéfice-risque de la molécule dans cette indication, alors que l’Agence européenne du médicament (EMA) a rapidement attribué une AMM conditionnelle au remdésivir dans les formes sévères de Covid-19 chez les patients oxygéno-requerants.

« Le service médical rendu est jugé faible compte tenu des données actuelles préliminaires. Le remdesivir ne montre pas à ce stade d’effet global sur la mortalité à 14 jours, avec un possible effet suggéré uniquement chez les patients qui nécessitent une oxygénothérapie à faible débit », indique la HAS.

La semaine dernière, les résultats intermédiaires de SOLIDARITY, un vaste essai international coordonné par l’OMS, ont confirmé l’inefficacité du remdesivir ainsi que de l’hydroxychloroquine, de l’antiviral lopinavir et de l’interféron- β1a - chez les patients hospitalisés, que ce soit en termes de mortalité, de mise sous respirateur ou de durée d’hospitalisation. 

Des problèmes de sécurité

S’agissant de la combinaison de médicaments antiviraux lopinavir et ritonavir, elle s’est également avérée décevante. En juillet, l’OMS a suspendu les essais cliniques en l’absence d’efficacité. Le profil de sécurité est également insatisfaisant puisqu’une étude a montré que le traitement provoquerait une bradycardie chez près d’un quart des patients Covid-19 âgés et gravement malades.

Au CHU de Lille, « le remdesivir, tout comme l’association lopinavir/ritonavir, ont été très peu utilisés », en dehors des essais cliniques, comme DISCOVERY, auquel le service de réanimation participe. « Les résultats n’ont pas été concluants et des effets secondaires ont été observés, ce qui a conduit à un arrêt rapide des traitements par antiviraux en usage compassionnel, en particulier avec le lopinavir/ritonavir ».

« Rappelons que les patients arrivant en réanimation ne sont plus, pour la majorité d’entre eux, dans une problématique de réplication virale. Seuls les malades qui restent excréteurs de virus, de manière prolongée ou diffuse, pourraient bénéficier d’un traitement antiviral, dont on ne dispose pas pour le moment. »

Antibiothérapie: des pratiques habituelles

Concernant le recours aux antibiotiques, le Haut conseil de la santé publique (HCSP) a émis, en mai dernier, des recommandations pour orienter les praticiens, en se basant sur les données de la littérature disponible pour évaluer la pertinence d’une antibiothérapie chez les patients Covid-19, notamment en réanimation.

De manière générale, chez le patient avec infection à SARS-CoV-2 confirmée, « il n’y a pas d’indication à prescrire ou poursuivre une antibiothérapie en l’absence de foyer infectieux bactérien documenté ». Chez les patients hospitalisés en réanimation pour une forme grave suspecté ou confirmée de Covid-19, une antibiothérapie probabiliste après prélèvements bactériologiques (hémoculture et prélèvements respiratoires) doit être discutée dans les situations suivantes:

-   Présence d’une symptomatologie clinique et radiologique évoquant une co-infection bactérienne;

-   Détresse respiratoire aiguë nécessitant la ventilation mécanique invasive;

-   Critères de choc septique (vasopresseurs et lactatémie supérieure à 2 mmol/L) avant documentation microbiologique.

La HCSP évoque le cas particulier de l’azithromycine, antibiotique de la famille des macropodes, dont la prescription a augmenté de 217% depuis le début de l’épidémie, en raison d’un effet immunomodulateur et antiviral supposé. « Dans l’infection par le SARS-CoV-2, la littérature n’apporte pas d’argument pour proposer la prescription d’azithromycine », a conclu le haut conseil.

« Sur ce point, il n’y a rien de nouveau », précise le Pr Poissy. « On recherche en routine un foyer infectieux bactérien et la présence éventuelle d’une aspergillose pulmonaire, qui a été rapportée chez certains patients Covid hospitalisés en réanimation. L’antibiothérapie est à envisager uniquement en cas de sur-infection. »

 

 

 

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....