POINT DE VUE

Urgences: pourquoi la seconde vague sera gérée différemment ?

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

21 octobre 2020

France -- Dans ce contexte exceptionnel de l’épidémie de Covid et en raison de la rapidité d’évolution de la détresse respiratoire, les SAMU (Service d’Aide Médicale Urgente) /SMUR (Service Mobile d'Urgence et Réanimation) de France ont été particulièrement impliqués dans la gestion extra-, intra et inter-hospitalière des patients infectés par le SARS-CoV-2. Les urgentistes ont dû prendre en charge des détresses respiratoires en missions primaires mais ont également dû assurer des transferts, et notamment l’évacuation sanitaire de plus de 600 patients depuis des zones en tension vers des zones moins sévèrement touchées. C’est la première fois de leur histoire que les SAMU/SMUR de France doivent « faire face à une crise d’une telle ampleur et à prendre en charge un nombre aussi important de patients sous ventilation mécanique dans un temps resserré » peut-on lire dans un article qui vient de paraitre dans Ann. Fr. Med. Urgence (voir encadré) [1]. Nous avons demandé au Dr Dominique Savary (chef du département de médecine d'urgence au CHU d'Angers), dernier auteur de cet article, ce que les urgentistes des SAMU et SMUR avaient appris de cette première vague et de quelle façon l’expérience acquise allait permettre de mieux affronter la prochaine.

Medscape édition française : Quels sont les retours d’expérience des SMUR? Quelles pratiques avez-vous été obligé d’adapter du fait de l’ampleur de l’épidémie et de la méconnaissance que l’on avait du virus?

Dr Dominique Savary : La prise en charge des cas les plus graves, notamment en détresse respiratoire, a relevé de la mission des SAMU. Les SMUR sont donc sortis pour aller chercher ce type de patients, qu’il fallait le plus souvent ventiler et qui étaient potentiellement à risque d’aérosolisation et d’infection du personnel. D’où la mise en place de mesures très strictes de prise en charge de ces patients avec un équipement complet des professionnels de santé – dont le SAMU a l’habitude.

La modification la plus importante de nos pratiques a concerné la ventilation qu’il a fallu adapter aux patients avec un Syndrome de Détresse Respiratoire Aigu (SRDA). Les disparités de moyens entre régions et la nécessité, dans de nombreux centres hospitaliers, de réquisitionner des ventilateurs de transport afin de créer des lits de réanimation supplémentaires ont contraint les médecins urgentistes à utiliser des ventilateurs de transport auxquels ils étaient parfois moins habitués, chez des patients pourtant précaires sur le plan respiratoire. Et pour couper court à toute polémique, il s’est avéré que même si ce n’était pas des ventilateurs de 1er plan, ils étaient tout à fait adaptés à la prise en charge de patients SDRA. Dans le but d’homogénéiser les pratiques, la SFMU a d’ailleurs édité dès le 2 avril 2020 des recommandations d’usage pour la ventilation des patients Covid-19 sur ce type d’appareils.

La modification la plus importante de nos pratiques a concerné la ventilation qu’il a fallu adapter aux patients avec un Syndrome de Détresse Respiratoire Aigu.

L’oxygénothérapie a, elle aussi, évolué ?

Dr Dominique Savary : On se souvient que le recours préalable à l’utilisation de ventilation non invasive (VNI) ou à l’oxygénation à haut débit (OHD) était, au départ, non recommandé du fait du fort risque d’aérosolisation de particules virales – laquelle faisait très peur au début de l’épidémie. On pensait qu’avec l’utilisation d’oxygène à haut débit, on risquait de contaminer tout le monde. Avec les travaux des équipes italiennes notamment, on s’est rendu compte que l’on n’était pas obligé de ventiler tous les patients souffrant de SDRA d’emblée, que l’OHD permettait de passer un cap et ne transmettait pas la maladie de façon majeure si les personnels étaient protégés.

Certaines équipes ont aussi utiliser la CPAP type Boussignac. C’était un peu du bricolage au début et cela a peut-être fait peur aux praticiens, mais on a vu que cela marchait bien, et que cela pouvait être une solution à prendre en compte notamment dans des pays en voie de développement. Il a même été proposé que l’on ventile deux patients avec un même respirateur, en utilisant une connectique en Y. Cette expérience, en revanche, n’a pas été reproduite car les besoins des 2 patients ne sont jamais les mêmes. Au final, je ne pense pas qu’il y ait d’inquiétude à avoir sur la prise en charge ventilatoire de ces patients. Il s’agit de ventiler des SDRA pathologie où le poumon est le siège de remaniements de son architecture avec une compliance abaissée du fait de la perte d’espaces aériens (« babylung »).

Quels sont les autres points positifs à retenir de cette première vague ?

Dr Dominique Savary : Cette crise sanitaire a amené plusieurs innovations, et notamment l’organisation de la ventilation mécanique dans des vecteurs de transport tout à fait inhabituels. Les gens ont proposé, inventé, créé au profit des patients. Les équipes grenobloises ont ainsi participé à la conception d’une bulle de confinement pour le transport des patients. On peut aussi citer les dispositifs servant à limiter l’aérosolisation des patients oxygénés ou ventilés. Quand on a vu apparaitre ces masques de plongée Décathlon, cela a pu faire sourire, mais nous les avons testés et ce système est intelligent. Ce qui a bien marché également, c’est le transfert de nombreux patients ventilés sur de longues distances avec des moyens de transport inédits. Car, en plus de cette nécessité de gérer un grand nombre de malades atteints de SDRA, les médecins urgentistes ont également, du fait d’une saturation du système sanitaire dans certaines régions, participé par leurs missions de transfert secondaire à l’évacuation sanitaire de patients depuis des zones en tension vers des zones moins sévèrement touchées. A ce titre, les transferts en TGV ont été une première mondiale. Ainsi, les équipes des SAMU/SMUR de France ont collaboré, ensemble et avec les équipes militaires dépêchées par le ministère de la Défense, au transfert de plus de 600 patients par trains, avions, hélicoptères sanitaires ou militaires, bateaux militaires et par voie terrestre.

Ce qui a bien marché également, c’est le transfert de nombreux patients ventilés sur de longues distances avec des moyens de transport inédits.

En quoi la situation sanitaire actuelle est-elle différente de la première ?

Dr Dominique Savary : Au printemps, la régulation médicale des SAMU a été touchée en premier. Nous savions, 8-10 jours avant que les patients n’arrivent aux urgences, que la première vague allait arriver. Cette régulation a été un marqueur de ce qui allait se passer. On l’avait déjà vécu avec la grippe H1N1. Cela n’a rien à voir, en revanche, avec ce qui se passe aujourd’hui. Au printemps, les zones les plus concernées était l’Est de la France et Paris, alors qu’aujourd’hui, toute la France est touchée.

De fait, on a l’impression que les transferts (par TGV, avion, hélico) qui ont eu lieu lors de la première vague vont être rendus plus difficiles maintenant, car c’est l’ensemble du territoire qui est touché.

Les transferts en TGV ont été une première mondiale.

 

Certaines régions, comme celles du grand-ouest, sont pourtant relativement préservées à l’heure actuelle ?

Dr Dominique Savary : Oui et non. Nous sommes préservés en ce qui concerne le nombre de patients Covid + dans nos réanimations – une dizaine au CHU d’Angers – mais pour autant, les services de réa sont remplis de patients qui présentent d’autres pathologies – peut-être faut-il y voir la répercussion de la première vague où les patients ne sont pas venus se faire soigner à l’hôpital et décompensent aujourd’hui de leur maladie chronique.

En quoi cette nouvelle vague s’annonce-t-elle différente de la première ?

Dr Dominique Savary : Elle est totalement différente. On voit arriver les patients aux urgences sans qu’il y ait eu une augmentation des appels en régulation. On avait une équipe prête à renforcer la régulation que l’on utilise plutôt aux Urgences. Nos lits sont occupés car on continue à traiter des patients (hors Covid) qui en ont besoin. Cette vague est donc finalement plus compliquée à gérer aujourd’hui dans notre zone géographique. Néanmoins, nous sommes mieux organisés et donc davantage prêts à faire face à une augmentation de l’afflux de patients que lors de la première vague.

Avec ce que nous avons appris de la ventilation et de la corticothérapie – qui a largement changé la prise en charge des patients oxygénodépendants –, nous sommes aussi mieux armés.

 

« Retour d’expérience - Crise Covid-19 »

Les Annales Françaises de Médecine d’Urgence proposent dans un numéro double une série d’articles décrivant ce travail de retour d’expérience qui « est loin d’être exhaustif puisque centré sur la médecine d’urgence ». Dans un premier éditorial, le rédacteur en chef de la revue, le Pr Bruno Riou (service d’accueil des urgences, hôpital Pitié-Salpêtrière) y rappelle que « la mobilisation remarquable et remarquée de tous les acteurs de notre système de santé a permis de tenir face à cette crise majeure, en innovant et en « sortant du cadre », « une qualité souvent nécessaire dans la gestion de crise » [2]. Ce numéro de la revue fait sans tarder, précise-t-il, « l’analyse de ce qui a marché, comme des dysfonctionnements » mais, surtout, pointe « les pistes d’amélioration pour les prochaines crises qui ne manqueront pas de survenir ». Dans un deuxième éditorial, le Pr François Braun (chef de pôle des urgences du CHR de Metz-Thionville) précise que l’objectif était de « tirer les enseignements d’une crise » et non « pas uniquement d’analyser comment la crise a été gérée en se demandant ce qu’il aurait fallu faire pour la gérer autrement, mais comment, en fonction de ce qui s’est passé, améliorer nos capacités à affronter la crise future qui, par définition, ne ressemblera pas à celle-ci » [3]. Pour l’urgentiste moissellois, cette crise sanitaire - inédite - a été « un véritable stress-test pour notre système de santé, démontrant que lorsque soignants et administratifs travaillent avec le même objectif, font preuve d’agilité, d’adaptabilité, nous pouvons tous donner le meilleur de nous-mêmes ».

 

 

 

 

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