
Pr Eric Galam
France -- Alors que la seconde vague de Covid-19 est là, le Pr Eric Galam, qui avait partagé avec nous son vécu de médecin généraliste lors de la première vague de l’épidémie, a accepté de nous décrire la situation qu’il vit aujourd’hui dans son cabinet de ville du 18ème arrondissement de Paris, en zone d’alerte maximale.
Medscape édition française : Le nombre de patients Covid que vous voyez est-il en augmentation constante ?
Pr Eric Galam : Nous voyons beaucoup plus de cas de Covid depuis trois semaines, plus de patients qui reviennent avec des tests positifs. Peu encore sont hospitalisés. Nous avons cru que la crise était temporaire alors qu’elle ne l’est pas. Tout le monde, moi y compris, étions dans l’espoir si ce n’est dans le déni.
Sur le terrain, une des problématiques à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui est que toute personne qui a un syndrome grippal est un cas de Covid potentiel. En attendant les résultats des tests, nous donnons des arrêts de travail sans savoir s’ils sont justifiés ou non. Et il en va de même pour les cas-contact. Nous donnons donc beaucoup plus d’arrêts de travail qu’en temps normal.
Comment appréhendez-vous les semaines à venir ?
Pr Eric Galam : Pendant la première vague, nos cabinets se sont vidés, la situation était dramatique mais atone. Maintenant, la période semble moins dramatique parce que nous nous sommes habitués à cette situation, que nous avons des moyens de protection et parce que nos cabinets se sont à nouveau remplis. Je ne sais pas si je suis mieux armé qu’au printemps mais nous, médecins généralistes, ne sommes plus sur la touche. Ce qui est bien, en termes d’activité mais qui pose problème parce que le risque est toujours là. Le sentiment du risque pour nous-même reste présent. Si je suis malade, ce sera problématique non seulement pour moi et ma famille mais aussi d’une façon plus générale pour la santé publique parce que nous sommes déjà en manque de médecins. Beaucoup de soignants sont décédés ces derniers mois. Nous espérons que le dispositif de soins et les soignants ont acquis de l’expérience et la compétence pour gérer une situation qui pourrait empirer et dont le métabolisme est de plus en plus rapide.
Qu’est-ce qui a changé pour vous en termes d’organisation des soins ?
Avant le Covid, je recevais sans rendez-vous. Depuis mars dernier, je suis passé aux rendez-vous exclusifs, sans salle d’attente. C’est un changement d’organisation majeur. Aussi, désormais, je mets une blouse et un masque pour recevoir mes patients. J’ai aussi expérimenté les téléconsultations. Avant, je n’en faisais pas. Je n’avais pas l’intention d’en faire. Pendant le Covid, j’en ai fait un certain nombre. Puis j’ai arrêté et là j’en fais à nouveau. La téléconsultation a l’avantage d’éviter le déplacement du patient mais elle a d’autres inconvénients (ouvrir plusieurs fenêtres d’ordinateur à la fois, impressions…). Il n’est pas sûr qu’elle soit rentable en termes d’investissement de temps et d’énergie.
Les délais d’obtention des résultats des tests diagnostiques ne sont plus aussi longs qu’auparavant mais faudra-t-il que les médecins généralistes réalisent aussi des tests antigéniques de diagnostic rapide lorsqu’ils seront disponibles ?
Pour cela, il faudrait avoir le matériel adéquat, les masques appropriés et des lieux pour le stockage des tests, ce que je n’ai pas. Aussi, il y a un risque d’engorgement des cabinets médicaux comme il y a déjà eu un engorgement des laboratoires dont c’est le métier de tester. Je ne me vois pas devenir un centre Covid. Je peux être éventuellement testeur dans un lieu dédié où l’on pratique les tests mais je ne pense pas qu’il faille tout mélanger. La CPTS (Communauté professionnelle territoriale de santé) de mon secteur a mis au point un centre de dépistage de quartier où ne vont que les patients que nous, médecins libéraux, leur adressons. Nous avons donc des rendez-vous très rapidement, le jour même ou le lendemain avec des résultats très rapides. Dans ce cadre, le dépistage est pertinent.
En termes de traitements, que pouvez-vous prescrire aujourd’hui à vos patients Covid ?
En tant que généraliste je n’ai rien à administrer à part du paracétamol. Je n’ai pas de médicaments validés. Mais, j’ai l’espoir que les recherches avancent, que nous trouvions des vaccins et que les prises en charge non-médicamenteuses progressent. Aussi, il y a des situations plus complexes pour lesquelles, il n’y a pas encore de marche à suivre claire. Par exemple ; si un patient tousse et qu’il est sous méthotrexate, est-ce que je lui donne des antibiotiques par « prudence » ? Comment je gère cette pluri-étiologie ? Beaucoup de questions restent en suspens.
Pensez-vous avoir un rôle particulier à jouer en termes de prévention, notamment pour les populations à risque (personnes âgées, en surpoids, atteints de pathologies chroniques…) ?
Nous allons bien sûr renforcer au maximum la vaccination antigrippale et les équilibres des diabétiques, hypertendus ou autres. Nous allons rassurer ceux qui en ont besoin et surtout être particulièrement vigilants par rapport aux personnes âgées, en surpoids ou à risque. Comme toujours nous serons au plus près de nos patients et à leur écoute.
En tant que spécialiste des questions de burn-out des soignants*, pouvez-vous nous dire comment se sentent actuellement les soignants en ville, comme à l’hôpital ?
Je m’occupe, entre autre, du numéro vert d’écoute et d’accompagnement des soignants de l’ordre des médecins et de l’ordre des infirmiers (le 0 800 288 038). Au moment du premier pic, les appels ont été multipliés par 10. Ce n’est pas encore le cas mais ils augmentent déjà de manière significative. Nous sommes dans une période de transition. Qu’en sera-t-il après la vague ?
En ville, les soignants ont le sentiment d’être seuls même s’ils travaillent en équipe autour d’un patient. Ce caractère implicite et à géométrie variable des structures et des équipes autour de chaque patient est complexe mais il doit être abordé, exploré et géré sérieusement si l’on veut maintenir le maillage sanitaire nécessaire à la santé publique. Il semble que les autorités n’aient pas encore pris la mesure de cette nécessité qualifiée par certains de « bombe à retardement ».
Pour ce qui est de l’hôpital, lors de la première vague, il y a eu cette impression que la guerre était déclarée. Nous allions au combat la fleur au fusil. Maintenant ce n’est plus tout à fait ça. Il n’y a plus ce côté « mobilisation générale » qui nous portait tous. Les soignants veulent faire leur métier, leur mission, mais ils ont besoin de savoir qu’ils vont être payés, de pouvoir se reposer, de ne pas travailler comme des bêtes… C’est à surveiller. Il va falloir plus que jamais, mieux accompagner les soignants comme ils le méritent. Notre système de santé a besoin de moyens, d’énergie et d’intelligence mais aussi de préserver son capital « soignants » dont le bien-être représente l’un des critères de qualité majeurs.
* le Pr Galam a participé à la rédaction de « Souffrance des professionnels du monde de la santé : prévenir, repérer, orienter », publiée le 12 mai par la Haute autorité de santé dans le cadre de ses « réponses rapides ». Il est également Professeur à l’Université de Paris, responsable du DIU « Soigner les soignants », conseiller pour la plateforme nationale d’entraide de l’Ordre des médecins et membre de l’Observatoire national pour la qualité de vie au travail des professionnels de santé.
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Citer cet article: Seconde vague de COVID-19 : un généraliste parisien témoigne - Medscape - 16 oct 2020.
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