POINT DE VUE

Récit d’une journée de travail d’un chirurgien ORL...en 2052

Jérôme Lechien

15 octobre 2020

Bruxelles -- Jeune oto-rhino-laryngologiste belge de 32 ans exerçant à la fois à l'hôpital Foch (Paris) et au CHU de Bruxelles, le Dr Jérome Lechien s’est projeté dans le futur. Comme Isaac Asimov l’a fait en 1980 avec des prédictions à 39 ans (pour 2019 donc), le médecin a imaginé à quoi pourrait ressembler sa journée de travail…. en 2052. Vision avant-gardiste ou lecture erronée de l’avenir ? Voici son récit.

Dr Jérôme Lechien

Il est 7 h 12, je me réveille après une nuit de sommeil de 8 h 14 minutes tel que recommandé par mon simulateur de sommeil en vue de l’activité que j’aurai ce jour à l’hôpital. Je suis médecin chirurgien ORL à l’hôpital général de Bruxelles et nous sommes en 2052.

L'hôpital général de Bruxelles est le plus gros établissement de santé du pays. Les politiques ont compris en 2027 que, pour un pays de 14 millions d'habitants (à date de 2027), il n'était pas nécessaire d'avoir plus de soixante-dix d'hôpitaux qui font chacun relativement la même chose, avec des moyens disparates et un niveau d’expertise hétérogène. Ils ont dès lors, accéléré le processus de rapprochement hospitalier débuté au début du XXIe siècle pour avoir un seul gros hôpital général bruxellois et un second hôpital général anversois. Les autres structures hospitalières sont devenues, entre-temps, des centres médicaux où la pathologie générale est toujours traitée, mais où plus aucune prise en charge hautement spécialisée n'est réalisée.

Après avoir ingurgité mon petit-déjeuner, j'entre dans ma voiture qui, sous pilotage automatique, me conduit à l'hôpital. La densité du trafic est un peu plus élevée que d'habitude, incitant l'intelligence artificielle de ma voiture à emprunter la route 32, située à 320 m au-dessous du sol et qui est uniquement réservée pour le personnel soignant en déplacement. 

Durant le trajet, qui dure 32 minutes exactement, je révise un article soumis par des collègues américains dans la revue The Laryngoscope qui traite de la prise en charge du reflux laryngo-pharyngé par le nouveau robot médical i32 aux capacités multiples. Il peut ainsi réaliser une anamnèse extrêmement complète, une analyse du faciès, de la posture, de la toux et de la voix du patient, ainsi qu'un examen clinique à l'aide du nouveau fibroscope f.23 de 32 micromètres de diamètre permettant une analyse des muqueuses d'origine nasale, pharyngienne, trachéale et œsophagienne dans une consultation de 8 minutes en tout et pour tout. 

Leur article est intéressant, car ils ont considéré, en plus de l'anamnèse intelligente et de l'examen clinique, le microbiote du patient, l'activité de toutes les enzymes digestives liées aux remontées gastriques pharyngiennes et le niveau de stress du patient (évalué par une analyse du système nerveux autonome). 

Cependant, ils ont oublié d'intégrer le niveau de sensibilité des muqueuses ORL, lequel varie fortement d'un patient à l'autre ce qui peut expliquer une différence d'expression clinique de la maladie. Je décide donc de rejeter l'article et de valider l'analyse préliminaire faite par le logiciel de reviewing de la firme MedExplore®. Il s'agit probablement d'un des derniers articles que je révise, car j'ai lu dans Nature qu'une nouvelle forme d'intelligence artificielle réalise maintenant sans intervention humaine un reviewing complet tout en évaluant l'impact de citations que l'étude pourrait avoir si elle est publiée dans ledit journal.

Il est 9 h 11, j'arrive à l'hôpital. Je croise mon patient Mr Van Bogaert sur sa chaise baladeuse. Je l'ai opéré la veille d'une sténose trachéale serrée. Je me souviens encore de ma première sténose opérée quand j'étais chef de clinique à Foch (Paris) en 2020. À cette époque, les patients étaient placés dans des chambres d'hospitalisation en post-opératoire et attendaient leur sortie. 

On passait les voir tous les jours, on leur disait de marcher dans le couloir avant de décider de les laisser sortir « quand ils allaient mieux ». Aujourd'hui, à l'instar de Mr Van Bogaert, ils ont l'opportunité de se déplacer en marchant ou en chaise baladeuse électrique dans l'espace virtuel de l'hôpital, espace simulant un environnement calme, doux et paisible, en pleine nature, à la montagne ou à la plage selon le désir du patient. Cet espace améliorerait le bien-être du patient et permettrait de réduire la durée d'hospitalisation de 23 %, soit 41 % d'économies par patient. Le risque de complication ? Il est monitoré toutes les 3 minutes par les fibres sensorielles de sa chaise baladeuse et du bracelet qu'il porte autour du poignet.

Je me dirige vers la salle d'opération numéro 92 où mon patient m'attend. Il est déjà couché sur la table d'opération, intubé via les nouvelles sondes de 3 mm de diamètres avec air pulsé et ballonnet personnalisé s'adaptant à la trachée du patient. L'assistant électronique surveille les constantes et me souhaite la bienvenue. Cela change d'Irma, la dernière infirmière anesthésiste qui râlait tous les matins et attendait impatiemment la fin de la journée.

Je salue le Dr Sala, l'anesthésiste qui surveille les salles d'opération 88, 89, 90, 91, et 92 depuis sa tour de contrôle artificielle. Nous sommes un des derniers hôpitaux à garder un anesthésiste pour 5 salles. Partout, ailleurs, ils ne sont plus qu'un pour 10 ou 15 salles. Les récents progrès de l'intelligence artificielle ont permis d'optimiser les assistants électroniques, ces robots, qui intubent, endorment, et évaluent à la perfection les doses adéquates de curare et des autres médicaments en s’appuyant sur les résultats du « super-scan ». Ce scanner dernier cri évalue les caractéristiques physiologiques du patient (foie, rein, métabolisme, état de fatigue, etc.) pour permettre une prise en charge personnalisée et optimale.

Mon patient présente un carcinome thyroïdien réfractaire au cocktail ambulatoire d'immunothérapie qu'on lui a administré (première, deuxième et troisième lignes). Il fait partie des 0.3 % de non-répondeurs. Il doit donc être opéré. 

Je place donc le robot à 30° par rapport à la table d'opération et je lance la procédure. Sur base de l'IRM 12 tesla réalisée la veille, le robot commence donc à inciser la peau au niveau du cuir chevelu (pour éviter toute cicatrice), décolle le plan cutané jusqu'au nodule cancéreux, dissèque le lobe thyroïdien, repère le nerf laryngé récurrent et le nerf laryngé supérieur, et, via les caméras RWT2 poursuit la dissection tout en contrôlant le flux microvasculaire au niveau des deux nerfs, et ce, afin d'éviter les parésies post-opératoires sur traction des tissus adjacents aux nerfs. 

Une fois terminé, il injecte au niveau de la cicatrice dans le cuir chevelu les microfacteurs de croissance placentaires qui permettront de ne pas avoir de cicatrice visible. La fin de l'intervention se passe comme d'habitude : parfaitement. L'analyse anatomo-pathologique n'étant pas requise vu les analyses pré-opératoires réalisées à l'aide de l'IRM 12 tesla qui permet une définition à l'échelle cellulaire. 

 

Mon rôle de chirurgien est de contrôler chaque étape et, en cas de doute, relancer une analyse chirurgicale de risque pour rectification de la trajectoire chirurgicale. Je n'ai plus dû intervenir manuellement depuis maintenant 4 ans. Il est 10 h 02, l'intervention est terminée, le patient est réveillé et se dirige vers l'espace de réveil ‘bien-être'. Ce patient a opté pour un espace virtuelle montagneux, lui rappelant sa jeunesse dans les Pyrénées.

Pour ma part, je me dirige vers la consultation pour contrôler l'activité des robots de consultation. Je n'ai plus opéré de thyroïde depuis 2037, année où l'intelligence artificielle s'est imposée en chirurgie. J'avoue qu'au début, c'était difficile de me dire que j'avais été formé pendant de si nombreuses années pour, au final, être dépassé par les robots. 

Mon rôle de chirurgien est de contrôler chaque étape et, en cas de doute, relancer une analyse chirurgicale de risque pour rectification de la trajectoire chirurgicale. 

Mais il faut se rendre à l'évidence : le taux de complication est devenu nul, le temps opératoire a diminué de moitié, et les patients préfèrent se faire opérer par les robots, lesquels sont devenus omniprésents. La robotique et l'intelligence artificielle gèrent le quotidien : la cuisine, l'entretien ménager, la durée de sommeil optimale, les soins de santé, la conduite automobile, et récemment, JRL Entreprise a même développé un robot analyseur d'expression faciale, permettant, intuitivement, de comprendre les émotions des individus et de transmettre l'information à son détenteur.

Après un check rapide à la consultation, je me rends au siège de JRL entreprise où, avec la plupart de mes collègues, j'exerce une fonction de consulting visant à améliorer la prise en charge robotisée et artificielle des patients ORL. Après analyse de quelques dossiers et avis sur les dernières mises à jour, je reprends mon véhicule pour rentrer à mon domicile. Un entraînement athlétique de 16 km m'attend sur la piste de la plateforme 42 avec mes amis. Avant cela, je n'oublie évidemment pas de passer au super-scan pour vérifier mes constantes et mon étape homéostasique général. Il est 15 h 03, ma journée de chirurgien est terminée.

Mais il faut se rendre à l'évidence : les patients préfèrent se faire opérer par les robots, lesquels sont devenus omniprésents. 

 

A propos de l’auteur

Jérôme Lechien est un oto-rhino-laryngologiste belge de 32 ans travaillant à la fois à l'hôpital Foch (Paris) et au CHU de Bruxelles (Bruxelles). Il est professeur d'oto-rhino-laryngologie, d'anatomie et de physiologie à l'UMONS, Belgique. Spécialisé en laryngologie, chirurgie cervico-faciale, rhinologie, maladie de la voix et reflux, il dirige le comité de recherche des jeunes oto-rhino-laryngologistes de la Fédération internationale des sociétés d'oto-rhino-laryngologie (YO IFOS). Il est également membre européen de l'American Academy of Otolaryngology-Head Neck Surgery.

 

 

Ce récit a été initialement publié sur MediQuality, membre du réseau Medscape.

 

 

 

 

 

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