Paris, France – L’activité physique – sous forme de remise en mouvement du corps – constitue aujourd’hui un traitement à part entière des pathologies psychiatriques. Pourquoi est-ce important ? Comment encourager ces patients qui, par définition, sont fatigués et démotivés ?
Après avoir rappelé l’importance du syndrome métabolique chez les patients atteints de pathologies psychiatriques, le Pr Florian Ferreri, psychiatre au CHU Saint-Antoine (Paris) a listé tous les bénéfices de l’activité physique (AP) dont le rôle de renforcement positif est essentiel chez ces patients. Il a également donné aux médecins généralistes – « dont la parole est cruciale et plus écoutée que celle des psychiatres sur ce registre » selon ses termes – des conseils très pratiques et des astuces pour motiver les patients souffrant de pathologies psychiatriques et contourner les freins à la remise en mouvement. Retour de cette présentation très pragmatique faite lors des Journées nationales de médecine générale (JNMG) 2020 [1].
Lutter contre le risque de mortalité prématurée
L’augmentation de la prévalence du syndrome métabolique est une problématique bien connue des médecins généralistes, mais elle est plus forte encore chez les personnes qui souffrent de pathologies psychiatriques, lesquelles sont de plus à risque de mortalité prématurée – de 10 à 15 ans (toutes pathologies psy confondues) [2]. En cause dans ces sur-représentations du syndrome métabolique chez les patients psychiatriques, de nombreuses raisons, certaines génétiques avec des perturbations immuno-métaboliques, des comorbidités mais aussi une sédentarité accrue [2], un tabagisme accentué, une mauvaise hygiène du sommeil et un régime alimentaire mal équilibré.
Tenir compte des freins liés à la pathologie en elle-même
« Il ne faut pas occulter les facteurs liés à la pathologie elle-même ; il est clair que la baisse d’initiative, de motivation et la perte d’intérêt liée l’épisode de dépression caractérisée ne favorise pas l’AP », indique le psychiatre. Et quand l’épisode dépressif dure longtemps, les conséquences sont importantes, non seulement en termes de risque cardiovasculaire mais aussi par la péjoration de l’épisode dépressif en tant que tel, précise-t-il. Il faut donc réfléchir à inciter à l’activité physique sans choisir une intensité trop élevée chez une personne fatiguée, en perte de motivation. « Ce qui demande d’être très pragmatique, ajoute le Pr Ferreri. D’autant qu’il est authentiquement difficile pour une personne psychotique, schizophrène par exemple, de s’organiser, d’avoir des relations sociales car la désorganisation inhérente à la pathologie fait qu’une AP régulière peut être compromise ».
Contourner l’impact des traitements
Autre aspect à prendre en compte : l’impact des traitements prescrits qui peuvent avoir en eux-mêmes un effet sédatif. Si celui-ci est recherché dans un premier temps pour diminuer les symptômes ou prévenir un passage à l’acte, « la question peut se poser à un moment donné d’atténuer cet effet péjoratif à la reprise d’une activité physique en modifiant le traitement, considère le Pr Ferreri. On peut envisager de choisir entre plusieurs antidépresseurs ou différents antipsychotiques celui qui sera moins sédatif ou bien de réduire la posologie. C’est du moins une question à se poser et à trancher en collaboration avec le psychiatre ». De la même façon, la prise de poids liée à un traitement peut être pénalisante par rapport à la reprise d’un traitement. « On peut là encore réfléchir à ce qu’il est possible de faire dans le cadre d’une prise en charge globale du patient. Dans certains cas, on ne pourra pas changer le traitement – c’est le cas de certains patients répondeurs uniquement au lithium – en revanche, c’est à nous d’accompagner cette prise de poids et de faire en sorte qu’elle soit la moins importante possible ».
Sachant que certains traitements augmentent l’appétit et d’autres diminuent la satiété, « il y a une éducation du patient à faire et des petites astuces à trouver comme augmenter le volume alimentaire, privilégier les apports hydriques ou manger lentement et mâcher plus pour diminuer ces effets secondaires ».
Jouer sur l’hygiène de vie pour améliorer le fonctionnement cérébral
Bonne nouvelle, « en dépit de ce tableau assez préoccupant, tant sur les chiffres que sur les facteurs inhérents aux différentes pathologies et les différentes comorbidités dont souffrent nos patients, il existe un certain nombre de facteurs authentiquement modifiables et sur lesquels on peut essayer d’avoir un impact notable, et parmi ces facteurs : l’hygiène de vie » insiste le psychiatre. «Mais ce qui est intéressant chez les patients qui souffrent d’un trouble psychiatrique, c’est qu’au-delà de la prévention d’un éventuel syndrome métabolique, on dispose aujourd’hui d’arguments pour dire que l’environnement, au sens large, module énormément le fonctionnement cérébral et la biologie ». Pour autant, il ne s’agit pas d’opposer les différents modes d’interventions possibles que sont les psychothérapies, les traitements, et l’hygiène de vie « mais de prendre tout ce qui est utile et de le mettre en œuvre de façon conjointe plutôt que séquentielle » précise-t-il, tout en faisant en sorte que les propositions « restent acceptables par le patient et tiennent compte de la symptomatologie qu’il présente ».
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Quel est le niveau de preuves de l’impact de ces mesures ?
Pour ce qui est de l’impact de ces mesures, un large panorama comportant études, méta-analyse et suivis de cohortes randomisées ou non, tout juste paru, met en lien les différents troubles psychiatriques avec diverses interventions possibles [4]. On constate qu’avec l’AP, il existe un bénéfice sur la symptomatologie et la prévention de la récidive dans différents troubles psychotiques, idem pour l’alimentation, le sommeil. Mais les niveaux de preuve les plus élevés sont vraiment entre l’AP et la dépression, suivi de l’anxiété et du trouble psychotique et l’alimentation influe aussi sur la dépression. L’expertise de l’Inserm Activité physique : prévention et traitement des maladies chroniques ne dit pas autre chose, donnant un grade A à l’activité physique sur les symptômes dépressifs, la symptomatologie anxio-dépressive, et la diminution des rechutes. « Dans une pathologie comme la schizophrénie, l’AP peut même entrainer une amélioration de la symptomatologie dépressive, de la qualité de vie et de la symptomatologie positive » souligne le Pr Ferreri.
Instituer des rituels quotidiens
Il s’agit là non pas de sport, ni même d’exercices physiques mais de « tous les mouvements corporels induits par des contractions qui augmentent notre dépense énergétique » indique le psychiatre. Cela comprend donc tous les mouvements de la vie quotidienne, y compris ceux effectués lors des activités de travail, de déplacement, d'activités domestiques et de loisirs. « Il ne faut donc pas hésiter à rappeler au patient dépressif – que son entourage bienveillant à tendance à préserver – l’importance de l’activation comportementale. Cela va consister à mettre en route des rituels que sont le réveil, le lavage, le fait de s’habiller et d’essayer, dans la mesure du possible, de réaliser quelques gestes comme faire un peu de ménage, jardiner, sortir le chien, et si le patient en a l’énergie, faire une activité physique plus soutenue », détaille le psychiatre, précisant que « ces activités du quotidien sont en soi très bénéfiques ». Il s’agit donc bien de promouvoir, au départ, l’activité physique à différencier de l’exercice physique, qui suppose un rythme plus soutenu, et qui viendra après.
Comment motiver les patients ?
Motiver les patients est une vraie gageure. Une des façons de le faire est de leur exposer les bénéfices à cette activité physique. Primo, l’AP augmente l’expérience sociale, « même pour une activité solitaire comme la marche à pied » considère le psychiatre. Deusio, l’AP augmente l’estime de soi, donne un sens à l’effort et des perspectives dans une journée. Elle favorise également l’énergie et induit un cercle vertueux, tout en réduisant le stress et la dépression. Mais ce n’est pas tout. « D’un point de vue neurobiologique, l’impact que peut avoir l’AP est assez impressionnant : elle augmente la sérotonine – un neuromédiateur que l’on souhaite booster par tous les moyens –, la dopamine, les endorphines et fait baisser le cortisol. On note aussi un effet sur la neurogenèse et la neuroprotection » liste le Pr Ferreri.

Au vu de ses effets sur le cerveau, on peut même aller jusqu’ à « prescrire » l’activité physique. « Non pas des séances d’exercice physiques remboursées, mais écrire sur l’ordonnance : se lever le matin à 9h30, prendre sa douche, etc. Le fait de l’écrire a un impact majeur » assure le psychiatre.
La cognition incarnée où l’impact du corps sur l’esprit
Pour renforcer encore les bénéfices de l’exercice physique, l’orateur ajoute que « c’est mieux dans la nature ». Ce qui s’explique d’un point de vue psychiatrique, « pratiquer en extérieur permet une meilleure exposition à la lumière, une meilleure capacité d’attention, sans oublier l’aspect social ».
Autre corde à l’arc motivationnel du médecin généraliste, la cognition incarnée, un terme qui exprime que « l’attitude que l’on va adopter au cours de l’activité physique impacte notre moral ». Il s’agit de la façon dont notre positionnement corporel et notre attitude influe sur la cognition et les émotions. En clair, « mieux vaut se redresser, adopter une démarche affirmée la tête haute pour aller faire son activité physique plutôt qu’avancer à petits pas la tête baissée et le dos voûté », en raison des vertus antidépressives de la posture et du renforcement positif qu’elle procure. « On voit donc que le corps et l’esprit sont très connectés, et il est important d’en parler aux patients car cela peut avoir un véritable impact».
S’aider des outils connectés
Autre levier que propose le psychiatre pour encourager les patients à la reprise de l’activité physique : aborder le concept d’accumulation. A savoir, si les recommandations promeuvent 150 minutes par semaine d’exercice modéré – message qui n’est pas audible ou compréhensible par certains patients souffrant d’une pathologie psychiatrique – , alors prôner l’AP par petites tranches. « Son impact est de mieux en mieux validé par la littérature, assure le psychiatre, et le fractionnement de l’AP est donc un nouveau message à véhiculer auprès des patients en reprise d’activités ».
Enfin, parmi les astuces qui peuvent aider à l’AP, le Pr Ferreri n’hésite à citer l’utilisation d’un podomètre – dont certains sont intégrés aux smartphones. « Contrairement aux idées reçues, les patients sont, d’une manière générale, assez friands des outils connectés – souvent bien plus que les psychiatres ». L’objectif fixé est raisonnable : 2500 pas par jour. « Pour y arriver, un exemple simple est de descendre une station de métro/bus avant ».
A connaitre : le site suisse paprica.ch (pour physical activity promotion in primary care) de promotion de l’activité physique permet de télécharger des documents à destinations aussi bien des patients que des professionnels de santé.
Donner de conseils alimentaires
Enfin, « il est profitable que l’AP s’accompagne de conseils alimentaires (voir encadré), avec l’idée que l’alimentation peut jouer sur notre humeur et nos émotions, indique le psychiatre. L’idée est d’enrichir son alimentation en vitamine B6, magnésium et tryptophane, un précurseur de la sérotonine. L’apport peut être promu aussi bien par le suivi de conseils diététiques que par la prise de compléments alimentaires. « Sans oublier d’avoir un message clair sur la consommation d’alcool au quotidien qui péjore beaucoup le fonctionnement cérébral » conclut-il.
Conseils alimentaires pour booster le moral
Enrichir son alimentation en oméga-3 et 6 (poissons gras type harengs, maquereaux…)
Limiter les plats tout préparés (graisses saturées, trans)
Privilégier les sucres complexes aux sucres rapides
Consommer des fruits et légumes frais
Entretenir son capital magnésium
Consommer des aliments riches en vitamine B
Expertise collective de l'Inserm : l'activité physique pour les malades chroniques, c’est parti!
Activité physique : un guide pratique pour la conseiller et/ou la prescrire
Une heure d’activité physique par semaine a déjà un effet antidépresseur
Activité physique : les médecins ne sont pas (encore) formés
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Citer cet article: Activité physique chez les patients avec une pathologie psychiatrique: toutes les occasions sont bonnes ! - Medscape - 14 oct 2020.
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